Monsieur Estrosi, est-ce votre rôle de maire d’afficher un tel parti pris dans un conflit aussi complexe ?
Il ne s’agit pas d’être pro-Israël ou pro-Palestine, mais d’être pro-droit international…
Nous ne sommes très certainement pas les seuls citoyens à ressentir un malaise profond à l’égard de la tragédie qui se déroule au Proche-Orient. Ceci dit, nous pourrions dire la même chose pour l’Ukraine ou le Haut-Karabagh. Mais concentrons-nous sur ce qui se déroule en Israël et sur la bande de Gaza depuis ce funeste 7 octobre 2023.
Une surenchère en forme d’impasse criminelle
Ce 7 octobre, notre tranquillité confortable (pour beaucoup) a subitement été ébranlée par un drame humain absolu, dont le théâtre, rappelons-le, est à seulement 2700 kilomètres de la Côte d’Azur : un massacre hallucinant de civils et de militaires, des blessés par milliers et des otages, adultes et enfants, un blocus complet (interdit par le droit international) et des bombardements massifs. Aujourd’hui, la violence répond à la violence : après le « Déluge d’Al-Aqsa », voici le « Glaive de fer », qui va très probablement aboutir prochainement à un ratissage de la bande de Gaza par les chars israéliens… Au milieu de cette surenchère guerrière : des centaines de milliers d’êtres humains, de pères, de mères et de bambins effrayés, de vieillards cloîtrés. Et des milliers de victimes. Des deux côtés du mur. La grande majorité de la population gazaouie étant elle-même otage, comme l’a rappelé le 12 octobre Raphaël Morav, ambassadeur d’Israël en France : « Toute la population de Gaza est otage du Hamas ».
Commençons par réaffirmer que nous condamnons avec la plus grande fermeté les actes barbares des brigades Ezzedin al-Qassam de l’organisation terroriste Hamas, mais aussi tous ceux qui la soutiennent et la financent, principalement le Qatar (sur le plan financier) et l’Iran (sur le plan matériel).
Ceci posé, nous condamnons aussi tous ceux qui n’ont jamais cherché de solution politique ou diplomatique à cette question fondamentale : alors qu’une terre a été donnée au peuple israélien en mai 1948, est-il possible de confiner le peuple palestinien, et notamment plus de deux millions de personnes, dans une bande de terre de 41 kilomètres de long et de 365 km2 ? Cette « prison à ciel ouvert » compte deux fois plus d’habitants que le département des Alpes-Maritimes sur une surface 12 fois plus petite…
Pourquoi le drapeau d’Israël sur notre ville ?
Comme tout conflit humain ou toute forme de terrorisme, cette crise a des racines profondes et complexes, et rien n’est évidemment blanc ou noir, comme beaucoup tentent de nous l’expliquer. Nous sommes très gênés par toutes ces tentatives de pensée unique imposées par de nombreuses personnalités politiques. Très contrariés aussi par les drapeaux israéliens arborés sur la façade de l’Hôtel de ville de Nice ou sur la Tour Bellanda, au-dessus de la fameuse Promenade des Anglais. Ne risque-t-on pas de tomber dans le piège de la caution ou du « chèque en blanc », extrêmement périlleux vis-à-vis d’un État israélien, dont on ne maîtrise ni les décisions à venir, ni leurs conséquences ?
Pourquoi ? Parce que la question véritable est de trouver la voie de la paix, tant pour les populations israéliennes que palestiniennes (ce point est extrêmement important), et de proscrire toute spirale de la vengeance, sans chercher à cliver l’opinion par du « pour ou contre », par « le bien contre le mal », comme les Bush père et fils, ou leur héritier spirituel Donald Trump l’ont fait ces dernières années.
Pourquoi ? Parce qu’afficher un drapeau national sur la façade d’une collectivité, c’est promouvoir l’amalgame entre le soutien à un peuple et celui à un État dirigé par un faucon de la droite dure, entouré notamment de fondamentalistes religieux ou de députés extrémistes du Likoud, comme Tally Gotliv, qui a vociféré : « Écrasez Gaza sans pitié ! N’attendez pas ! », préconisant l’envoi de missiles balistiques Jéricho, développés par Israël et pouvant porter une charge nucléaire… Cette femme pleine de mesure ne va quand même pas nous obliger à comparer les niveaux d’horreur entre une attaque ignoble de civils dans des kibboutz et une vitrification nucléaire !
Le 12 octobre 2023, sur l’antenne de France Inter, l’ancien Premier ministre Dominique de Villepin a d’ailleurs rappelé que cette voie de la paix est absolument illusoire sans solution politique. En l’espèce, sans une terre à deux États : l’État d’Israël et un État de Palestine. De Villepin est-il un extrémiste ou un délirant ? Pas le moins du monde. D’anciens ambassadeurs d’Israël ne tiennent pas un autre discours, et de nombreuses voix s’élèvent aujourd’hui pour mettre en place un cadre et des interlocuteurs raisonnables autour de la table, pour parler de paix et de cobénéfices, et non pas de surenchère militaire qui imbibe la terre de sang humain. Comme le disait le premier ministre Yitzhak Rabin en 1993, à la signature des Accords d’Oslo : « Assez de sang ! Assez de guerre ! ».
L’émoi est légitime, mais pourquoi l’amnésie ?
Ne faisons pas preuve d’amnésie. Israël a longtemps fait preuve d’une relative bienveillance à l’égard du Hamas (harakat al-muqâwama al-islamiyya : « Mouvement de résistance islamique », fondé en 1987), préférant tourner son regard vers l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), considérée comme l’ennemi à abattre, ou encore, le Hezbollah, organisation armée chiite libanaise également soutenue par les mollahs iraniens. Aujourd’hui, le Hamas se fixe pour mission de détruire Israël. La stratégie serait donc d’en rester à « un territoire, un État », mais de rayer l’actuel État israélien pour un État islamique palestinien. Stratégie évidemment mortifère, à l’exact opposé de celle préconisée par de nombreuses personnalités dans le monde.
N’oublions pas non plus que nous, Occidentaux, passons notre temps à faire du business (y compris dans le sport) avec l’émirat du Qatar, soutien financier du Hamas. N’oublions pas que dans un acte manquant incroyablement de clairvoyance, le maire de Nice, Christian Estrosi, a offert la plus haute distinction niçoise à Ali Jassim Al-Thani, ambassadeur du Qatar, le 18 mars 2022 (source). N’oublions pas non plus qu’Israël procure près de 70% de ses armements aux forces azerbaïdjanaises qui viennent littéralement d’annexer le Haut-Karabagh, en Arménie. L’empathie serait-elle à géométrie variable, et serions-nous à ce point hypocrites ?
N’oublions pas davantage qu’à la tête de l’État israélien opère Benyamin Netanyahou, président du Likoud, que beaucoup d’analystes classent comme parti d’extrême-droite. La charte du Likoud rejette fermement la création d’un État arabo-palestinien à l’ouest du Jourdain, et promeut la politique de colonisation, qui ne peut qu’attiser les rancœurs et les désirs de vengeance qui, in fine, se retournent contre le peuple israélien.
Un parti pris dangereux pour notre ville !
Enfin, n’oublions pas que ce soutien unilatéral aux Israéliens, à l’heure où Tsahal, l’armée de l’État d’Israël, étouffe et bombarde le peuple palestinien, pourrait générer une montée de l’antisémitisme dans notre pays, dans nos villes, et à Nice en particulier. De nombreux quartiers niçois abritent d’importantes populations sensibles à la cause, et concernées par la cause palestinienne, et notre ville héberge une importante communauté juive. Comment donc un maire peut-il attiser à ce point la discorde et la désunion, et favoriser ainsi la montée de la haine et de l’extrême-droite dans notre pays ? Où est la recherche de concorde et d’apaisement ?
Un dernier mot : l’attaque surprise, et horrible, du Hamas sur les kibboutz du sud d’Israël a démontré, s’il en était encore besoin, que même un État nucléaire aussi axé sur le sécuritarisme qu’Israël, avec son Dôme de fer (système de défense aérienne mobile), et ses hautes technologies de surveillance, ne peut résister à un ennemi fanatisé et déterminé. La technologie ne nous sauvera pas de nos turpitudes, de nos lâchetés et dénis, de nos fuites. En Israël, comme à Nice, que le maire veut livrer aux sociétés israéliennes expertes en technologies de surveillance. L’humain doit rester aux commandes. Le courage politique, l’humanité et la diplomatie doivent retrouver leur place au centre de l’échiquier. On ne peut pas laisser la haine martyriser des populations humaines, qu’elles soient croyantes ou athées, de confession juive ou musulmane.
Nous demandons à nos élus qu’ils fassent preuve d’équité et de sagesse dans leurs appréciations sur ces conflits éminemment complexes, qu’ils cessent de provoquer la rancœur au sein de nos populations, avec des affichages et des discours publics déraisonnables, parce qu’injustes. Plus généralement, nous demandons au maire Estrosi de cesser de compromettre notre ville de Nice, en honorant et décorant des personnalités non recommandables, et en affichant régulièrement un soutien unilatéral rempli d’ambiguïtés. Oui, les partis pris sont dangereux pour notre communauté humaine !
A ceux qui ne savent pas bien lire ou ne veulent pas comprendre…
Petit complément suite aux réactions de quelques personnes mal intentionnées (après publication de cet article, dont certaines se permettent de nous diffamer) : le président Emmanuel Macron, dans son allocution du 12 octobre, a appelé les Français à rester « unis pour porter un message de paix et de sécurité pour le Proche-Orient. » (extrait du Monde).
Pour compléter ces propos, nous devons ajouter que le même Emmanuel Macron s’était exprimé ainsi, le 14 avril 2017 : « Je mettrai toute mon énergie pour qu’il y ait la paix, et la reconnaissance de deux Etats qui cohabitent. Et je ne cèderai rien sur ce sujet. Et donc je condamnerai les politiques de colonisation, et là-dessus, il faut être intraitable à l’égard d’Israël. »
En conclusion, que faisons-nous d’autre, ici, que de parler de paix et de sécurité pour toutes les populations en souffrance ?
Pensées pour les victimes, les otages et leurs familles, et toutes les populations déplacées.
Post-Scriptum : nous écrivions que « le conflit est (éminemment) complexe ». Pour finir de vous en convaincre, nous vous invitons à lire ce document.