Régulation des jets privés et des yachts
Marxisme écologique ou mesure de sobriété, d’équité et d’exemplarité ?
Après le ‘’pavé dans la mare climatique’’ de Julien Bayou (secrétaire national du parti Europe Écologie Les Verts) cet été, avec sa proposition d’interdire les jets privés, les réseaux sociaux et les commentaires d’articles de presse sont en ébullition : « L’interdiction des jets et des yachts c’est pas de l’écologie, c’est du marxisme… », « Les extrémistes écolos veulent tout interdire : les sapins de Noël, le tour de France, les avions, les voyages, les voitures, les centrales, les piscines, manger de la viande, etc. Et même interdire les barbecues ! », etc., etc.
Mais au-delà du trait volontairement forcé de la remarque de Julien Bayou (un ton plus mesuré n’aurait probablement pas suscité autant d’intérêt), que nous dit-elle, cette réflexion sur les jets privés, sur laquelle il est important de prendre un peu d’altitude ?
Elle ne fait, finalement, que pointer abruptement nos incohérences, nos dissonances cognitives et nos dénis devant le dérèglement climatique, qui commence à manifester des impatiences et à montrer les dents. Car oui, l’été a été chaud, pour ne pas dire infernal. Peut-être a-t-il d’ailleurs fait perdre la raison à quelques-uns… Tentons ici de remettre quelques pendules à l’heure climatique. Et nous n’abordons là que la question climatique, alors qu’il y aurait tant à s’alarmer sur les destructions des écosystèmes et du monde vivant…
Qui sont extrémistes : ceux qui détériorent la planète en se gaussant, ou ceux qui en dénoncent les agissements ?
Il est tout de même très étonnant de voir avec quelle virulence de nombreuses personnes, par ailleurs souvent d’origine modeste, et de nombreux élus conservateurs du vieux monde, protègent ceux dont le mode de vie repose sur des dizaines et centaines de tonnes de CO2 par an, et fustigent ceux qui défendent un minimum d’équité dans cette nouvelle ère de la sobriété, déclarée par le président de la République (voir sa déclaration du 5 septembre : ‘’être au rendez-vous de la sobriété’’) et réclamée par des bataillons de scientifiques depuis des lustres. Oui, cette année 2022, pas encore achevée, a déjà confirmé la véracité des alertes scientifiques sur le dérèglement climatique. La sécheresse critique, les canicules à répétition, les incendies de forêts (en France et dans le monde), les inondations dramatiques (comme au Pakistan), les tempêtes-éclairs, tous ces phénomènes, dont la fréquence et l’intensité vont croître, sont des cris planétaires auxquels certains inconscients restent sourds.
Ne citons que ces deux vedettes du football national, Christophe Galtier, entraîneur du PSG et ancien coach de l’OGC Nice, et son joueur vedette Kylian Mbappé, qui se sont laissé aller à un humour putride et cynique, le 5 septembre 2022, face à la critique légitime d’un déplacement en avion du PSG de Paris à Nantes (à moins de deux heures en TGV) en jet privé : « On est en train de voir si on ne peut pas se déplacer en chars à voile »… Pour rappel, certains, moins célèbres, ne se privent pas d’emprunter un jet privé pour relier Nice et Cannes…
Mais les stars du ballon de cuir ne sont pas les seules à faire des hors-jeux. Dans son édition du 23 août 2022, Nice-Matin titrait : « A l’aéroport Cannes-Mandelieu, la polémique fait sourire. » Parions que le sourire sera éphémère…
Business plaqué or et climat plombé
La croissance insolente du trafic des jets privés (il en vole autour de 22.000 dans le monde), qui profite pleinement aux aéroports de la Côte d’Azur (Nice et Cannes Mandelieu, par exemple), alors que le réchauffement climatique échappe à notre contrôle, est un exemple du cynisme croissant, ou de l’inconscience crasse, d’une caste de privilégiés. A cet égard, en 2021, l’aviation d’affaires aura représenté 37.000 mouvements (100/jour) à Nice, autant que les mouvements d’hélicoptères privés, qui fait de l’aéroport de Nice la 1ère destination en Europe, en saison estivale, pour l’aviation d’affaires. Ajoutons les 13.000 mouvements sur Cannes-Mandelieu et les 3.700 sur Saint-Tropez, et nous approchons les 54.000 décollages et atterrissages par an, soit 150 par jour… S’il est question de CO2, pour le climat, que dire des émissions massives de polluants et des nuisances sonores pour les centaines de milliers d’habitants et de riverains, littéralement pris en otage par ceux qui profitent de la manne touristique et affairiste ?
On peut se réfugier, comme le font beaucoup de commentateurs à la courte vue, derrière la part relative très minime de CO2 émise par la flotte de jets privés, comparée aux 40 milliards de tonnes émises par l’humanité chaque année. Mais, rapportée au passager (la moyenne d’occupation est de 4,7 passagers, et de nombreux vols de mise en place se font sans passager), un déplacement en jet privé est beaucoup plus émetteur qu’en vol commercial, et bien plus encore face à un déplacement en train. Mais bien au-delà de ces émissions de gaz à effet de serre, c’est l’injustice et le manque d’exemplarité (des stars du showbiz ou du nombre croissant de milliardaires) renvoyés par ces comportements égoïstes qui posent un sérieux problème. Le gouvernement commence enfin à évoquer la sobriété énergétique, les efforts collectifs, les discours de vérité. Les mesures législatives se mettent en place : Zones à Faibles Émissions (ZFE) dans les grandes villes, et limitation progressive des véhicules thermiques, rénovation énergétique des bâtiments, appel au covoiturage et au télétravail, limitation du chauffage et de la climatisation, etc. Comment ces mesures peuvent-elles être acceptées par la population générale, si le clan de ceux qui se voient qualifier d’’’ultra-riches’’ expose avec indécence son train de vie destructeur (et ce n’est pas être jaloux que de s’en tenir aux faits) ? Au passage, ce terme ne paraît pas excessif, lorsqu’on sait que la moyenne du patrimoine des propriétaires de jets privés est de 1,5 milliard d’euros. Tout comme celui de ‘’super-pollueurs’’, lorsqu’on sait qu’un passager pollue 5 à 14 fois plus en prenant un jet privé par rapport à un avion commercial, selon l’ONG Transport & Environment.
Comme le rappelle l’ONG Greenpeace, le 1% le plus riche de la population émet 70 fois plus de CO2 que les 50% les plus pauvres, et est responsable de l’émission de 50% des GES du secteur aérien mondial, démontrant que la lutte contre le changement climatique ne peut être déconnectée de la justice sociale. La Côte d’Azur est naturellement un des lieux au monde où peuvent s’exposer le plus ouvertement ces injustices (pour ne pas dire ces abus de biens sociaux et autres détournements fiscaux).
Jets privés, yachts de luxe : même inconscience ou même indécence face à la destruction de notre environnement
Les jets privés ne sont pas les seuls à entrer dans le champ du collimateur des protecteurs de l’environnement. Nous pourrions parler de l’aviation commerciale, qui, si elle représente entre 2 et 3% des émissions de CO2 à l’échelle mondiale (il faut doubler ce chiffre si l’on intègre les effets non-CO2 de l’aviation), représente 7,3% de l’empreinte carbone de la France (BL Evolution). Citons aussi le Yachting Festival, 1er salon à flot d’Europe, qui se tient à Cannes (Vieux Port et Port-Canto) du 6 au 11 septembre 2022.
Le site Internet du Festival évoque sans pudeur le … luxe et l’élégance : « Depuis 1977, le Yachting Festival se tient chaque année au mois de septembre dans la scintillante baie de Cannes, dans un univers luxueux et élégant ». Ne serait-ce pas plutôt l’insolence que l’élégance ?
Il faut dire que les milliards d’euros qui ruissellent de ce type de business n’ont pas de difficulté à passer sous le tapis (en soie) les tonnes de CO2, les extractions destructrices de métaux, les exploitations de populations misérables, pour le plaisir de quelques-uns… Le sujet est tellement sensible que la direction des Aéroports de la Côte d’Azur n’a pas souhaité répondre à l’interview du média 20 minutes Nice sur les jets privés, début septembre…
Etes-vous si certain que vous accepterez sans tiquer cette débauche de ressources et cette gabegie pour une petite minorité d’humains peu soucieux de l’avenir de leurs enfants, et des nôtres, lorsque les législateurs commenceront à taxer ceux qui dépasseront l’objectif annuel de 2 tonnes de CO2 par an à l’horizon 2050, dans moins de trente ans, pour ne pas dépasser le réchauffement critique de +2°C à la fin du siècle ? Alors qu’aujourd’hui, la moyenne d’émission individuelle en France est de 11 tonnes par an, et que les 10 % des Français les plus riches ont une empreinte carbone de 25 tonnes CO₂ par an, contre 5 tonnes pour les 50 % les plus modestes. Des ONG ont calculé que certains hommes d’affaires, et autres stars, atteignent le chiffre effarant de 7.500 T de CO2 par an, soit 700 x la moyenne individuelle française…
Si, donc, Julien Bayou a jeté un pavé utile dans la mare à yachts, il aura en tout cas permis de lever la grand-voile sur les indécences de quelques-uns face au plus grand défi de l’humanité : sauver les conditions d’habitabilité de la planète et l’avenir des futures générations. Ce ne doit plus être un sujet d’intérêt pour les seuls écologistes, malhonnêtement qualifiés d’ayatollahs par les hypocrites, mais un sujet de grande préoccupation pour les citoyens et les élus un peu éclairés.
Une fois dit cela, s’il ne s’agit pas d’interdire brutalement l’aviation d’affaires et le yachting, ou même la publicité non consentie, promotrice d’un consumérisme irresponsable, il s’agit très certainement de nous interroger sérieusement sur la régulation et la réduction progressive de ces modes de vie dispendieux et destructeurs. Nous parions que ces comportements, aujourd’hui indécents, ne feront plus rire d’ici quelques années. Le fou rire de MBappé, aux côtés de son entraîneur pathétique Galtier, que certains ont qualifié depuis de « tocard », seront même des exemples de l’inconscience encore de mise en ce début de siècle. Il est maintenant certain que nous subirons des canicules, des sécheresses, des tempêtes et des inondations de plus en plus sévères. L’heure ne sera plus à la rigolade ni à l’humour de comptoir. Le duo Galtier & Mbappé a donc marqué un gros but contre le PSG, dont il faut rappeler qu’il est détenu par Nasser Al-Khelaïfi, président de Qatar Sports Investments, entité financière d’une pétromonarchie très peu concernée par le réchauffement climatique !
Nous pouvons encore agir. Qu’attendons-nous ? Et au lieu de fustiger ceux qui défendent notre ‘’maison commune’’, ne serait-il pas temps de réfléchir en adultes responsables et d’exiger de nos gouvernants et législateurs un minimum de courage pour prendre les décisions qui s’imposent ?
PSG (Post-Scriptum Général) : si vous souhaitez appuyer la pétition du député Julien Bayou, c’est ici.