Face à un enfumage généralisé, qu’est-ce qui compte le plus : nos avis ou nos résistances ?
Nous ressentons de plus en plus les effets de la vaste culture de l’enfumage chez nos élites. Aujourd’hui, ce sont nos agriculteurs qui se révoltent contre une dérive technocratique qui les appauvrit et les pressurise depuis des décennies. Dérive permise par ceux-là mêmes qui prétendent vouloir les défendre… Il faut être aveugle pour ne pas voir que la volonté des lobbies, qui font le siège de nos Parlements nationaux et européen, a plus de poids que celle des peuples, prétendument souverains.
Non, la République n’est pas une Start-Up Nation.
Alors que nos concitoyens subissent les propos hallucinants de ministres déconnectés de la réalité des Français (cf. les propos hallucinants de la ministre Amélie Oudéa-Castera), ces derniers sentent bien qu’ils ne sont plus écoutés. Une dynamique qui mène droit à la révolte. Faut-il rappeler le mouvement des Gilets Jaunes, en 2018, que beaucoup n’ont pas compris ? Mais ce constat n’est pas nouveau. Petit rembobinage.
Depuis la Révolution française, aux parenthèses près de la Restauration et des Empires, nous vivons sous le régime de la représentation démocratique, censée fixer les lois de la République. C’est à dire notre cadre de vie commun. Mais la désignation des représentants du peuple a souffert d’entrée de jeu de défauts assez rédhibitoires.
Pauvres incultes et femmes influençables…
Rapide plongeon dans les entrailles du XIXème siècle. Les pauvres étant jugés incultes, avait été mis en place le suffrage censitaire, un mode de suffrage donnant le statut d’électeur aux seuls citoyens dont le total des impôts directs dépassait le cens (un seuil). Il aura fallu attendre la Deuxième République, en février 1848, pour que le suffrage censitaire soit remplacé par le suffrage universel … masculin.
Eh oui, après les pauvres « incultes », c’était au tour des femmes d’être jugées « influençables ». Il aura donc encore fallu 96 ans supplémentaires pour qu’elles accèdent au droit de vote et à celui de se présenter à une élection, accordés le 21 avril 1944… Comme tout droit acquis, arraché à la bienséance conservatrice, ceux-ci ont été gagnés grâce au combat de femmes courageuses et déterminées durant plus d’un siècle. Certains diraient aujourd’hui, des wokistes acharnées… Citons Marie Denizard, qui s’était présentée à l’élection présidentielle de 1913, ou encore Marguerite Durant, aux élections législatives de 1910, quand une autre femme, Louise Weiss, avait refusé ainsi d’intégrer le gouvernement Blum : « J’ai lutté pour être élue, pas pour être nommée ». Des femmes qui mériteraient, à l’instar de Gisèle Halimi, d’avoir leur plaque dans nos rues !
Un point rarement cité concerne la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Son article 1er précisait que « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits », suivi par l’abolition des privilèges, le 4 août 1789. Il apparaît clairement que l’égalité des droits ne s’entendait que parmi les hommes porteurs d’attributs masculins, puisque l’autre moitié de la population française – les femmes, allait devoir attendre très longtemps pour obtenir les mêmes privilèges que ces messieurs.
Déni de référendum en 2005
Beaucoup plus récemment, en dépit des apparats démocratiques d’un pays moderne, l’écoute des Français souffre manifestement de quelques faiblesses. Après les pauvres et les femmes, voilà que le « peuple » est jugé incompétent ou trop émotif pour émettre le moindre avis pertinent dans « un monde devenu complexe, multipolaire, blabla ». Ainsi, le 29 mai 2005, la population française a été appelée aux urnes pour le référendum sur le traité établissant une Constitution pour l’Europe (également appelé « traité de Rome » de 2004). La question posée aux électeurs était « Approuvez-vous le projet de loi qui autorise la ratification du traité établissant une constitution pour l’Europe ? ». L’ex-président Valéry Giscard d’Estaing y voyait « une bonne idée » mais « à condition que la réponse soit oui ».
Le résultat a pourtant été clair : le NON l’a emporté à 54,67% des voix. Même constat aux Pays-Bas (référendum du 1er juin 2005). Le traité de Rome avait donc dû subir une métamorphose de forme pour devenir le … traité de Lisbonne, approuvé par le Conseil européen le 10 octobre 2007 et signé le 13 décembre de la même année. De forme, car la majorité des amendements du traité de Rome avait été conservée dans celui de Lisbonne. Tour de passe-passe, donc, dans le dos des citoyens !
Des simulacres nommés Grand Débat national et Convention citoyenne pour le climat
Initié en novembre 2018, le mouvement décentralisé des Gilets Jaunes a ébranlé le pouvoir. Face à cette gronde-colère-révolte (au choix), le président Emmanuel Macron avait lancé LA parade : un Grand Débat national, organisé de mi-décembre 2018 à mi-mars 2019, autour de 4 grands thèmes : transition écologique, fiscalité, démocratie et citoyenneté, organisation de l’État et des services publics. Comme une ultime tentative pour calmer les esprits, au doux nom d’ « outil consultatif de sortie de crise ». Les débats-shows (autour de 10.000) ont donné lieu à deux millions de contributions et à près de 20.000 cahiers de doléances (pour reprendre un vieil usage remontant au XIVème siècle, pour adresser « plaintes, remontrances et demandes » au pouvoir). Faisant suite à cette « consultation » nationale, Emmanuel Macron a initié plusieurs projets, dont celui de la Convention citoyenne pour le climat, qui s’est tenue d’octobre 2019 à juin 2020 : 149 propositions en ont été émises par les 150 citoyens tirés au sort. Bilan (établi par Reporterre) : « D’après nos recherches, 90 % des propositions n’ont pas été reprises par l’exécutif. Cela représente tout de même 134 mesures sur les 149. Seulement 15 ont été retranscrites telles quelles par le gouvernement, dans le respect du « sans filtre ». » Que de vent pour si peu…
Enquêtes publiques fantoches
Terminons par un autre exemple, beaucoup plus local celui-ci. La société des Aéroports de la Côte d’Azur avait déposé une demande de permis de construire pour l’extension du terminal 2 de l’aéroport de Nice (projet T2.3). Objectif : permettre l’accueil de 7 millions de passagers supplémentaires par an, d’ici 2030, et par rapport à 2019, soit autour de 20.000 vols annuels en plus… Comme il se doit, la demande a fait l’objet d’avis réglementaires et d’une enquête publique. Car il est « normal » d’obtenir l’avis des citoyens sur un projet impactant leur vie quotidienne. L’enquête publique se déroule donc en deux temps : début octobre 2019, puis courant novembre 2019. Les citoyens répondent présents : 1202 avis sont déposés. Résultat : 75% de ces avis s’opposent au projet ! Et pourtant : la commissaire enquêtrice Fanny Azan-Brulhet remet son rapport d’enquête publique le 9 décembre 2019, suivi, le 19 décembre, d’un avis … favorable avec quelques réserves, devenues des recommandations (pour être plus agréable à la direction et aux actionnaires de l’aéroport). Ainsi, donc, assuré de la légitimité du projet, le Préfet des Alpes-Maritimes, Bernard Gonzalez, avait rapidement signé, le 13 janvier 2020, l’arrêté octroyant le permis de construire du T2.3.
Fin (provisoire) de l’histoire, qui démontre à quel point le conglomérat local politique (mené par Christian Estrosi), institutionnel (Préfet) et affairiste (aéroport et actionnaires privés) se contrefout des avis motivés des citoyens, pourtant très concernés par un tel projet.
Sur l’extension de l’aéroport de Nice, les citoyens n’ont pas dit leur dernier mot…
Fin provisoire de l’histoire, mais pas définitive, car ce permis a rapidement été attaqué, dès le 4 février 2020, devant la justice administrative par des associations et des citoyens niçois très déterminés. Après de longues procédures, ce recours en annulation du permis de construire est aujourd’hui en procédure d’appel devant la Cour administrative d’appel de Marseille. Dans sa décision en date du 14 décembre 2023, il est indiqué que l’arrêté du préfet est « susceptible d’être régularisé par l’organisation d’une enquête publique complémentaire, dans le cadre de laquelle seront soumis au public, outre l’avis de l’autorité environnementale recueilli à titre de régularisation, une nouvelle étude d’impact prenant en compte l’augmentation potentielle du trafic aérien du fait de l’augmentation de la capacité opérationnelle de l’aérogare résultant du projet, et le cas échéant son impact sur l’environnement et la santé humaine, (…) dans un délai de 12 mois. »
Une nouvelle enquête publique ? Mais dans quel but ? Pour une nouvelle mascarade ? Un nouveau simulacre d’écoute ?
Si les citoyens ne sont pas écoutés et font face à une hypocrisie généralisée, pour ne pas dire un enfumage de 1ère classe, ils savent aussi lever le nez, et affronter le landerneau des décideurs publics et privés qui contournent l’esprit des lois et de la République.
Pour nous aider !
Pour que vous soyez bien informé-e, sachez que le collectif citoyen 06 soutient depuis 2020, sur les volets techniques et opérationnels, le recours de l’association France Nature Environnement 06, actuellement requérante, qui est également soutenue plus largement par l’Alliance Ecologique et Sociale 06, regroupant une trentaine de collectifs et de syndicats locaux.
Si vous souhaitez apporter votre soutien, un seul clic et votre don nous permettra de poursuivre l’action en justice : https://urlz.fr/paX4 (dons Helloasso défiscalisables à hauteur de 66%). Chaque euro compte : merci !
A suivre !