Christian Estrosi, un homme d’avenir ou de passé révolu ? 2ème épisode
Cette série revient sur sa personnalité, ses postures et son bilan, faits et chiffres à l’appui. Vous affinerez alors votre opinion. Peut-être différente de celle d’hier.
Voici donc le 2ème épisode : Qui est vraiment Christian Estrosi ? Cet article peut s’inscrire (dit-on modestement) dans la longue tradition pamphlétaire. Et nous estimons que celle-ci a toute sa place dans une démocratie, usant d’une liberté encore un peu à l’abri des caméras et des « services » de surveillance, et surtout de la « bien-pensance » conservatrice et autocentrée. Si d’ailleurs, comme le répète le maire, « Nice respire ! », prenons-le au mot : que la démocratie locale respire ! Allez, respirons…
2ème épisode : Qui est vraiment Christian Estrosi ?
Les mieux placés pour approcher le cœur du personnage sont ceux qui l’ont (bien) connu jeune. C’était le cas d’une femme de grande culture, aujourd’hui disparue, ex-adjointe à la mairie de Nice et députée, qui n’hésitait pas à évoquer, s’agissant de Christian Estrosi, son « manque de confiance en lui » (observez juste la façon très fréquente dont sa main droite triture les doigts de sa main gauche…), son « besoin de mentor », précisant qu’il « écoute généralement le dernier qui a parlé », ce qui justifie la phrase régulièrement entendue dans les parages : « Souvent, Estrosi varie ». Ces propos, entendus en privé (de source absolument sûre), dénotaient d’une considération très relative pour le maire actuel, c’est le moins que l’on puisse dire. Il s’avère que de nombreux Niçois partagent cet avis sur leur maire, bien souvent sous forme de commisération, ce qui lui donnerait presque un côté touchant. Mais qu’on ne s’y trompe pas : la « bête » est coriace.
Même l’intéressé ne cache pas son « girouettisme ». Dans l’édition Nice-Matin du 16 septembre 2023, il affirme : « On prend des décisions, mais il faut savoir revenir sur ses choix. Moi, à Nice et à la tête de la Métropole, le nombre de fois où j’ai changé, pffffiiiit ! (il rit) ». Pas sûr que cette variabilité fasse beaucoup rire les Niçois…
Des Tontons flingueurs comme modèles
« Quand on est emmerdé par une affaire, il faut susciter une affaire dans l’affaire, et si nécessaire une autre affaire dans l’affaire de l’affaire, jusqu’à ce que personne n’y comprenne plus rien » (phrase résumant le « théorème de Pasqua »).
Comme tous les Niçois le savent, Christian Estrosi n’a jamais obtenu de diplôme, à commencer par le baccalauréat, ce qui lui vaut le qualificatif de motodidacte. Cette situation, qui n’a évidemment rien de déshonorant – nous insistons !, induit malheureusement, et assez souvent, quelques complexes surcompensés, pour parler comme des psys de comptoir. Le besoin de mentor, et celui de surpasser et de doubler, poussent Estrosi à admirer et honorer les hommes de clans, les chefs de bande et autres grandes gueules (comme sur RMC) : Médecin, un maire « à l’ancienne » peu enclin à respecter les règles républicaines, et Pasqua, Grassois aux accents corses et homme de réseaux et d’affaires (qui ont tous deux leur rue à Nice, contrairement à la grande féministe Gisèle Halimi, que la commission des noms de rue a refusée), Chirac (qui a son cours et sa statue de plâtre, dans le Vieux-Nice). Citons aussi son ami bling-bling Sarkozy (féru de bracelets Rolex, et lui-même ami du tsar Poutine), et Berlusconi (le sulfureux Cavaliere passionné de soirées bang-bang), mais aussi les empereurs (Napoléon 1er, responsable de millions de morts en Europe, nom dont il a osé baptiser la station terminale de tram au Port Lympia), sans oublier les compétiteurs (économiques et sportifs, notamment de F1 ou de moto). Car les (vrais) hommes aiment la poudre, le pétrole, la vitesse, la compétition et l’affrontement !
Un ami de Christian Estrosi, Franz-Olivier Giesbert, dit « FOG », a été directeur de la rédaction du Nouvel Observateur, directeur des rédactions du Figaro, puis directeur du Point, et directeur éditorial de La Provence. Ce journaliste est totalement en phase avec l’esprit viriliste que l’on retrouve chez les mâles Alpha de la Côte d’Azur. Citons-le : « Les vrais artistes n’ont jamais peur. Les grands hommes non plus. Les autres sont des tocards »… Bien le bonjour aux tocards, qui pourraient craindre à raison l’extrême-droite ou la catastrophe environnementale !
Un rapport chétif à l’art et la culture mais une passion viscérale pour le sport-business
Tant qu’à apprécier le grandiloquent, l’homme court également après les œuvres artistiques ou les constructions tapageuses et d’un autre temps (Iconic en étant … l’icône de verre et de métal qui écrase littéralement le centre-ville de Nice). Le rapport à l’art de Christian Estrosi est d’ailleurs très paradoxal : cet édile est capable de détruire un théâtre national (TNN), âme culturelle du cœur de ville, le qualifiant de « machin » et d’« atrocité architecturale » (sic) pour le supplanter par quelques bouquets d’arbres (la fameuse « forêt urbaine »), et d’imposer à la population, dans le même temps, les statues de résine mastocs de Richard Orlinski, ou encore le chien Totor, devant la gare Thiers (du nom du liquidateur des Communards en 1871 : Adolphe Thiers), sur les plages ou sur les ronds-points. Paris a sa Tour Eiffel, et Nice a son chien Totor… La classe !
Notons que la destruction traumatique, pour les Niçois, du TNN (même pour ceux qui ne le fréquentaient pas), s’est vue suivie de celle du Palais Acropolis, autre symbole de la ville. Car, à Nice, le maire casse du béton dans le centre-ville, ce dont il se targue pour s’affirmer comme « maire écologiste », mais bétonne intensivement des centaines d’hectares fertiles à l’ouest de la ville, dans le cœur de ce que sa technocratie a baptisé d’« Ecovallée »… Ahhh, l’Ecovallée… Citons Estrosi, lorsqu’il présidait le conseil général des Alpes-Maritimes : « Ce projet sera le modèle de développement durable et de protection de l’environnement de tous les grands sites urbanisés de la Méditerranée. Ce sera un phare de la Méditerranée en matière environnementale, un modèle de développement durable à nul autre pareil », avec la « volonté commune d’assurer une bio agriculture périurbaine, (de) laisser beaucoup d’espace à l’agriculture, à la biodiversité. » (extraits publics du rapport n°24 de la séance plénière du Budget Primitif du Conseil Général du 21 décembre 2007). Puisque la confiance n’exclut pas le contrôle, allez donc faire un tour dans ce « lieu d’agriculture et de biodiversité » : vous n’y verrez que des grues, des bétonnières, du béton armé, des routes, des parkings et des bâtiments de bureaux, dans un style frappé d’hétéroclisme froid et sans âme, pour ne pas dire plus (ou moins)…
Revenons à la culture officielle de la ville de Nice : elle pourrait donc être qualifiée de criarde ou d’immature, et finalement sans … culture, au sens noble du terme. Peut-être est-elle suggérée par quelques adjoints de piètre conseil, qu’il convient pourtant de ne pas trop critiquer ? L’écrivain-journaliste Henri-Jean Servat en a fait les frais en tant qu’adjoint-conseiller du maire de Nice, lorsqu’il se prit à critiquer les statues d’Orlinski, symbole de l’art moderne à la niçoise : il se fit « virer pour insolence, irrespect et franc-parler » (son tweet du 23 juin 2023). En clair : il se fit retirer ad nutum (ou illico presto, si vous préférez) toutes ses délégations municipales. Comme à Pyongyang (« Nice, métropole de Corée du Nord ? », suite du tweet). Deuxième carton jaune (après celui du 1er épisode) !
Le cumul de toutes ces attitudes douteuses laisse finalement apparaître une impression diffuse de mégalomanie surannée et d’autoritarisme (ou de paternalisme) latent, sur fond de perdition culturelle. Est-il d’ailleurs si étonnant que, malgré de coûteuses années de travail dans les bureaux municipaux, largement balayées par les monceaux de gravats du TNN, la ville de Nice n’ait pas même franchi la première étape de sa candidature au titre de Capitale européenne de la culture en 2028 ? Sans le dire, tout le monde s’en doutait à la mairie, y compris le patron…
Finalement, le maire préfère de loin le sport-business à la (vraie) culture, retrouvant ainsi ses premières amours de motard professionnel et d’adjoint aux sports de Jacques Médecin.
Contradictions, faux-semblants et incohérences
Christian Estrosi, puisqu’il s’agit de lui dans ces lignes, est un personnage rempli de contradictions. Ceci étant, nous le sommes tous et toutes. Mais nous ne sommes pas tous investis d’imperium et d’un concentré de responsabilités publiques, qui impactent de plein fouet le quotidien de centaines de milliers de nos concitoyens. Illustrons ce propos.
Il affiche une fidélité marquée aux rites et à la foi catholiques, franchissant allègrement les règles basiques de la laïcité sous prétexte de traditions, tout en menant une politique dure, quoique moins caricaturale que ses voisins de palier Ciotti et Vardon, à l’égard des personnes migrantes. Le message chrétien de solidarité à l’égard de l’étranger (Matthieu 25 :35), et sa propre origine immigrée, ne semblent pas beaucoup l’embarrasser. Étonnant ou logique ? Toutes ces postures simili-traditionnalistes ne sentent jamais très bon, quand elles surgissent dans le champ politique, sans même parler de la loi de 1905.
D’autres contradictions mériteraient davantage l’appellation d’ambivalences politiciennes proches des notions d’inconséquence, voire d’hypocrisie ou de cynisme. Celles qui ont trait par exemple à l’écologie et à la santé publique. Qui peut nier l’importance de la sincérité des décideurs publics en matière d’actions environnementales et sanitaires (les deux thèmes étant liés dans ce qu’on appelle aujourd’hui la « santé globale »), et le pouvoir totalement démobilisateur du greenwashing, grande spécialité locale ?
Nous développerons ce volet dans le 3ème épisode : Christian Estrosi est-il vraiment l’homme de la situation ? Ou est-il devenu un has-been, maître en faux-semblants ? C’est ce que nous verrons, en élargissant notre analyse, au-delà du volet environnemental et écologique, aux domaines sanitaire et social, et … financier.