Houston, we have a problem !
Cette phrase – souvent reprise, est proche de celle réellement adressée par l’astronaute Jack Swigert au centre de contrôle de mission de la NASA à Houston, lors de la mission catastrophique d’Apollo 13 en avril 1970.
Nice, we have a problem too…
Aujourd’hui, nous pourrions dire « Nice, we have a problem ! ». Un problème de climatoscepticisme croissant paradoxalement à la mesure de la montée du péril climatique.
Un scepticisme, frisant parfois une certaine forme de dénialisme, qui perfuse les milieux politiques, affairistes ou même médiatiques locaux. Des exemples ?
A Nice, le premier édile déclare l’état d’urgence climatique en 2019 et soutient le projet d’extension de l’aéroport qui induira une hausse des émissions de gaz à effet de serre de près de 400 000 tonnes de CO2eq par an. Christian Estrosi préside également la métropole Nice Côte d’Azur, dont le plan climat n’atteint aucun de ses objectifs depuis son lancement en 2012 (version actuelle 2019-2025).
Non moins problématique, certains médias locaux jouent la carte pernicieuse du scepticisme climatique. Très récemment, deux doubles-pages ont été offertes par la rédaction de Nice-Matin à des non-experts climatiques pour insuffler du doute, un doute devenu inadmissible en 2025, parce que ‘’débunké’’ depuis des décennies par les (vrais) experts.
Offensives de désinformation climatique
Première offensive de désinformation, le 15 décembre 2024, avec la double-page offerte à Jean de Kervasdoué, économiste de la santé et membre de l’Académie des Technologies, dans le cadre de la soirée de clôture annuelle Côte d’Azur Santé, animée par une journaliste de Nice-Matin. Lors de ce ‘’débat’’, M. de Kervasdoué a remis en question les connaissances et alertes scientifiques sur le climat, faisant très largement consensus aujourd’hui, et se permettant de reprendre des allégations sans fondement scientifique, tant sur l’énergie et le nucléaire que sur les OGM et la question agricole. Précisons que l’Université Côte d’Azur a été présentée comme partenaire historique, laquelle confirme ne pas avoir été consultée pour sa programmation.
En réaction, des dizaines de scientifiques, chercheurs, médecins et enseignants, ont adressé une lettre ouverte au journal Nice-Matin, pour demander un droit de réponse sous la forme du texte point-par-point, saisissant également le comité de déontologie journalistique, en raison d’une absence de contradiction apportée dans cet article sur un sujet d’intérêt général majeur, mais aussi la présidence du collège des sociétés savantes, pour alerter sur le manquement à l’intégrité scientifique de M. Kervasdoué, membre de l’Académie des Technologies, et enfin le déontologue de l’Université Côte d’Azur, pour alerter sur une instrumentalisation de la caution de l’institution à cet évènement public.
Moins de trois semaines plus tard, dans l’édition du 3 janvier 2025 – toujours sur une double page, c’était au tour de Stephen Giner, attaché de conservation au service de l’archéologie du Var, de reprendre les arguments relativistes des climatosceptiques, sans pouvoir être nullement considéré comme un expert du climat. Quelques exemples ici : ‘’Le climat a toujours varié’’, ‘’La Terre connaît douze mouvements différents’’ (précession des équinoxes, variation de l’excentricité de son orbite, tectonique des plaques, etc. : en somme les ‘’fameux’’ paramètres de Milankovitch), ‘’Le climat n’a pas attendu l’Homme pour varier’’, ‘’Il est pour l’instant impossible de quantifier la part de responsabilité de l’homme’’, ‘’Actuellement, la planète connaît un réchauffement climatique inscrit dans un cycle naturel’’, ‘’Dans des milliers d’années, nous allons connaître une phase glaciaire’’, etc.
Ce dernier dossier a également suscité de nombreuses réactions de climatologues et experts scientifiques sur les réseaux sociaux, dénonçant l’amalgame malsain et irresponsable entre opinions de non-experts et connaissances scientifiques. Cet amalgame, en pleine page de Nice-Matin et sans contradiction, pose un sérieux problème déontologique et moral, alors même que notre territoire azuréen est l’un des plus vulnérables sur la question du changement climatique.
A quoi joue cette PQR niçoise ?
Mais le plus grave se situe à l’étage supérieur : la réaction du directeur des rédactions du groupe Nice-Matin, Denis Carreaux, ne laisse pas de nous interroger (et précisons que ce n’est pas la première fois, loin s’en faut). Sur les réseaux sociaux, ce dernier s’offusque de nos interrogations et remarques, au nom d’un prétendu pluralisme journalistique et de la liberté de pensée. Notre intention n’est en aucune manière d’attaquer l’un ou l’autre de ces principes. Qui serions-nous pour agir ainsi ? Ce pas-de-côté est hors-sujet. Le même Denis Carreaux s’est même risqué à nous affubler d’un #policedelapensée (son tweet du 4 janvier).
Ainsi, le directeur des rédactions du groupe Nice-Matin considère que dénoncer des propos climatosceptiques, absolument infondés scientifiquement, est du ressort d’une « dictature de la pensée », voire d’une morale extrémiste ? Nous lui retournons donc la politesse : son aveuglement n’est-il pas celui d’un amateurisme pseudo-scientifique irresponsable ?
Quand Nice-Matin titre, le 15 décembre, « Il faut des réponses rationnelles sur les défis climatiques et sanitaires » (d’après les propos de Jean de Kervasdoué), qu’insinue-t-il, si ce n’est que réduire les émissions CO2 serait irrationnel ? Quand il titre, le 3 janvier, « Dans des milliers d’années, nous allons connaître une phase glaciaire », qu’entend-il adresser à son lectorat ? Ce genre de message, totalement décalé et hors-sujet, laisse à penser que les efforts drastiques qu’il va nous falloir réaliser pour lutter contre le changement climatique sont inutiles, puisqu’une glaciation couve. Un, ce message est scientifiquement faux. Deux, il est totalement démobilisateur. Faut-il rappeler à Denis Carreaux que notre région connaîtra une hausse des températures moyennes de plus de 4°C à la fin de ce siècle, et bien davantage au siècle prochain ? L’effet de ce « rassurisme », mâtiné de « relativisme », est absolument contraire aux engagements publics, aux attentes des scientifiques, et surtout aux fortes exigences climatiques. Ce journaliste en chef mélange donc pluralisme journalistique et urgence à ne pas démobiliser ni créer davantage de confusion, et, in fine, à ne pas changer les priorités du siècle du haut de son clavier, qui lui sert par ailleurs à écrire de fréquentes rubriques sur les grosses voitures. Certains termineraient ce propos par un « CQFD ». Peut-être mélange-t-il aussi opinion et fait scientifique ? Peut-être aussi pense-t-il que tout cela n’est que controverse ou bataille de chiffres ?
Le polémiste Claude Allègre nous a quittés le 4 janvier 2025. Mais rassurez-vous : le climatoscepticisme est en pleine forme !
Bref, n’en déplaise au directeur des rédactions de Nice-Matin, et afin d’exprimer en toute transparence notre trouble, partagé par de nombreux scientifiques, nous avons adressé un courrier à Simon Perrot, directeur général du groupe Nice-Matin, ainsi qu’à l’actionnaire principal Xavier Niel, et à Anthony Maarek.
Parce qu’il est temps de changer d’époque et de braquet, si l’on se considère comme un acteur responsable de la société civile.