Une « Écovallée » tout en équilibre, vraiment ?
Trois audios d’interviews disponibles dans cet article !
Lundi 11 décembre 2023, Xavier Latour, président de l’Établissement Public d’Aménagement (EPA) de l’Écovallée, a été interviewé par les journalistes de France Bleu Azur. Il est également professeur des Universités en droit public, conseiller municipal et vice-président de la Métropole Nice Côte d’Azur. L’évocation de ce cumul de postes peut répondre à quelques interrogations légitimes…
Technocratisme et ambiguïtés
Ce 11 décembre, les auditeurs de France Bleu Azur ont pu entendre un modèle de discours technocratique bien éloigné d’une réalité triviale : l’Écovallée niçoise est un terrain de jeux pour les urbanistes, les bétonneurs et autres promoteurs, et les terres fertiles y ont été (définitivement) sacrifiées.
Xavier Latour (XL) commence par décrire une plaine du Var « anarchique, occupée illégalement, dans laquelle la biodiversité était largement malmenée » : avant 2008. Année de grâce au cours de laquelle Christian Estrosi a décrété une Opération d’Intérêt National (OIN), gérée par l’EPA Écovallée. Et depuis 2008, tout devient « ordre et beauté, luxe, calme et volupté », comme l’écrivait Charles Baudelaire dans L’Invitation au Voyage. Aujourd’hui, selon le bureaucrate, « l’EPA concilie aménagement urbain et préservation de la plaine du Var et de sa biodiversité ». Comme disaient nos grand-mères, il vaut mieux entendre ça que d’être sourd… Lorsque le journaliste l’interpelle sur cette « ville dans la ville, qui n’a pas d’âme », XL répond « La vie s’installe, ça prend déjà ! », et mitterrandise : « il faut laisser du temps au temps ». A voir pourtant la frénésie bétonnière, on ne ressent pas vraiment que le temps est laissé au temps…
Lorsque XL est interrogé sur l’avancée des travaux, décidés en 2008, voilà qu’il annonce que nous en sommes à … « 16% de réalisation », en 15 ans ! Or il affirme être confiant et optimiste sur l’objectif de la livraison de l’Écovallée en 2032. Aurait-il investi dans un énorme turbo pour achever les 84% restants en un peu plus de 8 ans ?
Le verbiage se poursuit : « Le projet est très structuré », « les constructions se font de manière équilibrée », sur un « plan d’ensemble », mais le projet reste « évolutif »… On nous sert de la « terre d’expérimentation », du « territoire attractif », du « prototypage », de la « microproduction »… Puis voilà que surgit une grosse ambiguïté : XL affirme que l’EPA ne gère que 200 hectares sur les 10.000 hectares de la Plaine du Var (soit 2% de la superficie). Or il ne cesse d’évoquer des projets étalés sur les 10.000 hectares, notamment lorsqu’il s’avance sur l’agriculture… Et le site de l’EPA indique, en effet, que son périmètre d’action concerne bien les 10.000 hectares. Mais son président semble l’ignorer…
De l’ambition agricole, vraiment ?
La vision agricole de Xavier Latour semble totalement déconnectée des besoins d’une population très dense sur notre territoire. Que répond-il à une auditrice qui le questionne sur le « saccage des terres », l’échec de cette Écologie Vallée (qui se veut en fait une Économie Vallée), qui aurait pu mettre en avant « un vrai projet agricole », plutôt que du béton ?
Il répond que l’Écovallée porte une ambition agricole, avec des … « toits-potagers-terrasses » et des réinstallations d’agriculteurs vers Lingostière (qui se comptent pourtant sur les doigts d’une main depuis le début de la politique agricole de la métropole de Nice en 2014)…
Dans le confort de son bureau, a-t-il bien saisi le danger de ne disposer que de 1% d’autosuffisance alimentaire, sur un territoire hébergeant plus d’un million de personnes ? A-t-il une recette pour rendre le béton comestible ? Sait-il combien d’hectares agricoles sont nécessaires pour assurer ne serait-ce que 20% ou 30% d’autosuffisance alimentaire locale ? Question subsidiaire à propos de toits-terrasses agricoles censés nourrir les Niçois-es : vous les mettrez où vos panneaux photovoltaïques pour alimenter les immeubles ? Parce que Nice est aussi très (très) en retard sur les énergies renouvelables…
XL semble plus à l’aise pour évoquer des parcs urbains (qui ne nourriront personne, vous avez deviné), quand il sort le lapin du chapeau : tenez, 20 hectares sur Méridia ! C’est un peu comme l’extension de 8 hectares sur la Promenade du Paillon, tant vantée par son maître à penser Estrosi. Face à des centaines d’hectares en cours d’urbanisation intensive et livrées aux grues et bétonnières…
Des dizaines de milliers d’emplois, ah bon ?
Un représentant du Collectif Citoyen 06 a interpellé Xavier Latour sur les promesses d’emploi de l’Écovallée, qui n’ont cessé de dévisser depuis 2010 : de 50.000 emplois promis (des annonces de 60.000 emplois créés ont même été formulées), à 30.000, puis à 20.000, pour finir à 6.500 emplois créés en 2020 (selon l’ancien DG Olivier Sassi). XL répond par une pirouette disgracieuse « 30.000, c’est déjà bien, non ?« , avant de confirmer qu’en 2023, ce ne sont que « 9.700 emplois créés » (dont probablement de nombreux emplois transférés). Soit moins de 20% de la promesse initiale de Christian Estrosi…
XL continue ses gargarismes, avec la recherche (l’IMREDD et son laboratoire de physique), qui permet à l’Écovallée de damer le pion à Sophia Antipolis, puisque ces élus ne pensent que compétition territoriale, et non collaboration.
Des logements sociaux pour respecter la loi SRU, ah oui ?
Lorsque le représentant du Collectif Citoyen 06 évoque le manque de logements sociaux, XL, qui pense avoir réponse à tout (mais en fait non), répond par une promesse de « 12.500 logements, dont 30% à statut social ». Calculette : ce sont donc seulement 3.750 logements sociaux qui devraient sortir de terre (fertile). C’est si peu, quand on connaît les besoins très importants sur Nice ! Et ce ne sont évidemment pas ces moins de 4.000 logements sociaux qui vont permettre à la ville de Nice de respecter le taux légal de 25% de logements sociaux de la loi SRU, pour laquelle elle aurait dû être condamnée par l’ancien préfet Bernard Gonzalez (instruction judiciaire en cours).
Pour finir, alors que Christian Estrosi n’a que le mot « attractivité » à la bouche (en plus de celui de « sécurité »), XL précise : « Nous essayons de maîtriser le prix du foncier et du logement » alors que le maire travaille à attirer toujours plus de monde sur Nice. C’est donc logique qu’ils n’y parviennent pas ! Cher-es Niçois-es, retenez ceci : leur logiciel est définitivement obsolète.
Complément du 21 décembre 2023 : pour parachever le tout, le maire Estrosi a annoncé en conseil municipal, qu’il n’est finalement « pas question » d’appliquer l’encadrement des loyers à Nice… Un mesure pourtant déjà appliquée dans plusieurs grandes métropoles et villes françaises. En quoi est-il un « gaulliste social » ?
800 millions d’euros sur 200 hectares ?
Dernier point : le grisbi. A la question « Mais combien ça coûte ? », le président Xavier Latour répond que c’est … bien difficile de répondre, pour lâcher finalement, d’un ton très serein, le chiffre astronomique de 800 millions d’euros. Écrit autrement : 800.000.000 euros…
Ressortons vite la calculette ! 800 millions sur 200 hectares, représente donc 4 millions d’euros par hectare en moyenne, soit 400 euros du mètre carré. Pour combien d’emplois créés (ou déplacés) à ce jour ? 9.700. Ce qui nous fait, ma p’tite dame, 82.474 euros par emploi. Même si le calcul est un peu rapide et amalgamant, c’est quand même du (très) lourd…
Bref, Xavier Latour nous a offert une interview lunaire !
Pour résumer, la Plaine du Var est en cours de bétonisation frénétique, sur des terres parmi les plus fertiles du pays, pour peu d’emplois créés, peu de logements sociaux, et une « agriculture » de vitrine, qui ne récupèrera que les miettes d’une vision totalement déconnectée des enjeux du XXIème siècle. Sans les flots de camions logistiques sur l’autoroute A8, en cas de coup dur, les Niçois-es auront vite faim…
En attendant, ce sont les auditeurs et auditrices de France Bleu Azur, et ses journalistes, qui sont resté-es sur leur faim, ce 11 décembre 2023…
PS : lors de son interview, Xavier Latour a invité le représentant du Collectif Citoyen 06 à un échange-visite de l’EPA : nous avons répondu favorablement. A suivre.
Complément : la situation agroalimentaire est catastrophique dans les Alpes-Maritimes !
Deux jours après l’interview de Xavier Latour, le 13 décembre 2023, Jean-Philippe Frère, président de la FDSEA 06, est intervenu sur la même antenne France Bleu Azur pour dénoncer la situation catastrophique de l’agriculture dans la Plaine du Var, livrée à l’inconséquence des politiques locaux depuis des années.
De 3870 hectares cultivés (en 1950), la surface agricole est tombée à moins de 350 hectares, soit 10 fois moins ! Or 1 hectare sur des plaines alluvionnaires – la Plaine du Var compte les terres les plus riches de France, produit 20 tonnes d’aliments par an. L’autonomie alimentaire était de 70% dans les années 1970, et se situe à moins de 1% aujourd’hui. Les détournements d’usage y sont très nombreux et inacceptables : ces détournements concernent actuellement 280 parcelles agricoles pour une superficie de 68 hectares (casses auto, fourrière, illégalement installés). Il ne reste plus que deux espaces à potentiel agricole dans les Alpes-Maritimes : la Plaine du Var et la vallée de la Siagne.
Les messages alarmants de la FDSEA 06
- IL FAUT ARRÊTER DE BÉTONNER LA PLAINE DU VAR !
- IL FAUT SAUVER NOS AGRICULTEURS (1400 exploitants restants sur le 06, et 300 sur la Plaine du Var)
- LA ZAP DE 270 HA EST INSUFFISANTE, IL FAUT AU MOINS SANCTUARISER 600 HA
- LES POLITIQUES DOIVENT PROTÉGER LA POPULATION, OR L’AUTONOMIE ALIMENTAIRE EST DE MOINS DE 2 JOURS
- MODIFIER LE PROJET DES 3 RONDS-POINTS DE LA 202BIS QUI PRÉVOIT DE TRAVERSER DES TERRES AGRICOLES (DES RECOURS JUDICIAIRES SONT ENVISAGES)