Christian Estrosi, un homme d’avenir ou de passé révolu ? 1er épisode
Cet article, en fait une série de plusieurs épisodes, n’est pas comme les autres. Il pose une question centrale et légitime pour les habitants de la capitale de la Côte d’Azur : Christian Estrosi est-il encore un homme d’avenir ? Ou, questionné autrement, n’est-il pas un homme du passé, aux méthodes et aux stratégies dépassées ? Auquel cas, les Niçoises et Niçois ne devront pas rater la prochaine marche des élections municipales en 2026. Mais il faut un peu développer avant de conclure.
Le texte qui suit, au fil des épisodes, est plus long que d’accoutumée au vu du long CV du seigneur local – et il y a tant à dire !, et revient sur son bilan, faits et chiffres à l’appui. Vous affinerez alors votre opinion. Peut-être différente de celle d’hier. Voici le 1er épisode.
1er épisode : Naissance d’une bête politique
Le 7 juillet 2022, Christian Estrosi annonce devant 400 de ses fans que « l’objectif, c’est clair, c’est 2026. À fond », pour finir par un clin d’œil : « et même 2032 ! ». Vite, une calculette ! Le mandat 2032-2038 de la 5ème ville de France s’achèverait ainsi avec un vieux maire de 83 ans, usé par 55 ans de politique et par de multiples affaires… Les touristes seront accueillis à Nice par ce panneau dans le hall de l’aéroport : « Bienvenue à Nice, capitale de la gérontocratie ! »
Revenons un peu en arrière pour mieux comprendre ce personnage, qui se prétend, ou même se croit, à ce point indispensable à la ville-métropole de Nice, dans la longue lignée historique de ceux qui se sont pris pour des « hommes providentiels ».
Christian Estrosi, fils d’Italiens originaires d’Ombrie ayant immigré à Nice juste avant la seconde guerre mondiale, est ce qu’on appelle un « bébé Médecin ». Non Jean, le père ex-pétainiste, mais Jacques, le fils fort peu recommandable : Jacquou, le magouilleur corrompu mais apprécié de beaucoup de ses « clients électoraux », qui a fini par mourir en exil, après avoir fui la justice de son pays le 12 septembre 1990. Premier carton jaune. En 1983, ce dernier repère le jeune champion motocycliste Estrosi, alors âgé de 28 ans, et lui confie le poste de conseiller municipal adjoint aux sports. Le jeune motard raccroche alors le casque, pour entreprendre une compétition d’une tout autre nature. Cette cooptation changera – pour le meilleur ou pour le pire ?, le paysage niçois.
La suite ? Une série d’arrangements, parfois de compromissions et d’ententes tendancieuses, amènera cet autodidacte à différents postes-clés. Citons-les rapidement.
1988 : à l’âge de 33 ans, il est élu député dans la 5ème circonscription des Alpes-Maritimes.
Le 18 septembre 2003, suite à la démission de Charles Ginésy, Estrosi se voit élire président du conseil général du département.
Puis le jeune ambitieux vise les maroquins parisiens. Il se voit ainsi confier, du 2 juin 2005 au 15 mai 2007 celui de ministre délégué à l’Aménagement du territoire du gouvernement de Dominique de Villepin. Puis du 19 juin 2007 au 17 mars 2008, celui de secrétaire d’État chargé de l’Outre-mer auprès du Ministère de l’Intérieur, dans le gouvernement François Fillon II. Ensuite, du 23 juin 2009 au 14 novembre 2010, celui de ministre auprès de la ministre de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi, chargé de l’Industrie, dans le même gouvernement Fillon II. Néanmoins, il semble ardu de trouver quelque bilan authentiquement positif à ses quatre années passées sur ses postes secondaires de secrétaire d’État ou de ministre délégué, en dehors de l’étoffement de son réseautage personnel.
Entre-temps, le 21 octobre 2007, Estrosi annonce être candidat à la mairie de Nice, alors tenue par l’ancien parachutiste Jacques Peyrat, devenu avocat (défenseur notamment d’Albert Spaggiari, cerveau auto-proclamé du « casse du siècle » de juillet 1976 à la Société générale de Nice) puis maire. Durant la campagne, Christian Estrosi affirme souhaiter que la gestion de la ville devienne « plus honnête et plus transparente ». Cette sentence résonne étrangement aujourd’hui… Il est officiellement élu maire de Nice par le nouveau conseil municipal le 21 mars 2008, et n’hésite pas, durant ses premières années de mandat, à s’attribuer les projets hérités de son prédécesseur et à en multiplier les inaugurations. Non mais, pourquoi se gêner ?
Admirons le tableau de chasse : la députation, des ministères, la mairie de Nice. Que manque-t-il ? Mais oui, bien sûr : la région Provence-Alpes-Côte d’Azur ! C’est chose faite le 18 décembre 2015, date de son élection en tant que président du conseil régional de PACA. Précisons : grâce au retrait du PS en sa faveur, pour contrer le Front National. Voilà un point commun avec son jeune mentor de l’Élysée. Suite à la loi de non-cumul de mandats, il est aujourd’hui président délégué de son ami proche, Renaud Muselier, à la tête de la région Sud PACA.
Tout ceci nous amène à pointer l’aptitude du personnage, devenu une « bête politique », à louvoyer dans les coursives des palais de pouvoir, avec un opportunisme qu’il faut bien qualifier d’instinctif mais aussi d’élaboré, et parfois d’efficace.
Un opportunisme éclairé par ses revirements politiciens. Estrosi collectionne en effet les cartes de parti : RPR, UMP, LR (qu’il a quitté en mai 2021 pour « dérive droitière »), puis Horizons (lancé par l’ancien Premier ministre Édouard Philippe, devenu son meilleur ami), tout en se sentant très proche de La République En Marche (LREM) d’Emmanuel Macron, dont il a été un des parrains actifs lors de la campagne présidentielle de 2022. On ne sait jamais… N’oublions pas qu’en octobre 2017, Estrosi a également créé un mouvement d’élus locaux, devenu depuis un parti politique fort discret : « La France audacieuse », nom qu’il a, dit-on, discrètement subtilisé à un groupe de réflexion de la société civile, travaillant sur des études sur le développement durable et l’économie sociale… Le genre de « parti de réseau » qui n’a rien du parti populaire. Mais Estrosi n’est pas le seul à louvoyer du fond de la lointaine Côte d’Azur (vue des élites parisiennes), puisque son parcours partisan ressemble assez à celui de son voisin cannois, David Lisnard, encarté RPR, UMP, LR, puis SL (Soyons Libres !), avant de créer son propre parti « Nouvelle Énergie » en 2021. Qui décrochera la pole position ?
Un aquarium de requins bleus
Qui sait dire, finalement, le fond de la pensée politique de Christian Estrosi ? A part qu’elle manifeste un tropisme droitier très opportuniste, officiellement « centre droit », mais un centre plutôt bien décalé sur sa droite, qui conforte la teinte très azurée du paysage politique maralpin. Une teinte aux bleus variés, puisque, pour survivre politiquement, chacun doit pousser des coudes pour occuper une niche de chalandise politique assez spécifique pour se démarquer de ses voisins. Et ceux-là ont aussi les dents longues : le frère ennemi Ciotti, œuvrant au Nord, ou l’intrigant David Lisnard, à l’Ouest, tous naviguant à vue entre le centre extrême et la droite extrême, cette dernière se voyant renforcée, sans même lever le petit doigt, par chaque arrivée de pauvres migrants sur les rivages de Lampedusa ou de l’île de Lesvos. Car la misère du monde donne des ailerons à certains…
Oui, la scène politique locale est un aquarium de requins bleus ! Et Christian Estrosi semble y évoluer avec aisance… Comme l’ont écrit certains avant nous : « La Côte d’Azur est magnifique mais brutale ».
Un instant… On nous glisse à l’oreillette que Charles-Maurice de Talleyrand voudrait conclure : « Si les gens savaient par quels petits hommes ils sont gouvernés, ils se révolteraient vite ».
A suivre, avec le 2ème épisode : Qui est vraiment Christian Estrosi ? Un épisode un peu plus … intime.
Restez sur la fréquence ! 😉