Les grosses ficelles des imposteurs climatosceptiques

Nous sommes en 2025. Soit 260 ans après le début de l’ère industrielle et l’invention de la machine à vapeur de James Watt, ou 201 ans après l’hypothèse de Joseph Fourier sur l’effet de serre. Mais certains ‘’scientifiques’’ n’ont pourtant toujours pas compris en quoi le réchauffement climatique est un authentique péril pour la planète et l’humanité. Parlons du climatosceptique François Gervais.
Le climatoscepticisme n’est pas mort
« Non, non, non, non, Saint Eloi n’est pas mort » : certain-es d’entre vous reconnaîtront peut-être les paroles de la chanson paillarde « Le pou et l’araignée ».
Eh bien, non, non, non, non, le climatoscepticisme n’est pas mort. Y compris chez les élu-es de notre République, et notamment sur notre territoire. Nous en parlions dans notre article blog du 27 avril 2024. Et bien sûr, il est orchestré et décliné au plus haut de certains Etats ; les Etats-Unis en sont un terrible exemple aujourd’hui. En France, ce phénomène embarque près de 30% de la population, préférentiellement des personnes âgées de plus de 50 ans, et/ou votant à droite, ou encore ayant suivi un parcours scolaire plutôt court. Ce n’est donc pas un détail, qui ne dit rien de bon de notre lucidité collective face à un péril majeur, mais aussi de l’état d’inculture scientifique dans notre pays.
Jean Jaurès nous amène vers l’imposteur François Gervais
Voilà qu’en flânant dans l’excellente librairie Jean Jaurès, 2 rue Centrale à Nice, nous sommes tombés sur le dernier livre du climatosceptique François Gervais, sorti le 29 janvier aux éditions L’Artilleur : « Il n’y a pas d’apocalypse climatique – Modèles, mesures et prévisions : se délivrer de l’éco-anxiété ». Gervais est connu pour ses ouvrages aux titres tonitruants (on dirait ‘’putaclic’’ sur Internet) : « Le déraisonnement climatique », « Impasses climatiques », « Merci au CO2 », « L’urgence climatique est un leurre »… Et il n’est pas le seul à sévir sur ce créneau, puisqu’il partage ce marché de dupes avec le mathématicien Benoît Bittaud, le géophysicien Vincent Courtillot, ou encore le géographe Jean-Robert Pitte, ancien président de l’Université Paris-Sorbonne…
Les faux experts répandent leurs inepties
En premier lieu, il n’est pas difficile de constater qu’aucun de ces fumeux personnages n’est climatologue. Gervais est un expert des hautes températures qui éprouve manifestement de grandes difficultés à comprendre l’effet d’un réchauffement climatique de quelques degrés : il sait manier le marteau, mais pas la pince à épiler. Les géographes et géophysiciens sont, quant à eux (mais pas tous !), souvent enclins au climatoscepticisme. Les raisons sont assez simples à comprendre : ces experts sont habitués à traiter de phénomènes climatiques et géophysiques historiques (périodes de glaciation et interglaciaires, cycles solaires, activité volcanique, oscillation des grands courants océaniques, etc.), qui suivent un déterminisme naturel très ancien, et donc indépendant de l’espèce humaine. Le réchauffement climatique actuel ne semble donc être, pour eux, qu’un nouvel épisode de ces cycles naturels. Ces gens, pensant donc savoir, diffusent de dangereuses fake news, par le fait que leur expertise cloisonnée les empêche de prendre la mesure du caractère inédit et périlleux du réchauffement anthropique en cours.
Que nous raconte Gervais ?
La quatrième de couverture de ce dernier livre gervaisien annonce la couleur : « Le document officiel du GIEC intitulé Résumé à l’intention des décideurs émis dans le cadre du dernier rapport AR6 de 2023 indique que « chaque tranche de 1000 milliards de tonnes d’émissions cumulées de CO2 devrait probablement causer un accroissement de 0,27°C à 0,63°C de la température de surface globale, avec une meilleure estimation de 0,45°C.
L’augmentation annuelle de CO2 atmosphérique depuis une trentaine d’années fluctue autour de 2 parties par million soit 15,6 milliards de tonnes. On en déduit donc que le CO2 cause actuellement un réchauffement de la planète de 0,007°C par an. La France étant responsable de 0,8% des émissions mondiales, elle est donc à l’origine d’un réchauffement annuel de 0,000056°C. Face à ce chiffre trop faible pour être mesuré, il faut placer les 40 milliards d’euros réservés à la transition écologique dans le budget de la France, somme qui doit même passer à 66 milliards par an selon le rapport Pisany. Pour François Gervais, ces disproportions délirantes doivent maintenant être interrogées.
Ce faisant, il passe en revue plusieurs autres points importants, comme l’écart de 500% entre les projections des différents modèles utilisés par le GIEC ou la difficile question du chiffrage de la part humaine du CO2 émis. Autant de sujets qu’il aborde avec clarté en plaidant pour un retour à la science, seul moyen selon lui de retrouver la lucidité.
François Gervais était directeur de recherche au Centre de recherche sur la physique des hautes températures du CNRS avant d’être professeur des Universités. Il a été expert reviewer des rapports AR5 et AR5 du GIEC ».
Des émissions de fake news à la pelle
Pourquoi ce résumé comporte déjà, à lui seul, plusieurs erreurs fondamentales ? Parce que Gervais surfe sur la confusion entre forçage immédiat et effet cumulatif des émissions de gaz à effet de serre sur le climat. Le CO2 est un gaz à effet de serre cumulatif, qui conserve cet effet durant des siècles. Le réchauffement ne se mesure donc pas à l’aune des émissions annuelles. Ce pseudo-climatologue confond donc flux (annuel) et stock (en particulier depuis le début de l’ère industrielle).
Il ignore également que le climat, comme beaucoup d’autres phénomènes, est une boîte de Pandore, dans laquelle les effets linéaires sont remplacés par de très puissantes rétroactions et des effets de seuil. La règle de trois de Gervais est donc une petite (mais très mauvaise) plaisanterie.
Ensuite, son idée de ne cibler que la France est follement hypocrite. C’est également ignorer que les fleuves sont le fruit de la confluence de plusieurs rivières, ou que l’océan est constitué d’une myriade de gouttes d’eau. La France émet peut-être 0,8% du CO2 émis mondialement chaque année, aujourd’hui, mais elle aura contribué entre 1,4% et 2,3% des émissions historiques depuis 1850 (sans même compter les émissions de son empire colonial). Nous avons donc, en France, une authentique responsabilité et un vrai rôle à jouer.
Similitude entre une tonne de CO2 et un virus
Comme toujours, les climatosceptiques tirent leurs grosses ficelles. Quand ils évoquent la part de CO2 dans l’atmosphère terrestre (422 ppm aujourd’hui), ils s’amusent à la traduire en pourcentage pour en montrer l’insignifiance (apparente) : 0,04%. Ce raisonnement ressemble à celui de vouloir peser le poids d’un virus pour le comparer à celui du corps humain. Or ce virus peut nous faire tomber. Un exemple : le coronavirus SARS-CoV2 (covid-19) pèse 0,1 fg (femtogramme), soit 1 x 10-16 gramme. Son poids représente donc 0,000 000 000 000 000 000 14% du poids du corps. Est-il inoffensif pour autant ? Ceci pour dire que chaque ppm (partie par million) supplémentaire, chaque million de tonnes de CO2 supplémentaire, a un effet direct sur le climat. Tout le monde le sait. Sauf Gervais et ses vieux copains.
Enfin, Gervais glisse sous le tapis les autres gaz à effet de serre, dont certains sont beaucoup plus néfastes que le seul CO2. Citons juste le méthane (CH4), fortement émis par l’élevage par exemple, et le protoxyde d’azote (N20), émis par les engrais agricoles entre autres. Or ces deux gaz représentent l’équivalent d’1/3 de l’effet cumulé du CO2 depuis 1750, début de l’ère industrielle. Sur une période de 100 ans, le méthane et le protoxyde d’azote ont un pouvoir réchauffant respectivement 28 et 265 fois plus important que le CO2. Mais l’imposteur Gervais ne s’en embarrasse pas.
Avons-nous été délivrés ?
François Gervais nous a-t-il « délivrés de l’éco-anxiété » ? En fait, pour ce qui nous concerne, il aura réussi à nous inquiéter davantage, et surtout, à nous donner le seum…
Comme l’écrivait Paul Valéry : « Un état bien dangereux : croire comprendre ».