Attractivité : une machine de guerre climatosceptique pour l’économie
La question de l’attractivité (économique et touristique) est au cœur de nos politiques locales. Mais…
La Côte d’Azur, un territoire piégé par ses atouts ?
C’est peut-être contre-intuitif, mais la course à l’attractivité pourrait faire de la triade Soleil, Mer et Montagne notre meilleure ennemie : la Côte d’Azur serait-elle en train de devenir un territoire gaulois rétif à toute véritable écologie, comme un emblème d’une « COP de retard » ?
Il est un fait que le climat et la sauvegarde des terres fertiles sont les gros points aveugles de la politique d’attractivité acharnée de la métropole Nice Côte d’Azur, et plus largement de la région Sud PACA. Combien de temps ou de catastrophes faudra-t-il pour que les dirigeants publics et privés de ce territoire intègrent enfin pleinement les questions environnementales et sanitaires ? En changeant de trajectoire, c’est-à-dire en cessant de courir après cette attractivité permanente, au nom exclusif de l’économie, des chiffres d’affaires et du profit, et de cloîtrer les questions environnementales dans l’enclos de la com’ greenwashing.
La Côte d’Azur, et son cœur niçois déployé du littoral jusqu’à la cime du Gélas (3143 m) dans le haut Massif du Mercantour, en passant par le moyen et haut pays, sont mondialement connus, notamment depuis la fin du XIXème siècle. L’avocat-écrivain Stéphen Liégeard pouvait-il d’ailleurs imaginer le succès du territoire béni des dieux, qu’il a nommé pour la 1ère fois « Côte d’Azur » en 1887 ? Mais 137 ans plus tard, le contexte s’est bien complexifié, pour ne pas dire assombri : aujourd’hui, ce sont 6 limites planétaires sur 9 qui ont été dépassées par l’humanité, dont la limite climatique, puisque les 40 milliards de tonnes de CO2 et autres gaz à effet de serre émis chaque année dans l’atmosphère, à l’échelle mondiale, nous propulsent un peu plus dans une ère extrêmement périlleuse.
Il semble que nous ayons déjà oublié l’alerte d’Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, qui, le 20 septembre 2023, a lancé au monde que son addiction aux énergies fossiles avait « ouvert la porte de l’enfer »…
Se pourrait-il qu’une telle parole n’ait pas été entendue ou bien comprise par nombre de nos élus et responsables publics et privés, en particulier de Marseille à Nice ? Nous affirmons ici qu’ils l’ont parfaitement entendue, mais qu’ils préfèrent très largement rester accrochés à leurs dogmes de croissance, d’attractivité et de rayonnement, tels des enfants obnubilés par une sucette chatoyante : pensez donc, le soleil est si généreux, et l’argent si facile ! Côte d’Azur ou Côte d’Argent ? Mais à force de rayonner, le territoire devient, non pas radioactif, mais « climato-actif »…
Notre région capte les milliards d’euros, et évacue les externalités négatives sous le tapis des palaces, notamment les émissions CO2 des compagnies aériennes et de leurs milliers d’avions qui déversent leurs flots de touristes en provenance de tous les continents, le portefeuille gonflé de devises appétissantes.
Priorité absolue sur croissance, attractivité et rayonnement !
Un des chantres locaux de ce dogme fou de la croissance et de l’attractivité perpétuelles se nomme Christian Estrosi, et il sévit, comme vous le savez, à la tête de la région niçoise depuis 2008 (maire de Nice, puis président de sa métropole). Citons juste trois de ses propos :
- « Je suis pour une écologie de croissance » (Le Point, 14 octobre 2022) : voilà un nouveau concept hybride qu’il pourrait avoir bien du mal à définir,
- « Nous sommes dans une compétition mondiale d’attractivité » (les Entretiens de Nice, 15 octobre 2021) : un propos d’ancien motard de compétition ?,
- « Si je combats la décroissance de toutes mes forces, je serai toujours un militant de l’écologie au service de l’économie » (Twitter, 12 octobre 2021) : l’inverse est-il à ce point inenvisageable ?
Mais cet élu n’est pas le seul à pérorer sur la croissance « vitale » (mais létale, à terme) : 35 km plus à l’ouest, son collègue cannois (mais non son ami), David Lisnard, ne dit pas autre chose : « Le défi climatique ne se relèvera pas par la décroissance. Il se relèvera par beaucoup de croissance (…) » (vœux du 28 janvier 2023). Ces gens devraient réfléchir à ce propos du philosophe franco-suisse Dominique Bourg, sur France Inter le 25 avril 2024 : « nos modèles économiques nous amènent à la ruine ». Voilà où nous mène l’écologie de croissance, prétendument opposée à l’écologie punitive. La punition, ce sont ces irresponsables qui nous la préparent avec beaucoup d’ardeur !
Pour compléter le tableau, ajoutons quelques autres citations, autour notamment du pot de miel de l’attractivité : l’aéroport de Nice, qui s’évertue à attirer toujours plus d’abeilles (des insectes chargés de kérosène). Son patron, Franck Goldnadel (président du directoire des Aéroports de la Côte d’Azur), bien que payé pour accroître les bénéfices de sa société détenue majoritairement par le conglomérat privé italien Azzurra Aeroporti (Azzurra comme bleu … azur), se drape de vertu : « Je sers le territoire. » (Nice-Matin, 18 octobre 2021). Merci à ce bienfaiteur !
Sa directrice de communication, Hélène Navarro, a évidemment abondé, le 11 avril 2022, dans les pages de Nice-Matin et Monaco-Matin : « La reprise du trafic aérien est un indicateur de l’attractivité du territoire, car nous sommes au service de l’attractivité de la région. Donc, si le trafic repart, c’est bon signe pour tout le territoire (…) Nous sommes très optimistes (…) On compte 110 destinations au départ de Nice dont une vingtaine de nouveautés et le retour des long-courriers avec neuf destinations vers l’Amérique du Nord ou encore le Moyen-Orient.»
Nombreux sont leurs renforts, très intéressés à la tâche :
- « L’aéroport est un outil de connectivité fabuleux pour connecter le territoire à toutes les destinations européennes, voire nord-américaines ou asiatiques, en direct. » Philippe Servetti, ancien DG Team Côte d’Azur, 31 janvier 2022. Et pourquoi ces gens viennent-ils chez nous en avion ? La réponse, donnée par Jean-Sébastien Martinez, DG de l’Office de Tourisme Métropolitain (OTM) : « 70% des touristes voyagent pour le shopping. » Le même OTM qui multiplie avec le CRT, les communications touristiques vers Atlanta et Philadelphie (Nice-Matin du 23 avril 2024). Polluer pour faire du shopping ?…
- « Il ne faut pas oublier l’impact positif considérable que représentent l’augmentation du trafic à l’aéroport, mais aussi les travaux de Cap3000. » Bruno Mercadal, vice-président de la branche hôtellerie de la fédération Hôtellerie-Restauration et Tourisme de la Côte d’Azur, Nice-Matin du 13 août 2022.
- « Aujourd’hui, loin du surtourisme, nous pouvons compter sur la quantité comme sur la qualité (…) Motivés par les grands chantiers, les investisseurs ont fait pousser les hôtels comme des champignons chez nous ces derniers mois (…) Pour consolider cette dynamique, la ville compte bien développer davantage encore ses relations avec le Japon pour les prochaines saisons. » Christian Estrosi, conférence de presse, Nice-Presse du 19 septembre 2022.
- « L’attractivité résidentielle et d’investissement dans les Alpes-Maritimes (renforcement des capacités de l’aéroport de Nice, etc.) n’est plus à démontrer. » Marc Respor, président de FPI Côte d’Azur-Corse (Fédération des Promoteurs Immobiliers), Nice-Matin du 23 novembre 2022.
- « On a tous besoin du Sud (n.b. : mantra magique imaginé par le Comité Régional du Tourisme (CRT) Provence-Alpes-Côte d’Azur pour résister à la crise sanitaire). Et cela a fonctionné puisque 2021 a été la meilleure saison touristique depuis dix ans (…) On a la chance d’avoir une offre touristique sans égale, une quinzaine de palais des congrès, quatre aéroports dont deux internationaux, la 3ème place européenne en capacité hôtelière, des activités (golf, vélo…) sans parler de l’offre de restauration… Cela nous permet de rivaliser avec les plus grands comme les États-Unis ou la Chine. » François Barou de La Lombardière de Canson, président du CRT PACA, Monaco-Matin du 11 avril 2022. Vous aurez bien noté le mot « rivaliser », dans le droit fil du leitmotiv de Christian Estrosi : « On a vocation sur le terrain des très grands événements à rivaliser avec Barcelone et Milan. » Christian Estrosi, Nice-Matin du 16 janvier 2023.
Non, notre territoire n’est pas un champ de courses ni un Grand Prix de Formule 1 !
Et où est le problème ? M’en bati !
Les problématiques engendrées par la course à l’attractivité sont de plusieurs ordres : saturation du territoire, bouchons, pollutions atmosphériques, déchets, ponction de ressources (notamment l’eau), nuisances sonores, etc. Et émissions massives de gaz à effet de serre, celles-là mêmes que chacun rejette sur ses voisins.
Lorsque, le 31 mars 2023, Franck Goldnadel affirme sur BFM que : « L’aéroport de demain, c’est celui qui offrira la meilleure qualité de service avec le moindre impact environnemental pour préserver l’attractivité de son territoire. », il met le doigt sur le problème, de la manière la plus cynique qui soit. Ce businessman fait le maximum pour développer l’activité de son aéroport. Et en quoi consiste cette activité ? En flots de plus en plus denses d’avions. Et grâce à quoi volent ces engins ? Au kérosène. Et qu’émet ce liquide fossile, dont l’humanité (aisée) consomme plus d’un milliard de litres par jour ? Des gaz à effet de serre et des traînées de condensation, tous étant des facteurs de réchauffement climatique. D’autant que les touristes visés sont ceux provenant des autres continents. Ainsi, le CRT Côte d’Azur a pris pour axe de « démarcher des clientèles internationales. » (annonce du 11 mai 2023).
Vous voulez quelques chiffres ? L’aéroport de Nice a émis localement (en 2019, décollages et atterrissages) près de 150.000 tonnes de CO2e, et même 930.000 tonnes en incluant son périmètre ½ croisières (données officielles).
Pour rappel, un seul aller-retour d’un avion long-courrier (Dubaï, Pékin, Singapour, etc.) émet entre 500 et 1000 tonnes de CO2 dans l’atmosphère (un A380 consomme entre 10 et 12 tonnes de kérosène par heure). Bien qu’en comparaison, ce volume de 930.000 tonnes représente déjà 82% des émissions annuelles de la totalité de la ville de Nice (en 2019), il ne cesse d’augmenter : +30% entre 2010 et 2019.
Et son projet d’extension T2.3 (+50% de trafic passager d’ici 2030) accélèrera encore cette hausse ! Précisons que l’effet Covid-19 a déjà été effacé en 2023, le trafic aérien local ayant retrouvé son niveau de 2019.
Mais comment court-on après l’attractivité ?
Concrètement, avec des millions d’euros d’argent public. Ensuite, avec des stratégies, comme promouvoir la culture & le patrimoine, le sport & la nature active, le luxe (stratégie MNCA 2022, le 15 décembre 2021). Enfin, avec des moyens : beaucoup de com’, des campagnes et des labels, des agences et des comités, et de grands événements, beaucoup de grands événements : coupe du monde de rugby, Ironman, marathon, course Paris-Nice, arrivée du Tour de France 2024, Nice Climate Summit (26 septembre 2024), IBT 2024 (industrie et construction), Conférence des Nations Unis sur les Océans (5 juin 2025), marques de territoire (Nice Côte d’Azur – Open New Horizons), etc. Même les Jeux Olympiques (hiver 2030) sont convoqués pour attirer plus de monde dans les Alpes du Sud : le 26 avril 2024, Laurent Wauquiez s’est ainsi fendu d’un « Il faut réfléchir pour accueillir un maximum de public » (et Nice est concernée)…
D’autres exemples. Le 5 mai 2023, la Région PACA a lancé sa nouvelle campagne pour renforcer son attractivité : « Le soleil se lève au Sud », suivie, le 5 octobre 2023, par « Winter is the New Summer » (merci le réchauffement climatique, grâce auquel l’hiver se transmute en deuxième été !). Le 21 juillet 2021, Nice a été inscrite sur la liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO sous le libellé : « Nice, ville de villégiature d’hiver de Riviera ». Précisons que ne sont concernés que 7% de la superficie communale (522 hectares sur 7200). Ce que ne précise jamais Christian Estrosi, qui surfe allègrement sur la loi de Brandolini.
Autre moyen : on agrandit les installations de l’aéroport de Nice, avec son extension T2.3. Elle permettra d’augmenter de 7 millions de passagers le trafic d’ici 2030, et donc les chiffres d’affaires : le saint Graal !
Tout en développant l’activité hors-saison, question de lisser par le haut la fréquentation touristique de la Côte d’Azur. Le tout aggravera donc les symptômes de la maladie…
Enfin, on crée l’agence d’attractivité « Team (Nice) Côte d’Azur » (immeuble Nice Plaza) : « Invest in Côte d’Azur » : « L’agence d’attractivité se préoccupe à la fois de l’avenir écologique et de la croissance économique. » Phrase inepte et provocatrice, prononcée le 18 octobre 2021 par Jacques Richier, PDG d’Allianz France et président du Conseil de développement de la Métropole Nice Côte d’Azur (depuis 2015), ex INSA Lyon et HEC Paris.
Mais ça marche bien, l’attractivité, non ?
Si l’attractivité pollue, est-elle efficace au moins ? Oui, si on écoute Christian Estrosi. Le 27 février 2022, il affirmait que : « Nice est la ville la plus attractive de France » (Actu Nice).
Estrosi et consorts prennent leurs fantasmes pour des réalités, et ça nous coûte une blinde !
Or, passé l’effet de com’, il semble que ce ne soit pas si évident : on pouvait lire, dans les pages de Nice-Matin du 14 avril 2024 : « La métropole est-elle vraiment une des plus attractives de France ? Nice peine à se hisser dans les cimes du classement : l’observatoire des métropoles de Newton Offices et Stan a classé la métropole niçoise 9ème sur 12 aux yeux des chefs d’entreprises, et 7ème sur 12 à ceux des salariés ». Et régulièrement, les palmarès ne reflètent pas l’enthousiasme des annonces de nos dirigeants publics, que ce soit sur le niveau de chômage, de pauvreté, de qualité et de coût de la vie, etc. Rappelons juste que depuis 2008, Estrosi promet 50.000 emplois sur l’Ecovallée (chiffre très, très loin d’être atteint), et que nos villes maralpines souffrent d’une pauvreté bien plus élevée que la moyenne nationale (21% à Nice et Cannes, et plus encore chez les moins de 30 ans, contre 14,6% en France). Où est le bénéfice concret de cette attractivité ? Une population qui parvient d’autant moins à se loger et à vivre sur un territoire dont le foncier et les prix ne cessent de s’envoler, grâce à … l’attractivité. A Nice, 21.000 demandes de logement social sont en cours et la loi SRU n’y est pas du tout respectée (moins de 13% au lieu de 25%) ! Mais le maire préfère laisser construire des bureaux et des extensions de commerce… Parce que sa priorité reste axée sur le business et le BTP.
Ajoutons aussi que les touristes engendrent des contraintes sur les habitants. De plus en plus de territoires se rebellent d’ailleurs contre le surtourisme (Venise, Barcelone, Baléares, etc.). Un exemple, avec cette déclaration hallucinante d’Éric Abihssira, président de la fédération de l’hôtellerie-restauration et tourisme de la Côte d’Azur), le 24 avril 2023 : « Un client, quand il arrive dans un hôtel (…) doit être traité dans les meilleures conditions et donc (…) je pense que c’est plutôt aux citoyens français d’avoir à prendre en compte cette crise de l’eau. » Le Collectif Citoyen 06 avait vivement réagi sur cette imbécilité.
La vraie question : l’argent, devenu un but et non un moyen (pour quelques-uns, qui profitent du business), mérite-t-il à ce point de s’asseoir sur le bien-être des populations et l’avenir de nos jeunes ?
Concluons !
Vous l’aurez compris : les « attracteurs » et « croissancistes » sont restés coincés dans les Trente Glorieuses, ces années d’insouciance environnementale et climatique, où seul comptait le profit économique et financier, quitte à imposer les fortes contraintes du surtourisme aux populations. Or, aujourd’hui, les alertes scientifiques se multiplient, et les connaissances sont limpides : il faut calmer le jeu d’urgence, cesser de promouvoir les activités fossiles et extractivistes, et s’occuper des politiques sociales, d’éducation et de prévention. Tous ces élus sont donc, très clairement, des climato-sceptiques, voire des climato-dénialistes (déni climatique) et des anti-sociaux : des « serial deniers ». Compte tenu de leur aveuglement, le plus sûr serait, non d’envisager une mise à jour de leur logiciel cérébral, mais de les remplacer par des décideurs plus mûrs et conscients des enjeux urgents qui sont devant nous.
Pour un tourisme (réellement) raisonné et une économie (vraiment) durable et diversifiée !