Le motocrate niçois resserre les boulons et clive la politique locale
Nota Bene : article écrit selon la tradition pamphlétaire. Si cela est encore permis…
Mercredi 10 juillet 2024. La France nage en pleine confusion politique. Qu’à cela ne tienne, Christian Estrosi choisit précisément cet instant pour jouer son petit psychodrame nissart et remettre un peu de vent dans les voiles du barnum.
Au terme du conseil métropolitain, voilà Estrosi qui prend un ton très solennel pour dénoncer ses ennemis (et donc ceux de « sa » métropole) et annoncer, sur un ton affecté, sa démission de la fonction de président de la Métropole Nice Côte d’Azur. Dès cette annonce, il dépose (évidemment) sa candidature, confiant la responsabilité du nouveau groupe « Rassemblement républicain » à l’un de ses plus fidèles compagnons : Pierre-Paul Léonelli, dit PPL. Ce Corse, né à Corte et arrivé à Nice en 1970, a été le dernier directeur de cabinet (1988) du maire corrompu (et condamné) Jacques Médecin, dont il dit qu’il était un « homme libre, provocateur, pro-Algérie française, anti-gaulliste (puisqu’il disait du général qu’il n’aspirait qu’à devenir dictateur), extrêmement à droite ». Rappelons juste, pour les plus jeunes, que son idole Jacques Médecin a été le grand manitou niçois d’un système clientélaire et corruptif, et que rattrapé par les affaires, il a dû fuir en Uruguay en 1990 où il est décédé… Médecin disait de Jean-Marie Le Pen, fondateur du Front National, qu’il était un « homme tranquille, lucide et courageux » dont il s’honorait d’être « l’ami depuis trente ans »…
Pour résumer : Estrosi, un « bébé Médecin », confie la reprise en main de son landerneau politique à un admirateur de Jacques Médecin, l’ami de trente ans du fondateur du FN, un parti dont il affirme aujourd’hui que son métabolite RN représente le plus grand danger… Ces gens n’ont donc aucune cohérence.
Au passage, PPL cumule déjà nombre de postes (certains ayant même fait tiquer la chambre régionale des comptes en 2020), dont celui de vice-président délégué à la « collecte-valorisation des déchets-propreté », et se trouve être président des « Amis du maire » (Estrosi) ou encore du groupe « Notre région d’abord », puisqu’il est aussi vice-président du conseil régional PACA…
Qu’est-ce donc que ce nouveau « Rassemblement républicain » ?
Il est annoncé comme étant composé « d’élus sans étiquette et indépendants, LR, Horizons, Renaissance, Modem, UDI, Les centristes, Parti Radical, Parti Radical de Gauche, Mouvement républicain et citoyen ». Estrosi précise qu’il rassemblera « tout l’arc républicain sans sa totalité et dans lequel se reconnaît une large majorité ». Il manque juste une corde à son arc, puisqu’Estrosi, qui se prétend écologiste, a juste oublié de citer les … écologistes, dont plusieurs représentants ont pourtant été élus par les Niçois-es.
Dans une interview à Nice-Matin en décembre 2023, PPL affirmait que « Christian Estrosi est un bon produit », « quelqu’un qui rassemble, qui fait, qui additionne, c’est pas quelqu’un qui divise », qu’à Nice « il n’y en a qu’un qui dirige, c’est Christian Estrosi. »
Dans une même lancée, il continuait ainsi : « Si certains maires critiquent la Métropole, c’est parce qu’ils sont pris en otage dans le combat entre Éric Ciotti et Christian Estrosi ».
Sept mois après, nous y voilà !
Une charte pour cliver, polariser et mater la politique niçoise
Estrosi a donc chargé son émissaire médeciniste PPL d’adresser aux élus (mais pas à tous) une « charte des valeurs essentielles », pour distinguer le bon grain de l’ivraie, comme disait Saint Matthieu.
Cette charte énumère cinq principes, sur lesquels doivent s’engager les heureux signataires, avant le 12 juillet 2024 à 18 heures (c’est donc un ultimatum) :
- « Je défends la métropole, l’exécutif et son administration ;
- Je refuse toute alliance avec le Rassemblement national et La France insoumise ;
- Je défends la solidarité et l’équité entre le littoral, le moyen et le haut-pays ;
- Je m’engage à voter le budget et à soutenir l’action de la métropole ;
- Je participerai aux réunions du groupe Rassemblement républicain où seront débattues toutes les orientations politiques et stratégiques avant leur examen dans l’hémicycle, à l’image des autres assemblées territoriales. »
A celles et ceux qui refusent de signer, Estrosi annonce qu’ils « siègeront avec le Rassemblement national ». La messe est dite : ce sera donc les républicains contre les nationaux, un clivage sans nuances ni concessions. Voilà la vision estrosienne et léonellienne de la démocratie locale, une pensée manichéenne comme les aimait George W. Bush : « le camp du bien contre celui du mal ». La diabolisation est donc étendue du RN à LFI, quand elle n’est pas appliquée aussi aux écologistes et à l’ensemble du Nouveau Front Populaire ! La démocratie, à l’Elysée comme rue de la mairie à Nice, se résume donc à présent à « c’est moi ou le chaos ». Moi seul. Evidemment ! A moins que ce ne soit « c’est moi ET le chaos » ?…
Que penser de ce théâtre ?
Notre analyse est que l’animal politique Christian Estrosi a senti qu’il était débordé politiquement et invisibilisé médiatiquement par le trublion LRN et ennemi juré : Éric Ciotti, son ancien collaborateur parlementaire (1988) et premier adjoint (2008), avant d’être le dynamiteur en chef de la droite conservatrice. Autant dire que pour le politicien Estrosi, la situation est insupportable, surtout au moment où tous les paris politiques sont possibles sur la scène nationale. Il faut donc faire un coup, comme savait le faire son héros Napoléon 1er : il démissionne ! Mais a-t-il réfléchi à la façon dont s’est achevée la bataille de Trafalgar ?
Les Niçois-es et les Métropolitains souffrent de la guéguerre picrocholine entre ces deux renards de la politique depuis des années : pendant qu’ils dépensent une énergie folle dans ces échauffourées, les citoyens niçois et maralpins vivent dans une précarité croissante (plus de 21% de taux de pauvreté), et la sécurité ne s’améliore pas, malgré un réseau orwellien de surveillance et la 1ère police de France. C’est très certainement que leurs petites ambitions personnelles et leurs jeux politiciens importent davantage à leurs yeux que le bien-être des populations…
Obligation d’allégeance ou diabolisation
Revenons à la charte. Ses principes sont clairs : si on n’a pas le cœur RN, comme son ennemi Ciotti, on doit défendre la métropole et son exécutif. C’est-à-dire lui, puisque c’est « le chef », comme nous l’a rappelé PPL. Autrefois, on appelait cela une obligation d’allégeance. Le parlement métropolitain (le conseil) n’a jamais été un lieu de débats réellement démocratiques, mais bien plutôt une chambre d’enregistrement.
Mais avec cette reprise en main, façon Xi Jinping ou Politburo, on peut imaginer que le climat ne va pas s’apaiser, avec des purges prévisibles dans le champ des vice-présidences et des commissions, comme le pense le conseiller d’opposition Jean-Christophe Picard.
Beaucoup s’amusent à qualifier le maire de Nice de « motodidacte », eu égard à son passé de coureur motocycliste et à son absence de diplôme. Mais ce qui se passe aujourd’hui à Nice ressemble de plus en plus à de l’autocratie locale qu’à une démocratie délibérative. Certains pourraient donc être tentés de le baptiser aujourd’hui de « motocrate ». Un « motocrate » qui aurait juste oublié qu’il n’a été gratifié que de 28.326 voix au 1er tour des élections municipales de 2020, soit 13% des inscrits… Ce matage politique, en 2024, pourrait lui coûter cher dans les temps à venir.
Post-Scriptum
A celles et ceux qui ne nous lisent pas souvent, nous ne sommes absolument pas encartés (ni LFI, ni sympathisants des idées nauséabondes du LRN Ciotti ou du RN antilibéral, xénophobe, homophobe et climatosceptique).
Nous aspirons juste à la fin des rentiers cumulards et bellicistes de la politique, à un grand renouvellement politique, porté par le progressisme social et l’écologie, à la sincérité et à la montée en puissance de la société civile, de jeunes, et notamment de femmes, et à la défense de l’intérêt général contre les intérêts financiers de certains. A Nice, comme dans l’ensemble de notre beau pays.