Politique : les masques tombent, à Nice comme ailleurs
A l’occasion des élections européennes et des élections législatives anticipées de juin 2024, le trublion de la droite française, Éric Ciotti, a débauché à tour de bras dans la société civile. Ses prises de guerre concernent autant la sphère militaire (général Christophe Gomart, ex-patron du renseignement militaire) que le monde médical niçois : les professeurs de médecine (tous deux chirurgiens) Laurent Castillo et, très récemment, Patrick Baqué, suppléant d’Éric Ciotti aux Législatives, rien de moins.
Les masques sont donc tombés sur le tombeau d’Hippocrate et le bâton d’Esculape (caducée)…
Quand les pontes de la médecine niçoise dérapent
Nous allons nous tourner vers ces deux figures locales, et notamment le Pr Baqué. Pourquoi ? Parce qu’à la différence du Pr Castillo, qui avait rallié Éric Ciotti, alors qu’il n’était « que » président du parti Les Républicains, le Pr Baqué l’a rejoint après son ralliement surprise au parti Rassemblement National de Marine Le Pen le 11 juin 2024, dynamitant au passage la droite « classique ». Nous ne pouvons pas douter que ces médecins de haut rang ont agi de manière assumée et en toute connaissance de cause.
Nous traduisons aussi que l’ennemi juré de Christian Estrosi et le doyen honoraire de la Faculté de médecine de Nice font officiellement et ouvertement leurs les idées du parti d’extrême droite RN, métabolite masqué du FN, fondé par un autre « doyen » : Jean-Marie Le Pen, provocateur polémiste d’extrême droite bien connu, régulièrement condamné pour racisme, antisémitisme, provocation à la haine et à la violence raciale, et apologie de crime de guerre, et mis en examen pour détournement de fonds publics et complicité de ce délit (procès en novembre 2024). Le Front National a été non seulement fondé par JM Le Pen, mais aussi par les anciens Waffen-SS Pierre Bousquet et Léon Gaultier, des sympathisants néonazis et des nostalgiques de l’Algérie française (OAS). Et ça n’est pas le jeune et sémillant Bardella, à l’inexpérience hypertrophiée, qui va nous faire oublier l’histoire…
Des ralliements qui interrogent !
Bref, face à ces ralliements, nous ressentons un grand malaise. Qu’un politicien calculateur et ambitieux comme Éric Ciotti manœuvre, bataille, rampe, pour prendre la lumière et grapiller des postes (ministre de l’intérieur, maire de Nice) est une chose. Que des professeurs de médecine, figures d’une science humaniste et universaliste, s’affichent et s’impliquent politiquement sous une bannière extrémiste de droite, en est une toute autre.
Un aparté : nous maintenons cette terminologie d’extrême droite, car dans sa décision du 11 mars 2024, le Conseil d’Etat a jugé que le nuancier politique (établi pour les élections sénatoriales de 2023), ne comporte pas d’erreur manifeste d’appréciation : autrement dit, s’il n’a pas strictement jugé ce point, il a reconnu la position historique d’extrême droite du RN. Éric Ciotti, les Pr Castillo (parce qu’il est resté ciottiste et n’a pas démissionné) et Baqué (parce qu’il l’est officiellement devenu), sont de facto des sympathisants actifs du corpus nauséabond du RN.
Naturellement, ce fait est passé sous silence dans la profession de foi du duo Ciotti-Baqué largement diffusée dans la 1ère circonscription des Alpes-Maritimes. Il n’y est question que de valeurs d’ordre et de mérite, de déclinisme, de nationalisme et de souverainisme. Mais rien sur l’Europe et sur l’enjeu écologique ! Les obsessions sont également mises sous le tapis : passage sous silence de leur thème central de l’immigration bouc émissaire et du grand remplacement, concept nauséabond du xénophobe Renaud Camus, et Ciotti n’évoque que les personnalités souvent jugées les plus clivantes de gauche, Mélenchon et ses Insoumis, ou Poutou, et non Marine Tondelier, Manuel Bompard ou Olivier Faure. Alors que l’extrême droite populiste et fascisante s’étoffe en France comme en Europe, Ciotti ne voit dans le Nouveau Front Populaire, qu’il ne nomme jamais, qu’« une extrême-gauche représentant aujourd’hui le premier des dangers qui nous menacent ». Quand il aborde les « valeurs fondatrices de la France », il ne dit mot de la tradition d’accueil, d’asile, d’ouverture et d’intégration. Quand il évoque la « destruction méthodique de notre patrimoine », de quel patrimoine parle-t-il ?
Parlons un peu de cette droite réactionnaire et ultraconservatrice
Il est temps de rappeler les valeurs historiques de la droite, que sont l’ultralibéralisme, la compétition belliciste tous azimuts, l’écologie de façade, pour ne pas dire le climatoscepticisme, la croissance économique permanente (et donc l’extractivisme) et la soumission aux diktats du grand patronat, le féminisme très relatif, le catholicisme traditionnaliste et électoraliste, le déni forcené des déterminants sociaux… Comme si cela ne suffisait pas, Éric Ciotti et sa clique poussent le bouchon un peu plus loin (car la droite semble trop à gauche), avec la suppression du droit du sol, la « préférence nationale » sur l’emploi et le logement, la création d’un « Guantanamo à la française », la menace d’un « grand remplacement » fantasmagorique, etc.
Ces ralliements vont clairement dans le sens du renforcement de la stigmatisation, et du racisme sous-jacent, du débridage des idées de fonds de cuve, couvrant coupablement les « descentes » des groupuscules d’ultra-droite, les propos indignes du polémiste Alain Finkielkraut (sur le « surplus numéraire des enfants gazaouis qui n’ont aucune place dans le monde », sur le viol (« violez, violez, violez. Voilà ! Je dis aux hommes : violez les femmes »). Citons également les odieux dérapages de plusieurs candidats RN aux Législatives de juin 2024 : Julien Rancoule (Aude) : « Va faire la soupe, salope » (adressé à deux députées), Gilles Bourdouleix (Maine-et-Loire) : « Hitler n’en a peut-être pas tué assez » (à propos des gens du voyage), Christophe Bentz (Haute-Marne) : « L’IVG est un génocide de masse », Frédéric Boccaletti (Var) a vendu des livres niant l’existence de la shoah dans sa librairie, Françoise Billaud (Côtes-d’Armor) a rendu hommage au maréchal Pétain sur Facebook, Grégory Renard (Morbihan) traite les Maghrébins de « bougnoules » sur Twitter-X…
Revenons à Nice et aux Pr Castillo et Baqué : ont-ils pris la pleine mesure de l’image publique qu’ils renvoient à nos concitoyen-nes, et du message qu’ils adressent à la vaste communauté des soignants ? Ces personnes instruites et intelligentes ont-elles compris qu’elles jouaient le rôle d’ « idiots utiles » au profit de politiciens sans principe ni moralité ?
Notamment un politicien nommé Ciotti, parfois qualifié de « petit Laval », de « Benito », de … « traître ». On lit également dans les colonnes du Monde (27 juin 2024) que « sous le label ‘’A droite, les amis d’Éric Ciotti’’ se mêlent d’anciens zemmouristes, des proches de Marion Maréchal, des chroniqueurs de CNews, ou encore un porte-parole de Donald Trump en France… ». Allo, docteur ?
Des médecins qui ont oublié le sens de leur serment ?
Dans l’édition Nice-Matin du 7 février 2018, on pouvait lire que le Pr Baqué prenait garde « à éviter les chausse-trappes de la politique », affirmant que « La médecine n’est ni de droite ni de gauche, c’est peut-être ce qui me distingue de mon prédécesseur [le professeur Benchimol qui fût un temps adjoint de Christian Estrosi]… », ou encore « Je pense avoir d’aussi bonnes relations avec Christian Estrosi qu’avec Eric Ciotti. L’université a ce devoir de déconnection des réseaux. La politique, la religion, les francs-maçons n’y ont pas leur place. La liberté de penser est un trésor », « On a de la chance de faire ce métier. C’est un métier d’altruisme, d’affect, un métier très chargé. Je pense que j’en ai la même vision que mon père… », « Le savoir-être est aussi important que le savoir-faire ».
Rappelons au passage que le Pr Baqué n’est pas seulement chirurgien, mais aussi chef de service, professeur des Universités, doyen honoraire à la Faculté de Médecine de Nice, membre de l’Académie nationale de chirurgie et membre correspondant de l’Académie de Médecine : une sommité du monde médical et scientifique local et national. Ces deux personnalités sont donc des médecins qui ont juré sur le serment d’Hippocrate. Que dit ce serment ? Extraits :
- « Mon premier souci sera de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux. »
- « Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune discrimination selon leur état ou leurs convictions. J’interviendrai pour les protéger si elles sont affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou leur dignité. »
- « Je donnerai mes soins à l’indigent et à quiconque me les demandera. »
- « Je n’entreprendrai rien qui dépasse mes compétences. » Que penser des compétences politiques, puisque le Pr Baqué peut prétendre un jour être député suppléant ?
- « Que je sois déshonoré(e) et méprisé(e) si j’y manque.” : faut-il en dire davantage ?
Citons également la déclaration de Genève également intitulée Serment du médecin, adoptée par l’assemblée générale de l’Association médicale mondiale en 1948, et figurant en annexe du code de déontologie médicale. Que dit-elle ? Extraits :
- « Je prends l’engagement solennel de consacrer ma vie au service de l’humanité. »
- « Je ne permettrai pas que des considérations d’âge, de maladie ou d’infirmité, de croyance, d’origine ethnique, de genre, de nationalité, d’affiliation politique, de race, d’orientation sexuelle, de statut social ou tout autre facteur s’interposent entre mon devoir et mon patient. »
- « Je perpétuerai l’honneur et les nobles traditions de la profession médicale. »
- « Je n’utiliserai pas mes connaissances médicales pour enfreindre les droits humains et les libertés civiques, même sous la contrainte. »
La chute des héros
Le Pr Baqué, dont Goldorak était le héros d’enfance (de ses propres propos), n’est plus un héros niçois. A moins qu’il ne se ravise (mais le mal est fait) ?
Il nous reste ces questions fondamentales : comment donc, ces médecins consacrés par autant de titres prestigieux, peuvent-ils se compromettre (se déshonorer ?) avec un parti aux relents xénophobes et faire un pareil grand écart avec les principes d’humanité fondateurs de leur noble profession ? Comment peuvent-ils oublier à ce point le concept de santé globale, recouvrant tous les aspects de la santé humaine, animale et planétaire ? Comment un médecin ne peut-il se sentir l’âme écologique, puisque l’écologie a pour objectif précisément de prendre soin de l’environnement et de la vie ? Comment peut-il ne pas être solidaire des misères humaines ?
Nous sommes sonnés, révoltés et écœurés. Mais pas découragés : juste déterminés.