Européennes 2024 : pas de progrès humain ni d’écologie avec les ultraconservateurs
Les élections européennes du 9 juin 2024 approchent à grands pas ! Il est temps de nous poser quelques questions (très) sérieuses.
Face aux enjeux gigantesques auxquelles l’humanité est confrontée, en ce XXIème siècle sortant à peine de l’adolescence, nous sommes en droit de nous interroger sur la pertinence du vieux clivage Gauche-Droite (remontant à la Révolution de 1789), toujours très présent dans nos esprits et nos assemblées. Il nous paraît même encore plus intéressant de nous questionner sur l’adéquation (ou non) de la pensée de droite et d’extrême droite, puisqu’elle semble conquérir les opinions – du moins dans les sondages, avec les défis du changement climatique et des désordres sociétaux (injustices croissantes), en France comme à l’échelle planétaire.
Les conservateurs conservent le monde d’avant
Parlons donc un peu de cette Droite… Quels sont les fondements de son conservatisme patent, qu’il est parfois difficile de ne pas qualifier de névrotique ?
Notons, factuellement, que les conservateurs expriment un attachement viscéral au monde d’avant. Si c’est bien un truisme que de rappeler que les conservateurs conservent, cela a toute son importance, à l’heure où, de toute évidence, il nous faut changer de nombreux aspects de nos modes de vie, tant matériels (extractivisme, énergies fossiles…) que relationnels (solidarité et partage). Non par lubie, mais par nécessité, pour donner une chance de durabilité à notre aventure humaine. Illustrons ce propos.
Un des vieux piliers du système niçois Médecin-Estrosi, Pierre-Paul Léonelli, s’est livré sur Twitter, le 13 septembre 2020, en des termes très explicites : « Aujourd’hui il faut être conscient et le dénoncer que des élus verts profitent de l’alibi écologique pour entreprendre de modifier notre modèle de société et de s’attaquer à nos choix de vie #NousNeSommesPasDupes »…
Le dogme central de ces gens tourne autour de la préservation inconditionnelle du mode de vie occidental, du maintien de statuquos, même immoraux, une grande intolérance à toute forme de wokisme, alors (ou parce) qu’il a été initié à partir des mouvements antiracistes, la croyance aveugle au mérite (faisant fi de tous les déterminismes sociaux et sanitaires, ainsi que du principe d’intersectionnalité, pour mieux justifier leur séparatisme social, fondé sur les écoles privées, les résidences-compounds et autres clubs et cercles privés), et la construction de murs, physiques (comme aux USA) ou sociaux…
En clair, pas touche à ma bagnole, à mon avion et mes voyages, à ma bidoche, à mes rentes, à mon entre-soi et à mes privilèges. Quoi qu’il en coûte. Pourtant, faut-il rappeler la phrase de Jean Monnet, dans ses Mémoires (1976) ?
« Les hommes n’acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise. »
Pourquoi changer quand on bénéficie des meilleurs rôles dans une société « basse-cour » où les poules sont nourries (par aides, subventions, ou mécénat) par de généreux donateurs. Parce que les néolibéraux aiment l’humanisme, bien sûr !
La tradition religieuse comme bouclier
Que conservent-ils donc ? Les traditions, tout d’abord, et notamment tous les symboles judéo-chrétiens : les rites, les églises, sans oublier Jeanne d’Arc, la … Pucelle, que les traditionnalistes visitent à Domrémy chaque année, non pour l’honorer, mais pour exploiter le symbole. Il faut rappeler que les politiciens de droite ne conservent de la religion chrétienne, pour beaucoup, que son décorum rassurant, et bien peu de ses valeurs de solidarité, de compassion, de fraternité et de partage : c’est là l’un des paradoxes les plus frappants, pour ne pas dire incohérences, des conservateurs. Ont-ils oublié qu’Abraham et Moïse ont été eux-mêmes des migrants, que Jésus a affirmé, quant à lui, qu’en accueillant l’étranger, c’est Dieu que l’on accueille, invitant à accueillir les exclus ? Pourquoi expriment-ils une telle xénophobie, alors qu’une phrase messianique, citée dans l’évangile de Matthieu dit ceci : « J’étais un étranger et vous m’avez accueilli » ?
Une fois posé ce premier constat, on comprend que la religion chrétienne est utilisée à des fins utilitaires et électoralistes, comme arme identitaire et bouclier protectionniste, pour mieux contrer toutes les influences extérieures « non conformes », culturelles et autres. Leur défense inconditionnelle du sionisme politique d’aujourd’hui, incarné par le leader israélien d’extrême droite Netanyahu, y trouve probablement ses racines.
La religion chrétienne donc, mais pas pour ses valeurs, puisqu’elles ne sont manifestement pas partagées par les conservateurs et ultra-conservateurs. L’étranger est plutôt vu comme un parfait bouc émissaire, et non comme un humain à accueillir, pour mille raisons. Et les boucs émissaires sont parfaits pour surfer sur les peurs. Car ces politiciens préfèrent rejeter et mater qu’intégrer et aider. Parlez-en à Cédric Herrou, agriculteur de la Roya… Nous ne disons évidemment pas qu’il faut « accueillir toute la misère du monde » (quel pays pourrait le faire ?), mais il y a précisément un monde entre une politique juste, intégrative et non xénophobe, et celle pratiquée par nos autorités publiques, retranchées derrière les boucliers de la CRS8, pour ne citer qu’elle. Les conservateurs préfèrent certainement retenir cet extrait de la « parabole des talents », plus conforme à leurs convictions : « Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance. Quant à celui qui n’a pas, on lui ôtera même ce qu’il a ».
Libéral, mais juste pour le business
Voulez-vous d’autres paradoxes ? Les conservateurs droitistes se prétendent libéraux. Le terme « libéral » se rapporte au latin « liberalis » (liberté) et à celui qui « donne avec largesse et générosité ». Il se trouve que ces libéraux modernes sont en fait des néolibéraux, des radicalisés du libéralisme classique, des laudateurs de l’économie de marché, de la dérégulation, du capitalisme financiarisé (et donc spéculatif : on a bien senti ses effets dévastateurs en 2008…), et de l’intervention minimale de l’Etat (« minarchisme », sauf pour sauver les banques) pour les plus accros, que sont les libertariens, très influents aux Amériques : Elon Musk ou Jeff Bezos par exemple, ainsi que de nombreux soutiens du trumpisme, aux Etats-Unis, ou Javier Milei, « le 1er président libertarien de l’histoire », en Argentine. Il n’est pas inutile de rappeler que l’ancien président étasunien Ronald Reagan (1981-1989), très conservateur (un Républicain en somme), avait affirmé, la main sur le cœur et alors qu’il n’était encore que le gouverneur de Californie : « croire que le cœur et l’âme mêmes du conservatisme sont le libertarianisme ».
Or ce sont ces mêmes conservateurs qui développent une obsession sécuritaire, développant tous les outils de surveillance et de contrôle possibles, et restreignant de facto les libertés individuelles. Leur dogme repose donc essentiellement sur la liberté économique et financière, et non sur l’épanouissement de l’humain.
« Le mal est partout » : il faut donc toujours plus de caméras !
Le lien est vite établi entre ce sécuritarisme et le maniement de la peur : or la peur est le meilleur outil des manipulations de masse. La meilleure rouerie. Le médecin, anthropologue et sociologue Gustave Le Bon l’avait bien décrit en 1895 avec son livre « Psychologie des foules ».
Le 6 novembre 2020 à Nice, le quotidien Nice-Matin exhibait ainsi le visage en gros plan de Christian Estrosi avec sa citation en lettres capitales : « Le mal est partout… ». Lorsque les représentants du Collectif Citoyen 06 l’ont rencontré longuement dans son bureau en janvier 2020, le maire de Nice leur avait dit « ne faire confiance à personne »…
L’homme est donc intrinsèquement méfiant, et probablement apeuré par le monde d’aujourd’hui. A moins qu’il ne se méfie de l’instinct carnassier qui l’anime lui-même, comme nombre de politiciens au vieux logiciel. Sa volonté de faire de Nice un modèle de « cité sous contrôle » se concrétise par « la 1ère police municipale de France » (en effectif, non en résultats…), et par un réseau extrêmement dense de milliers de caméras de surveillance, en augmentation constante. Son souhait le plus cher ? Livrer ces milliers de caméras à un algorithme d’IA, et déglinguer la CNIL, cette commission « poussiéreuse » qui empêche les apprentis contrôleurs de contrôler sans limite… Prochain jouet du maire de Nice et de son fidèle compagnon Anthony Borré (mais en profiteront-ils au-delà de 2026 ?) : le méga-Hôtel des Polices à Saint-Roch, équipé non plus d’un simple Centre de Supervision Urbain (CSU), mais d’un Centre d’Hypervision Urbain (CHU) ! Notez l’inflation nominale ! Après Hypervision, aurons-nous droit à l’Archivision ou à la Gigavision ? Bref, le kiff total, pour une police totalement centralisée : il ne faut pas sortir de Saint-Cyr pour comprendre qu’une telle centralisation la rend vulnérable…
Nice est (très) loin d’être la ville la plus sécurisée du pays, car il y a loin de la coupe aux lèvres : les agressions y sont monnaie courante.
Est-il besoin de rappeler les événements tragiques de 2016 (Prom’ Party du 14 juillet : d’ailleurs toujours présentée sur le site de la ville !) ou de 2020 (Basilique de Nice) ?
La sécurité d’une cité est loin de ne dépendre que de technologie ou de répression, derniers remparts, loin derrière toutes les mesures de prévention sociale et, plus largement, sociétales.
Sécuritarisme n’est pas sécurité !
Les conservateurs pensent généralement la sécurité sous son aspect le plus rudimentaire et simpliste : la sécurité policière.
Mais qu’en est-il de la sécurité des citoyens étroitement surveillés, s’ils respirent un air qui les rend malades (des centaines de décès prématurés annuels à Nice), s’ils développent des maladies chroniques (malbouffe, sédentarité, polluants), s’ils souffrent de précarité (alimentaire et énergétique) ou de pauvreté (21% des Niçois en souffrent) ? Quand Christian Estrosi affirme à qui veut l’entendre qu’il « protège les Niçois », il ne dit finalement rien de cette protection, mais se répand en communication.
Estrosi ne fait pas exception. Xavier Bertrand fait de même dans les Hauts-de-France : il veut « protéger les Français »… Une recette bien connue de leur camp politique.
Il va de soi que la sécurité doit inclure la santé, dans son acception définie par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), dans sa constitution de 1948 : « un état de complet bien-être physique, mental et social, [qui] ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Le prérequis étant la préservation d’une authentique démocratie, qui prend soin de sa population. Juste pour remettre quelques idées en place : les nombres de morts prématurées en France chaque année sont liées au tabac (75.000), l’alcool (49.000), la pollution de l’air (40.000), la route (3.000) et … moins de 30 victimes annuelles liées aux attentats terroristes. Nous ne cherchons pas à minorer l’impact traumatisant de ces derniers, mais pointons la disproportion hallucinante entre la priorité donnée par les pouvoirs publics à cette menace en comparaison aux fléaux de santé publique qui pénalisent lourdement la population de notre pays. Une seule raison : le terrorisme permet de pointer un ennemi : le barbare sanguinaire est bien plus concret et effrayant dans l’imaginaire collectif (donc électoralement plus efficace pour ceux qui prétendent nous en défendre) que les méchantes particules fines, le bruit, la « dive bouteille », la pauvreté ou même le chômage, bien qu’il tue des milliers de fois moins que ces fléaux…
Le non-visible n’intéresse pas les politiciens restés accrochés à l’archaïsme du visible facilement exploitable. Le vernis de la com’ est donc leur produit préféré.
Mais de quoi les conservateurs ont-ils si peur ?
Outre la crainte de perdre leurs privilèges et le pouvoir, quand ils y sont accrochés, les conservateurs craignent l’humain et remettent leurs espoirs dans la technique et le progressisme technologique. Face aux enjeux planétaires contemporains (réchauffement climatique, perte de biodiversité, pollutions, crise énergétique, alimentaire et sanitaire), ils se réfugient dans la religion du technosolutionnisme. Ce sont des parieurs : ils remettent notre sort collectif dans les mains d’hypothèses techno, parce qu’ils se refusent à toute autre option. La sobriété ou l’acroissance (pour ne pas dire davantage), par exemple. Encore un paradoxe du progressisme des conservateurs : alors qu’ils sont nostalgiques des décennies passées, le progrès technique les fait bien davantage rêver que le progrès social. La croissance perpétuelle (consumérisme, pub, profits, etc.) ne les perturbe pas, fusse sur une planète aux ressources limitées, et quitte à la repeindre en « croissance verte ». Le Cannois David Lisnard parle même d’un besoin de « beaucoup de croissance » ! Parce que, vous comprenez, le progrès technique effacera évidemment tous les impacts et externalités négatifs de cette croissance : par de la surcroissance ! Comme dans les contes de Grimm…
Comment peut-on leur faire confiance ?
Depuis quelques années, la petite musique néolibérale et extrême droitière monte doucement, grignotant peu à peu les opinions publiques, aidée en cela par les médias rachetés par une poignée de milliardaires avides d’emprise et de pouvoir (CNEWS, par exemple). C’est même une grande partie de la scène politique, dérivant vers les « valeurs » droitières, qui semble glisser vers un trumpisme à l’Européenne. Le risque fascisant est très palpable aujourd’hui, y compris en France. Et Nice n’est qu’à trente kilomètres d’une Italie aux mains de l’extrême droite…
Voulons-nous de leur monde de peurs paranoïaques, de crispations et d’ostracisations, d’injustices, toutes génératrices de conflits sociétaux majeurs, voire plus (comme décrit dans le film Civil War d’Alex Garland) ? De leur patriarcat archaïque, de leur écologie insincère, de leur monde d’avant ?
Le 9 juin, réfléchissons à deux fois : évitons le crochet du droit, et faisons le pari de l’avenir, du courage politique et de l’intelligence collective.