Focus santé sur le cadmium : un métal très toxique et omniprésent
Qu’est-ce que le cadmium ?
Pourquoi parler du cadmium ? Parce que ce métal gris, plutôt brillant, avec des reflets légèrement bleutés et assez mou, peut nous poser de sérieux problèmes de santé. Voyons pourquoi.
Le cadmium se trouve naturellement dans les sols, mais sa présence est accrue dans les sols pollués par les industries : peinture, engrais et épandages de boues contaminées, pesticides, accumulateurs et batteries, revêtements, additifs plastiques, décharges industrielles, etc. Un exemple : « les incinérateurs seraient à l’origine de 16 % des émissions totales de cadmium, dont une partie mal connue provient de l’incinération de déchets électroniques » (source). En France, la teneur en cadmium des ordures ménagères serait de l’ordre de 4 mg/kg, proches des teneurs de mercure et d’arsenic. A Nice, les travaux de modernisation de l’UVE de l’Ariane (incinérateur), réalisés par Arianeo (groupement Veolia et Banque des Territoires), amélioreront-ils la situation à cet égard ?
Pour le corps humain, le cadmium ne présente aucun intérêt sur le plan physiologique. En revanche, ce métal et ses composés présentent une très forte toxicité, même à de très faibles concentrations, et présentent la particularité de s’accumuler dans les organismes vivants et les écosystèmes. Il s’accumule ainsi, tout au long de notre vie, dans les poumons, rein, foie ou encore pancréas (dont le nombre de cancers explose actuellement). On élimine le cadmium par voie urinaire, mais trop insuffisamment par rapport aux doses absorbées.
Et précisément, nous en absorbons chaque jour : on peut l’absorber par voie aérienne, principalement par la fumée de tabac (une seule cigarette contient environ 2 µg de cadmium) ou l’air pollué, mais aussi par l’alimentation. Nous détaillerons cet aspect ultérieurement.
Un tueur caché
Comme pour de nombreux toxiques, on peut souffrir d’intoxication au cadmium de manière aiguë ou chronique, avec des impacts de diverses natures : pulmonaires, osseux, rénaux, nerveux, immunitaires, cardiovasculaires ou sanguins (anémie). Il promeut les cancers hormonodépendants tels que la prostate, le sein et les cancers de l’endomètre. Une méta-analyse de 2013 évoquait un surrisque de cancer de +15% (RR 1,15) lié à la consommation de cadmium d’origine alimentaire. Le cadmium entraîne également une très importante fuite calcique (dans les selles), même avec des expositions très faibles, pouvant engendrer des ostéoporoses sévères chez les femmes ménopausées.
Le cadmium est aussi un perturbateur endocrinien, qui augmente le taux de cytokines pro-inflammatoires (interleukine) (source). Pour rappel, les perturbateurs endocriniens (PE) ont été définis pour la première fois en1991 lors de la déclaration de Wingspread, suite aux travaux remarquables de la zoologiste et épidémiologiste américaine Theo Colborn. Les PE leurrent notre système hormonal, générant d’importants troubles physiologiques et reproductifs (baisse de qualité du sperme, malformations congénitales, puberté précoce, obésité, autisme). André Cicolella, président du Réseau Environnement Santé, rappelle que « les perturbateurs endocriniens ne sont pas des substances comme les autres ». C’est le moins que l’on puisse dire. Précisons qu’ils ont un atout (néfaste) de plus : leur toxicité ne dépend pas des doses, contrairement aux règles classiques de toxicologie. Leurs effets peuvent être plus impactants à plus faible dose (courbes doses-réponses dites « non monotones« ) : avec les PE, la dose ne fait plus forcément le poison ! L’alchimiste Paracelse doit se retourner dans sa tombe…
Les effets de l’intoxication au cadmium ont commencé à être connus à partir des années 1950, suite notamment à une intoxication aigüe au cadmium intervenue au Japon, qui avait engendré la diffusion d’une maladie des reins et des os nommée itaï-itaï (qui signifie « j’ai mal, j’ai mal »). Depuis, ce métal a été classé « cancérogène pour l’Homme » (groupe 1) par le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC, 2012), mutagène et toxique pour la reproduction… Le cadmium est en fait un vrai « tueur caché », que trop peu de personnes et de responsables publics connaissent !
Pour plus d’informations, se reporter au site très référencé et intéressant de l’Association Santé Environnement France : ASEF.
On avale du cadmium, vraiment ?
Oui, et tous les jours ! Mais à dose plus ou moins élevée selon son mode d’alimentation (et bien sûr, si l’on fume ou non). On en ingurgite particulièrement dans les moules, mollusques, crustacés, algues, riz, céréales (comme le blé), légumes (cultivés avec des engrais), ou encore pommes de terre. Les mollusques bivalves, véritables concentrateurs de toxiques, le concentrent 300.000 fois et plus… Un exemple, avec les huîtres d’Oléron, contaminées à distance par les effluents d’anciens déchets miniers. Ce qui ne signifie pas qu’il faut proscrire les mollusques, mais juste qu’il ne faut surtout pas en abuser, en particulier chez les femmes enceintes et les enfants.
L’une des sources principales de contamination alimentaire, notamment en France, vient des engrais phosphatés, très largement utilisés par l’agriculture industrielle pour leurs apports en phosphore (la fertilisation phosphatée actuelle est environ 30 % supérieure aux besoins des cultures, pour des raisons de « forçage économique »). Pour le modèle d’agriculture industrielle en Europe, ces engrais sont une pièce maîtresse de la sécurité alimentaire. L’Union européenne importe en effet environ 6 millions de tonnes de phosphates par an, mais pourrait remplacer jusqu’à 30 % de ce volume par des boues d’épuration, des déchets biodégradables, des farines de viande et d’os, ou du fumier. Ce qui pourrait induire d’autres problématiques…
Pour le sujet qui nous occupe, le problème est donc lié à la teneur en cadmium de ces engrais. La France n’en produit pas, ou si peu (moins de 5%), qu’elle doit en importer massivement de pays étrangers, et notamment du Maroc. Les terres marocaines représentent 75% des réserves mondiales de phosphates, et 15% de la production mondiale annuelle, derrière la Chine (46%, mais sans exportation). Le leader mondial du secteur, le marocain OCP, réalise ainsi 32 % de ses ventes dans l’Union européenne. Notre souci se précise : les phosphates du Maroc (Boukcraa, Sahara occidental) ont des taux très élevés de cadmium (jusqu’à 100 mg par kg de pentoxyde de phosphore P2O5)[1]. Il existe pourtant des gisements bien moins contaminés dans le monde… Citons ceux du Brésil (Calatao, 1-10 mg/kg), de Jordanie (10-20 mg/kg), ou encore de Russie (Kola, 2-10 mg/kg). Alors, pourquoi le Maroc ?
Quand santé et géopolitique se télescopent !
Le partenaire le plus apte à fournir à l’Europe des phosphates à très faible teneur de cadmium, et donc favorables à la santé, est la … Russie (avec des taux 10 à 50 fois plus faibles en cadmium, comparée au Maroc), tant en termes de volumes que de distance. Nul besoin de vous faire un dessin : une telle collaboration économique avec ce pays est devenue politiquement très problématique depuis l’invasion de l’Ukraine. C’est d’ailleurs le principal argument des détracteurs de toute réglementation européenne imposant une baisse des teneurs de cadmium des engrais phosphatés.
Pour faire simple, nos décideurs politiques ont le choix entre se compromettre et dépendre davantage du géant russe, ou intoxiquer silencieusement les populations de nos pays. Le sujet est donc si brûlant que la question est plutôt évitée, voire sous embargo politique. D’autant plus qu’à la question du cadmium s’ajoute celle des pesticides, également très utilisés par l’agro-industrie, dont l’énorme majorité pose de sérieux problèmes de santé publique et d’environnement.
Une autre piste consisterait à réaliser une « décadmiation » des engrais phosphatés, mais cela représenterait un surcoût pour les producteurs agricoles et le procédé n’est pas encore validé à échelle industrielle. Enfin, il s’agirait aussi d’arrêter sans délai les pratiques de surfertilisation phosphatée, comme vu plus haut (source). A titre préventif, la solution individuelle la plus évidente, au surcoût économique près, est de se tourner vers les produits de l’agriculture biologique, bien moins concernés par tous les toxiques cités dans ce texte. Les effets bénéfiques de l’alimentation bio sont d’ailleurs bien mis en évidence par l’étude de cohorte NutriNet-Santé (35.000 personnes suivies, en France à compter de 2009 et en Belgique à compter de 2013). Pour en savoir plus, voir en bas de page*.
En attendant, la France hésite…
Une grande partie de la population européenne étant surexposée, la Commission européenne essaie de réduire la teneur en cadmium dans les engrais phosphatés, depuis 2003. En 2016, elle a proposé un règlement visant à limiter cette teneur à 60 mg/kg d’engrais phosphatés pendant trois ans à partir de sa promulgation, puis à 40 mg/kg pendant les neuf années suivantes, avant de passer définitivement à 20 mg/kg. En octobre 2017, le Parlement européen a soutenu ce texte, tout en allongeant de 12 à 16 ans la durée pour parvenir à la teneur finale de 20 mg/kg. Mais certaines parties s’opposent fermement à ces plans. L’Espagne, par exemple, et, bien sûr, les lobbies industriels. Le syndicat européen des producteurs d’engrais Fertilizers Europe a ainsi annoncé que « limiter le niveau de cadmium dans les engrais phosphatés aura un impact important sur le prix du produit fini en raison de la rareté des gisements de phosphates faibles en cadmium » (source). Et alors que la France voit la teneur en cadmium de ses engrais beaucoup plus élevée que la moyenne européenne (51 mg/kg d’engrais phosphatés contre 36 mg/kg, soit +41%), elle ne s’est toujours pas prononcée, probablement embarrassée, mais surtout bien compromise vis-à-vis de la santé de nos compatriotes (source)…
Juste quelques chiffres pour illustrer la situation française : la moyenne d’imprégnation des adultes français est parmi les plus élevées au monde : elle a même doublé entre 2006 (ENNS : 0,29 μg/g creat) et 2019 (étude Esteban, 0,57 μg/g creat) ! En comparaison, en 2019, cette moyenne était de 0,19 aux USA et de 0,26 en Italie (et donc 0,57 en France). Chez les enfants français, la moyenne était de 0,27, alors qu’elle était de 0,06 aux USA et de 0,07 en Allemagne. 18% des enfants français ont des taux supérieurs à 0,50 μg/g creat, des taux de plus de 5 μg/g creat ayant même été détectés chez une adolescente…
Vous l’aurez compris : le cadmium n’est pas une question à prendre à la légère. Elle est même à suivre de près !
[1] Ainsi que des teneurs élevées en uranium selon Greenpeace.
* Note sur l’agriculture bio (source) :
On pouvait lire dans le Monde : « La plus grande partie des sols contiennent suffisamment de phosphore cependant il n’est pas toujours accessible aux plantes : c’est le cas lorsque le pH du sol est inférieur à 6 ou supérieur à 7, ainsi que lorsque les végétaux manquent d’azote car cette carence les empêche d’assimiler le phosphore. En ajustant le pH du sol avec un apport de matière organique riche en micro-organismes, le jardinier va rendre disponible le phosphore, le réseau trophique aide aussi les plantes à disposer du phosphore présent à condition qu’il y ait des champignons et des mycorhizes venant contribuer au transport du phosphore jusqu’aux racines.
Le phosphore à libération lente peut être ajouté au jardin en cas de sol vraiment dégradé ou carencé. Parmi les différentes matières d’engrais naturels, citons :
- guano de chauve-souris ou d’oiseaux de mer (3,5% de phosphore) : l’un des engrais organiques les plus complets et les moins chers à action rapide, à utiliser de novembre à mars à raison de 2 à 3kg/10m² ;
- farine d’os et d’arêtes de poissons (25% de phosphore) : action lente, à utiliser sur une base de 500g/10m² de novembre à mars ;
- fumier de cheval ou de vache : idéal car constitué d’un mélange de nutriments bien équilibré, avec de la matière organique (paille, foin), tandis que celui de volailles est très concentré ;
- phosphate naturel, extrait de mines, il est uniquement broyé et tamisé (25 à 30% de phosphore, chaux, magnésie, soufre, oligo-éléments) , il se dose à 200-400g/10m² en automne et hiver mais attention il peut aussi contenir des métaux comme le cadmium. Veillez à ce qu’ils ne contiennent pas un ajout d’engrais chimiques.
Le phosphate utilisé comme engrais subit une transformation physique ou chimique en superphosphate ou scories potassiques, restant actif au moins 2 ou 3 ans donc inutile d’en ajouter chaque année. Un excès de phosphore n’est pas sans risque puisqu’il va bloquer l’assimilation de l’azote par les racines, ce qui incitera le jardinier à ajouter de l’azote avec les risques d’excès qui se manifestent rapidement (sensibilité aux maladies, aux parasites ainsi qu’au froid, mauvaise absorption des autres nutriments).
En conclusion, n’ayez recours à des engrais à dominante phosphore qu’en cas d’analyse de terre montrant cette nécessité car avec des fumiers et composts, votre jardin en est certainement suffisamment pourvu.»