La délinquance en col blanc soutenue par Estrosi et Muselier
Après la condamnation d’Hubert Falco, déchu de ses fonctions de maire de Toulon et de président de la Métropole Toulon Provence Méditerranée, par décision de justice le 14 avril 2023, ses soutiens affluent, face à ce que l’intéressé lui-même qualifie de « complot ourdi par des adversaires ». Se victimiser : la bonne vieille ficelle de ceux qui sont pris la main dans la marmite de bouillabaisse.
L’affaire du frigo tire son nom d’un frigo dans lequel étaient stockés les repas préparés par le personnel du conseil départemental, et sur son budget, au profit du maire et de son épouse, alors qu’Hubert Falco n’avait plus de fonctions départementales depuis des années. Cette information provenait de l’ex-responsable des cuisines du département, qui s’est ensuite suicidé…
Rappelons qu’il ne s’agit pas d’une petite affaire traitée par le tribunal judiciaire de Marseille, mais d’un recel de détournement de fonds publics, qui a révélé, pour reprendre la réquisition du procureur, un « devoir d’exemplarité totalement bafoué ». Recel dont la justice française l’a reconnu coupable, ajoutant une modalité d’exécution provisoire de l’inéligibilité, entraînant la cessation de ses mandats de maire de Toulon et de président de la métropole Toulon Provence Méditerranée. Rappelons aussi que cet ancien ministre (comme Christian Estrosi) avait déjà été visé, en 2017, par des procédures pour détournement de fonds publics, notamment au sein du groupe UMP du Sénat.
Le 14 avril 2023, Hubert Falco a donc été condamné à 3 ans de prison avec sursis et 5 ans d’inéligibilité, puis a été officiellement démis de ses fonctions, par un arrêté publié par la préfecture du Var le 18 avril, le portant démissionnaire « d’office » de ses mandats de maire de Toulon et président de la Métropole.
Il semble devenu habituel que les condamnés et leurs soutiens se permettent de regretter, voire de critiquer les décisions de justice. Un exemple, et pas des moindres, a été celui de l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy, qui, par le biais de ses avocats et soutiens, avait vertement critiqué le jugement de 2021 le condamnant à trois ans de prison, dont un ferme… Cet individu peu recommandable était d’ailleurs, et est probablement toujours, proche d’Hubert Falco, comme de Renaud Muselier ou de Christian Estrosi. Un quatuor plaqué or (pour ne pas dire bling-bling).
Il se trouve qu’un article du Code pénal (n°434-25) condamne les critiques portant discrédit sur une décision de justice : « Le fait de chercher à jeter le discrédit, publiquement par actes, paroles, écrits ou images de toute nature, sur un acte ou une décision juridictionnelle, dans des conditions de nature à porter atteinte à l’autorité de la justice ou à son indépendance est puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende. »
Pour éviter de tomber sottement sous le coup d’estoc de cet article, Renaud Muselier et Christian Estrosi, aguerris et très proches de l’élu toulonnais condamné, annoncent le 14 avril, dans une lettre hallucinante tamponnée des logos officiels de la ville-métropole de Nice et de la région Sud PACA, « qu’il ne leur appartient pas de commenter une décision de justice ». Mais quand même ! Hubert est « un ami, un grand serviteur, un modernisateur, un ancien ministre » de Nicolas le Grand, lui-même déjà condamné par la justice française… Toujours est-il qu’on comprend vite, entre les lignes, que la justice française est bien ingrate, et que le soutien des copains Muselier et Estrosi s’oppose à cette ingratitude !
Petits intérêts personnels contre intérêt général
Comment peuvent-ils ne pas se rendre compte du caractère totalement inadéquat, pour ne pas dire indécent et inacceptable, de ce soutien public, fait au nom des collectivités de nos territoires, et donc au nom de tous les citoyens que nous sommes ? Pourquoi ne l’ont-ils pas exprimé en leur nom propre, et de manière plus discrète et digne ?
Ont-ils si peur, pour eux-mêmes (sait-on jamais ?), qu’ils s’empressent à ce point de soutenir publiquement un élu qui, entachant la République par des pratiques illégales et honteuses, ne s’est manifestement pas embarrassé du concept barbant et dogmatique d’exemplarité ?
Comme rappelé par l’universitaire Pierre Lascoumes, un spécialiste de la délinquance en col blanc, dans son livre « L’Économie morale des élites dirigeantes » (aux Presses de Sciences Po) : « D’un côté, les hommes et femmes de pouvoir énoncent des règles générales qui s’imposent aux gouvernés. De l’autre, ils ont établi à leur profit des règles dérogatoires qui protègent leurs intérêts et leurs positions et dont ils conservent la maîtrise. »
Des mal-élus qui vantent un élan populaire inexistant
Le tandem Muselier-Estrosi fait le maximum pour son ami Falco : « Les Toulonnaises et les Toulonnais lui en sont reconnaissants puisqu’il y a moins de 3 ans, ils lui ont, une fois encore, renouvelé leur confiance dès le premier tour. » Allons donc consulter les résultats de la dernière élection municipale de 2020. Hubert Falco a en effet été réélu dès le 1er tour, mais avec seulement 19.072 voix, sur 102.965 inscrits, soit 18,5% des Toulonnais-es en âge de voter et inscrit-es. On ne peut pas dire, à proprement parler, que ce taux marque un enthousiasme débordant pour le bilan du maire sortant, aux commandes depuis 2001, soit depuis 22 ans…
C’est peut-être aussi parce que Christian Estrosi lui-même se sait réélu du bout des lèvres, comme son ami Hubert, avec d’incroyables taux d’abstention dénotant le découragement ou l’écœurement d’une grande partie de leurs administré-es : 69% d’abstention à Toulon, et 72% à Nice ! Ces deux villes réunies comptent 510.000 habitants. Et leurs deux maires ont été portés à la tête de leur mairie respective par 47.000 voix cumulées, soit 9,2% de la population totale de ces villes… Pas de quoi pavoiser, et certainement pas un blanc-seing, comme ces élus tentent de le faire croire, pour prendre des décisions structurantes de manière très verticale.
A l’âge déjà bien avancé de 75 ans, le frigo a donc « tuer » politiquement Hubert Falco. Quel objet ménager craignent donc Muselier et Estrosi pour être aussi prompts au soutien d’un condamné de plus par la justice républicaine ? Non, ce n’est pas une « épreuve » : c’est un sérieux rappel à la nécessité d’être exemplaire. Et cela vaut à Toulon, comme à Marseille, Nice, ou ailleurs. Pour les citoyen-nes, comme leurs élu-es.
Forts avec les faibles, faibles avec les forts
Ces élus LR et assimilés sont aussi prompts à exiger de la fermeté judiciaire pour les fraudeurs, qu’à solliciter une incroyable clémence quand il s’agit de couvrir leurs déboires : forts avec les faibles, et faibles avec les forts…
Les métropoles de Toulon et de Nice regroupent une population de plus de 1 million d’habitant-es. Tous ces mal-élus se rendent-ils compte des ravages et des impacts de leurs agissements, de leurs soutiens indus, de leurs petits arrangements entre copains ? Ravages auprès des citoyen-nes, mais aussi et surtout de notre jeunesse ! Ravages sur l’implication citoyenne dans la vie de leur cité, et … toboggan vers l’extrême-droitisation d’une partie révoltée de l’électorat. On ne leur en fera jamais assez grief.
Précision : Me Thierry Fradet, avocat d’Hubert Falco, a rappelé que, faisant appel, son client « est présumé innocent ». Pour l’heure.