La Bétonvallée de Nice, démonstrateur de la ville durable : sérieux ?!
Le 9 décembre 2022, les cofondateurs du Collectif Citoyen 06 ont adressé un courrier à Bruno Bonnell, secrétaire général pour l’investissement (SGI), dont l’autorité de tutelle est la Première Ministre.
Pourquoi ? Pour dénoncer la mascarade de l’Etablissement Public d’Aménagement (EPA) de la Plaine du Var, dont l’Opération d’Intérêt National Eco Vallée a été désignée parmi les 39 territoires lauréats du projet « Démonstrateurs de la ville durable » dans le cadre du plan de relance « France 2030 ».
Plusieurs autorités ont été mises en copie de ce courrier :
- Monsieur Éric Lombard, directeur général de la Caisse des Dépôts
- Madame Anne-Claire Mialot, directrice générale de l’Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine
- Monsieur Christian Estrosi, maire de Nice
- Madame Sarah Bellier, directrice générale de l’EPA Ecovallée
Monsieur le Secrétaire général,
Nous souhaitons réagir à votre dossier de presse « Démonstrateurs de la ville durable – 39 projets lauréats », paru le 15 novembre 2022, dans lequel vous faites notamment état du lauréat maralpin « EPA Nice Ecovallée ».
Dans ce dossier est écrit que :
- « L’atteinte de la neutralité carbone à l’horizon 2050 oblige désormais nos écosystèmes urbains à réduire les émissions de carbone induites par l’urbanisation et à lutter contre l’artificialisation des sols » (Olivier Klein, ministre délégué chargé de la ville et du logement, page 3).
- Les dépenses du plan France 2030 sont fléchées vers les « porteurs d’innovation sans dépenses défavorables à l’environnement (au sens du principe Do No Significant Harm) » (page 6).
- « Construire en limitant les émissions carbone, limiter l’artificialisation des sols, développer l’économie circulaire, encourager la participation citoyenne. » (Éric Lombard, directeur général de la Caisse des dépôts, page 9).
- Le projet de l’EPA Ecovallée « La ville productive comme projet de développement durable » (pages 88 et 89) est décrit comme une « ville productive intense et durable » par Sarah Bellier, DG de l’EPA. Elle poursuit par la conciliation du « bien-être avec la prévention des risques et la capacité de résilience »… Il y est surtout expliqué que l’objectif de l’opération (sur 60 hectares, soit 28% des 210 hectares gérés par l’EPA) est « d’accélérer et amplifier le développement économique et urbain engagé sur l’ensemble de Nice Ecovallée. »
Comme de très nombreux citoyens, nous sommes littéralement abasourdis par l’incroyable déconnexion des propos communicationnels tenus dans ce dossier avec la réalité du terrain. Ce dossier s’inscrit d’ailleurs dans la droite ligne des slogans marketing tout à fait trompeurs, diffusés à longueur de temps par les responsables de l’EPA Ecovallée. Lors d’une réunion publique de présentation du projet Parc Méridia le 20 octobre 2021, les représentants de l’EPA ont ainsi présenté le projet dans des termes qui interrogent :
– « La ville habitée : la ville des sillons, des coteaux, des nuages »…
– « La ville productive : Hôtel industriel XL, parking silo, commerce augmenté XL »
– « Un rythme d’artificialisation sur l’OIN (en hectares) divisé par 10 entre les périodes (1999-2006) et (2006-2017). »
Faits à l’appui, cette OIN « Ecovallée » est une opération d’urbanisation intensive à visée économique, qui n’évoque l’environnement qu’à titre tout à fait accessoire, décoratif ou opportuniste. Et pour cause : les terres urbanisées étaient encore classées, il y a quelques années, parmi les terres les plus fertiles d’Europe, sur les limons et alluvions de la basse Plaine du Var, à seulement 500 mètres à l’Est du lit du Var. Avant son urbanisation intensive, cette rive était historiquement dédiée à l’activité agricole et horticole et permettait une quasi autonomie alimentaire (certes sur une ville alors moins peuplée).
Nous vous invitons à prendre connaissance des principaux constats établis par l’Autorité environnementale (Ae) dans son avis délibéré n° 2021-72 sur la zone d’aménagement concerté (ZAC) Parc Méridia (06), adopté lors de la séance du 20 octobre 2021 :
« L’ambition de « Faire émerger un éco-quartier porteur d’une ambition forte sur les plans urbain, environnemental, écologique et paysager » n’est pas caractérisée. »
Sur les risques d’inondation et de pollution de l’air :
- « Parc Méridia se situe à 500 m environ à l’est du lit du Var. Il faut noter que des traces de canaux sont présentes sur le site, marqueurs de l’histoire de cette plaine agricole. Le toit de la nappe (eaux souterraines) au droit du site est entre 4,70 et 5,75 m par rapport au terrain naturel. » (p.12).
- « La Zac, particulièrement concernée par cette thématique, est couverte par deux PPR (inondation et sismique). Malgré la présence de ces risques, l’urbanisation s’y est faite pendant des années sans réelle prise en compte de ces enjeux (puisque le PPRi date de 2011 et le PPRs de 2019), rendant vulnérables les personnes et les biens présents sur le territoire. » (p.13)
- « Aucun scénario proposé ne tient compte du risque d’inondation important sur la Zac, ou de l’exposition des populations fragiles (hôpital, crèches, bâtiments scolaires, …) à la mauvaise qualité de l’air. »
- « Le quartier est situé dans le lit majeur du Var, en zone inondable, la submersion par débordement lent pouvant atteindre deux mètres lors de la crue de référence. Cette grande vulnérabilité affecte directement ou indirectement les populations (…). À ce stade, l’opération augmente la vulnérabilité, en exposant des enjeux supplémentaires à l’aléa inondation. »
- « Globalement au niveau du projet la qualité de l’air peut être qualifiée de moyenne voire mauvaise (en bordure du Bd du Mercantour). L’état actuel de la qualité de l’air et de ses effets sur la santé humaine est un enjeu fort. Le dossier mentionne la condamnation de la France pour non-respect des valeurs limites d’oxydes d’azote par la Cour de justice de l’Union européenne, mais ne le fait pas pour l’injonction du Conseil d’État le 10 juillet 2020 concernant la nécessité d’améliorer la qualité de l’air dans les agglomérations françaises, dont Nice. »
- « Les modélisations AtmoSud donnent des tendances de la qualité de l’air autour du périmètre de la Zac : des concentrations élevées, voire très élevées de NO2 « aux abords des axes routiers à fort trafic notamment l’autoroute A8, le boulevard du Mercantour » ; des émissions de PM10 au-dessus des seuils de l’OMS ; des dépassements de seuils pour les PM2,5 et l’ozone (sur la station la plus proche du périmètre de la Zac). » (p. 19)
- A cet égard, rappelons le constat alarmant indiqué (page 84) dans le dossier d’étude d’impact au stade de création de la ZAC (Parc Méridia) – Partie 1 : Résumé non technique, état initial et scénario fil de l’eau : « Les habitants de la zone d’étude connaissent, en moyenne d’après cette étude, une perte d’espérance de vie due à la pollution anthropique aux PM2,5 s’échelonnant de 18 mois à 3 ans. »
Sur les besoins en eau et énergie :
- « Eaux : les consommations d’eau potable vont significativement augmenter, du fait des 12 000 nouveaux occupants de ce secteur, le dossier ne comporte pas d’estimation des consommations supplémentaires et ne précise pas les modalités d’approvisionnement, ni de maîtrise de la consommation. » (p.25)
- « Les besoins en énergie sont évalués pour l’ensemble de la future Zac : environ 13,3 GWh/an pour le chauffage et l’eau chaude sanitaire, 7 GWh/an pour le froid et 29 GWh/an pour l’électricité. » (p.32)
Sur les émissions de gaz à effet de serre (alors que l’objectif de réduction de la Métropole Nice Côte d’Azur est de -55% d’ici 2030) :
- « Une quantification des GES a été réalisée pour les émissions engendrées par le trafic sur le réseau routier de l’étude. Elles augmentent de 8,2 % et 8,5 % à 2035 respectivement, pour les situations au fil de l’eau et avec projet par rapport à la situation actuelle. »
Sur la mobilité durable :
- « Le réseau interne de la Zac est peu adapté au vélo. » (p. 17)
Sur la biodiversité :
- « L’Ae recommande, au regard de leur incomplétude, de reprendre les inventaires (de biodiversité) sur le site d’étude au moment de la réalisation des différentes tranches de programmation de la Zac. » (p. 21)
Sur un plan plus général, au-delà de la seule ZAC Parc Méridia, il s’agit d’observer avec attention le niveau extrêmement élevé d’artificialisation des sols opéré sur l’ensemble de l’OIN « Ecovallée » au cours de ces dernières années. L’urbanisation est intense sur la technopole Méridia et le quartier d’affaires Grand Arénas, les extensions d’hyper-surfaces commerciales se poursuivent à grand rythme (CAP 3000, Carrefour Lingostière, Leroy-Merlin), construction du stade Allianz-Riviera, etc. De nouvelles grandes surfaces sont sorties de terre (IKEA) et d’autres projets sont à venir (futur Marché d’Intérêt National MIN sur les terres arables de La Gaude, plus au Nord, et le futur Palais des Expositions et des Congrès). L’aéroport Nice Côte d’Azur a également obtenu un permis de construire pour l’extension de son terminal 2, permettant l’augmentation de +50% de son trafic passager d’ici 2030 (soit +20.000 vols par an).
La totalité de ces projets d’artificialisation des sols s’inscrivent dans le cadre de l’OIN Ecovallée sur des centaines d’hectares de terres à fort potentiel agricole de la Plaine du Var, alors que la dépendance alimentaire de la Métropole Nice Côte d’Azur dépasse le taux de 98% !
En conséquence, nous vous prions de bien vouloir, Monsieur le Secrétaire général, faire remonter aux services de Madame la Première Ministre notre demande de reconsidération de la distinction lauréat accordée à ce projet EPA « Nice Ecovallée », ainsi que des fonds publics alloués à son profit, qui ne font qu’entretenir ce que les citoyens qualifient de « bétonisation intensive » sous couvert de « greenwashing », ainsi que la dégradation des espaces naturels et de leur biodiversité, contraire au principe environnemental précité de « Do No Significant Harm ».
Vous en remerciant par avance, veuillez agréer, Monsieur le Secrétaire général, l’expression de nos salutations cordiales.
ANNEXE
Comparatifs et photographies du secteur de l’EPA Nice Ecovallée