Pour une vraie démocratie locale
En 2020, à Nice, le maire a été élu par environ 34.000 voix. Soit 10% des Niçois ! (ou 16% seulement des inscrits !). Ou, dit autrement, 90% des Niçois n’ont pas voté pour lui. Et parmi ces 90% de Niçois, l’immense majorité s’est abstenue de voter aux municipales de 2020 (72% de taux d’abstention : parmi les taux les plus élevés du pays).
Cela pose 2 vraies questions :
- Pourquoi l’abstention à Nice est-elle plus forte qu’ailleurs ? Cela traduit évidemment la perte de confiance, le désabusement ou la défiance des Niçois à l’égard de la pratique politique locale.
- Être élu avec 16% seulement des voix exprimées autorise-t-il à ne pas entendre les 84% autres ? Œuvrer pour cette minorité, pour ses propres électeurs – afin d’assurer sa réélection, en faisant fi du reste de la population : est-ce vraiment démocratique ?
Une démocratie locale ébranlée
Cet écœurement des citoyens, ou ce désintéressement de fond, est conforté par le fait que leurs avis, exprimés lors des consultations et enquêtes publiques, n’orientent quasiment jamais les décisions. Un seul exemple : l’enquête publique relative au projet d’extension de l’aéroport de Nice a donné lieu à 75% d’avis opposés au projet, ce qui n’a pas empêché le préfet départemental d’accorder illico le permis de construire.
Ces coups portés à la confiance démocratique laissent des traces, en particulier sur le lien de représentation. Il est temps que les citoyens ne soient plus écartés des processus de décisions, et notamment en matière d’urbanisme.
Pour les nouveaux Niçois-es, cette émission France-Inter du 24 mars 2023 rappelle d’ailleurs les affres de l’histoire locale : Jacques Médecin, « le parrain de Nice ». Et pourtant, ce personnage corrompu a sa plaque à Nice…
Des manœuvres politiciennes dignes des guerres picrocholines…
Pour les curieux et curieuses qui souhaiteraient en savoir davantage sur l’histoire locale, cet ouvrage édifiant, édité en 2012 aux éditions Le Spot.info, du journaliste indépendant Philippe Carlin.
Ouvrage que nous ne commenterons pas ici…
Le maire de Nice fait partie des « grands manœuvriers », en ce qui concerne notamment la conduite de sa carrière politique : luttes d’influences et de pouvoir, longtemps avec son prédécesseur Jacques Peyrat, mais aujourd’hui avec ses concurrents Éric Ciotti, David Lisnard, Charles-Anges Ginésy. Une vraie lutte féodale : les guerres de territoires, entre pizzaïolos (selon le terme fréquemment employé par les locaux), s’expriment autant en longitude qu’en latitude, à un point tel que les découpages entre communautés de communes et métropoles en sont le reflet : à titre d’exemple, pour les plus emblématiques, Éric Ciotti sur la bataille Nord-Sud (influence sur l’arrière-pays niçois), le Cannois David Lisnard, sur la bataille Est-Ouest.
François Rabelais aurait été étonné de voir que Picrochole est toujours en excellente forme au XXIème siècle, à Nice en particulier !
Et n’oublions pas les affrontements et autres louvoiements au sein des appareils politiques, de l’UMP, puis des LR, puis entre Horizons et LREM, sans omettre la France Audacieuse… Car certains élus locaux ont une grande aptitude à la tergiversation et à la compétition de mâles Alpha, quitte à ce qu’elles soient néfastes et coûteuses pour les administrés… De la « grande politique » à la sauce XXème siècle, dont il serait urgent de s’extraire ! Trahisons, alliances, virages et retournements, courtisanerie, notamment auprès du grand « ami-président » Nicolas Sarkozy ou d’Emmanuel Macron : rien ne leur échappe… Tout cela est malheureusement bien éloigné de l’intérêt public !
En somme, comme les vieux disques vinyles, de nombreux élus locaux présentent une face A, faite de sourires et de serrages de mains, de promesses, de privilèges et d’embauches, et une face B, bien moins engageante, faite de coups bas et de manœuvres indignes…
A Nice, la pseudo-démocratie est reine, et les concertations publiques sont de vraies mascarades
Pourquoi ? Parce que les avis divergents ne sont pas entendus, les concertations sont des pièces de théâtre dans lesquelles les citoyens sont pris pour des figurants, les réunions publiques sont encadrées par les amis de la municipalité qui vous empêchent de parler dès lors qu’une voix dissonante pourrait être reprise.
Lorsque des citoyens s’engagent, ils ne peuvent qu’être rapidement découragés, tant la sincérité et l’écoute sont aux abonnés absents du côté des élus majoritaires niçois. Ces derniers préfèrent temporiser, fermer les écoutilles ou s’enfermer dans des postures, de la mise en scène, et des propos conflictuels, que de prendre la contradiction comme une réelle chance pour la démocratie. L’ingénierie démocratique n’est pas arrivée jusqu’à Nice…
Et il en va de même pour les élus de l’opposition. En conseil municipal ou métropolitain, le président de la séance ne cède très parcimonieusement le micro à l’opposition, peu enclin à entendre leurs reproches ou propositions. L’opposition à Nice est bâillonnée (voir l’ « écran de contrôle des micros » du maire en conseil). Et pour finir, les Niçois sont lassés de ces guéguerres infantiles entre les deux frères ennemis locaux (Estrosi et Ciotti), ou cette compétition du même niveau avec les territoires voisins, perçus comme des chasses gardées…
Un autre point gêne les Niçois : quand, notamment, leur maire honore l’ambassadeur du Qatar en France de la plus prestigieuse des distinctions niçoises (avril 2022. Qui peut encore ignorer que ce pays maltraite durement les droits humains ? Est-ce ainsi que des municipalités promeuvent la démocratie dans le monde ?
Autre exemple : Rodrigo Chaves Robles, président du Costa-Rica, a été fait citoyen d’honneur de la ville de Nice en mars 2023, alors qu’il est favorable à une stricte interdiction de l’avortement, y compris en cas de viol (article Nice-matin du 10 avril 2023)…
Il est donc grand temps de changer de cap à Nice
Grand temps de favoriser l’émergence d’une nouvelle force de gouvernance locale, plus jeune, plus diversifiée et féminisée, pour mettre en place une démocratie plus représentative et participative, plus transparente dans ses décisions et ses bilans, plus encline à la concertation, aux débats, à la co-construction avec les Niçois. Une démocratie locale comptable de tous ses bilans devant, non seulement les électeurs, mais l’ensemble des citoyens.
Et si on se projetait en … 2026 ? 😉
Pour aller plus loin
Feu le philosophe Bruno Latour développe ici les notions de territoire et de citoyens experts.
Alerte citoyenne sur la démocratie représentative !
Notre article Blog Mediapart (23 juillet 2021).
Notre article « Allo, docteur ? La démocratie niçoise tousse… » (10 juin 2022).