Nice détruit son théâtre
« Je suis triste et dégoûté » (28 avril 2022),
« Le théâtre de Nice si bêtement démoli » (30 mai 2022, Molière d’honneur)
Jacques Weber
Ces courtes phrases résument le sentiment de nombreux Niçois et acteurs de la culture locale à l’égard de la destruction du Théâtre National de Nice (TNN) sur la Promenade des Arts. Car Nice a détruit son théâtre national ! Ces mots, écrits dans les colonnes de Nice-Matin (28 avril 2022), puis prononcés lors de la remise de son Molière d’honneur (30 mai 2022), sont ceux de l’acteur, réalisateur et scénariste, Jacques Weber, qui l’a dirigé, de 1986 à 2001.
La municipalité niçoise a en effet pris la décision de raser son théâtre national, décision mise en œuvre à tambour battant :
Feu vert arraché à la ministre de la Culture Roselyne Bachelot le 2 décembre 2021, dernière représentation le 8 janvier 2022, accord de l’architecte des Bâtiments de France le 18 janvier, puis signature du permis de démolir par le maire le 19 janvier… C’est assez curieux de constater la vitesse d’avancement de ce dossier, quand d’autres traînent en longueur.
Rappelons que ce haut-lieu de la culture, bâti en cœur de ville par l’architecte Yves Bayard, n’aura pas dépassé les 35 ans d’âge (sa construction a été finalisée en 1990), malgré son très bon état général (suite notamment aux importants travaux menés de 2011 à 2013), son positionnement central et sa grande capacité théâtrale, dont 2 salles de spectacles, 1 salle de répétition, etc.
Comme pour justifier son choix, la municipalité tire à boulets rouges sur ce théâtre : ‘’atrocité architecturale’’, ‘’espèce de machin en béton’’, ‘’octogone de béton’’… Les boulets auront eu raison des coûteuses plaques de marbre de Carrare qui ornaient la façade du TNN… Mais alors que dire des cubes de béton qui poussent dans le centre de Nice (Iconic) ou sur les terres fertiles de la plaine du Var ?
Rien ne justifie de détruire le théâtre de Nice
Le TNN se trouve être victime, avec le palais Acropolis, d’un projet de végétalisation de la ville, qui vise à étendre les 10 hectares de Promenade du Paillon (« Coulée Verte ») de 8 hectares supplémentaires. Naturellement, nous ne sommes pas contre la végétalisation des villes, et ne pouvons que constater le grand succès populaire rencontré par cet espace de détente. Mais s’agit-il réellement d’une « forêt urbaine », comme l’affirme la ville, ou simplement de quelques centaines d’arbres plantés sur 1,5 mètre de terre recouvrant une dalle de béton au-dessus du Paillon ? Si, donc, la motivation est écologique, comment justifier l’urbanisation et la bétonisation intensives de centaines d’hectares à l’ouest de la ville, dans la basse plaine du Var ? Évoquant le plan climat, la municipalité avance une économie annuelle de 1.740 tonnes de CO2 grâce aux 1.500 arbres plantés. La réalité est tout autre : l’économie ne dépassera pas les 60 tonnes (source Label Bas Carbone du Ministère de la Transition Écologique). Et ces 60 tonnes sont à comparer au 1,2 million de tonnes de CO2 émises chaque année par la ville de Nice. Il faut donc rester sérieux.
Ce ruban de verdure urbaine n’est-il pas, finalement, un alibi pour cacher la forêt de béton de la mal-nommée « Ecovallée » ? Un alibi également pour faire monter les enchères immobilières ? Lisons les propos satisfaits de la municipalité à ce propos : « le prix du mètre carré augmente pour les appartements qui longent ce futur corridor écologique. »
L’effet de voûte de la dalle repoussera les arbres les plus imposants sur les berges de la Promenade, et le centre sera parsemé de pelouses, probablement artificielles (il suffit de constater l’état des zones herbeuses de l’actuelle Coulée Verte). (copyright CC06)
Une offre culturelle atomisée pour quelques bouquets d’arbres…
Les Niçois disposaient d’un théâtre équipé de près de 1.300 places regroupées sur un même lieu (salles Pierre-Brasseur 960 pl., et Michel-Simon 320 pl.). A présent, ils devront se contenter d’au moins 3 lieux dispersés dans la ville, et il leur faudra même prendre le tram ou la voiture pour rejoindre la future salle de la plaine du Var. Les salles proposées ne dépasseront pas 300 places pour l’ancienne église des Franciscains (dont la mauvaise acoustique a été critiquée dès la 1ère représentation), 500 places pour la salle d’Iconic, dont les travaux prennent un retard chronique, et d’autres places dans « La Cuisine », structure temporaire payée à fonds perdus 60 millions € par la municipalité.
Lorsque l’on se prend à comparer les offres culturelles d’autres grandes villes françaises ou européennes, on ne peut que constater que la culture ne semble pas être au cœur de la préoccupation des élus niçois : Lyon, Marseille, Bordeaux, etc.
La culture niçoise est malmenée depuis longtemps…
Pour mieux comprendre le retard niçois, il convient de revenir sur quelques dossiers, de la fin des années 2000 à ce jour. Vous en retrouverez d’ailleurs quelques-uns dans le livre de Philippe Carlin, aux éditions Le Spot : « Enquête à Estrosi City : autopsie d’un leurre ».
- Les Studios de la Victorine : créés en 1919 à Nice, ils errent aujourd’hui dans une longue attente de reprise, et ont vu, en juillet 2022, encore échouer la procédure d’attribution de la concession… Et pourtant, 16 ans plus tôt, le maire de Nice avait promis, lors de sa première campagne municipale en 2007, d’en faire la … Cinecitta niçoise, sur une belle surface de 7 hectares, engageant alors d’importants budgets de réhabilitation. Les Niçois-es peuvent donc s’interroger sur les raisons de cette absence de dynamique pour ce projet.
- Opéra de Nice : ce haut-lieu de culture a connu des passages difficiles, liés notamment à des déboires financiers.
- Le 109 : en 2009, le maire récemment élu, Christian Estrosi, avait lancé la reconversion des anciens abattoirs de la ville (d’où son nom glauque « Sang Neuf »), situés au nord-est de la ville, sur une surface de 40.000 m2 éloignée de tout. L’actrice Sophie Duez a été, au passage, mandatée par le maire, pour gérer ce dossier, mais sans grand succès. Tour à tour « plateforme éco-urbaine transdisciplinaire » puis « pôle de cultures contemporaines », cet espace connaît un développement particulièrement laborieux. Sa labellisation HQAC (« Haute Qualité Artistique et Culturelle » n’aura donc pas suffi à en faire un authentique carrefour de la ville de Nice… Et pour cause : les labels ne font pas une politique culturelle, pas davantage qu’une politique écologique !
- Le Nice Jazz Festival : qui a connu également quelques déboires, navigant entre les arènes de Cimiez (qui devraient devenir, aux dernières annonces du maire datant de novembre 2022, un … festival international dédié à la tragédie antique), et le Jardin Albert 1er.
- L’ « art officiel de Nice » : les Niçois-es sont souvent très perplexes devant les choix artistiques du maire : les 9 Lignes obliques de Bernar Venet, sur le Quai des États-Unis, les barques du Port de Nice, le chien Totor, le capuchon mordu de stylo du parking Corvésy, le choix stylistique du monstre Iconic, etc.
- Last but not least : le fiasco culturel de 2023. Que voici.
Capitale européenne de la culture en 2028 en détruisant un TNN : un fiasco complet
Le municipalité a annoncé la candidature de la ville de Nice pour décrocher le titre de capitale européenne de la culture, confiant la mission à Thomas Aillagon, fils de l’ancien ministre Jacques Aillagon, qui avait déjà fait campagne à grands frais pour décrocher le label UNESCO « ville de la villégiature d’hiver de Riviera », portant sur un ensemble urbain de 520 hectares (soit 7% de la superficie de la commune : 7.200 ha).
Le municipalité de Nice n’a-t-elle rien trouvé de mieux pour appuyer sa candidature à la capitale européenne de la culture que de détruire son théâtre national ? Parions que les autres villes candidates françaises ne procèderont pas de la sorte : Saint-Denis, Bourges, Amiens, Reims, Rouen, Clermont-Ferrand…
Incohérence supplémentaire dans le cadre du projet Nice Capitale Européenne de la Culture, la fermeture du CIRM (Centre international de recherche musicale), l’un des six Centres Nationaux de Création Musicale créé en 1978, est programmée par la municipalité niçoise. En juin 2022 a d’ailleurs été votée une subvention municipale de 75000€, pour solde de tout compte. Le maire de Nice se fait donc le fossoyeur du TNN et du CIRM, centre de création de musique contemporaine.
Nous nous interrogeons donc : la culture niçoise, comme la vitrine écologique de la coulée verte, ne sont-elles pas devenues les faire-valoir d’un projet d’attractivité touristique global ? Mais la culture, dans une ville de près de 350.000 habitants, n’a-t-elle pas une fonction plus noble et ambitieuse que celle d’un label éphémère ?
Il est donc grand temps que cette vision change, qu’elle prenne en compte les besoins et envies que peut avoir toute population : disposer d’une offre culturelle riche et multiple, de lieux centraux et emblématiques. La vitrine touristique du Carnaval de Nice ne suffit pas. Pas davantage que ce projet d’atomisation de la municipalité niçoise. La culture et l’écologie sont bien plus nobles que des projets de béton ou des labels touristiques.
Début 2023 : cette candidature niçoise, cousue de fil blanc, est tombée, aussi lourdement que les derniers murs du TNN ! Nice ne sera donc pas la capitale européenne de la culture. Clap de fin et désaveu magistral pour le maire de Nice…
Christian Estrosi ne s’y était d’ailleurs pas trompé, quand il avait affirmé, après une vaine tentative précédente, que « Nice ne sera jamais capitale européenne de la culture ». C’était autour de 2011…
Un Carnaval pour les touristes ?
Le Carnaval de Nice est aujourd’hui entièrement payant, inaccessible pour cause de barrières, empêchant les Niçois d’y participer gratuitement et facilement, comme c’était le cas avant. Ce que nous réclamons : un Carnaval populaire, gratuit, d’accès facile pour les Niçois-es, et non réservé aux touristes aisés, pour que les habitants puissent honorer le Roi du Carnaval et faire la fête dans leur ville.