Nice : la ville aux 4000 caméras, la plus surveillée de France, mais pas la plus sûre !
Épiant nos moindres faits et gestes, plus rien n’échappe au « Big Brother » niçois. Elles sont positionnées partout, et leur nombre ne cesse d’augmenter (aujourd’hui : 1 caméra pour 90 habitants). Vous pensez y échapper en changeant de trottoir ou de rue, mais une autre caméra vous attend, plus grosse, plus haute, plus puissante, plus indiscrète encore. Autrefois fixes, elles sont devenues tournantes, puis à infrarouge, puis encore « intelligentes » et prédictives. Une surenchère et une course technologique qui ne peuvent que satisfaire la juteuse industrie de la sécurité… Citons simplement le géant de l’armement Thalès, ou encore Ineo Digital. Cette industrie a bien compris l’intérêt majeur de soutenir le concept de « safe city », largement promue par la municipalité niçoise.
Une « safe city » est censée « faire face au développement des menaces », en exploitant toutes sortes de données produites ou massivement captées par la ville connectée, au-delà même des simples caméras : analyse des flux des réseaux sociaux (vidéos, textes), croisement des données publiques… Une véritable nasse, au service du marché de la peur. Et devinez sur quoi travaille l’Institut méditerranéen du risque de l’environnement et du développement durable (IMREDD), installé sur les terres de l’Ecovallée niçoise (quartier Méridia) ? Sur « l’acceptabilité des technologies par la population » (propos de son directeur Eric Dumetz en 2022)… C’est donc bien d’une nasse dont il s’agit : plutôt que d’interroger la question éthique, on travaille à l’acceptation moutonnière des technologies de surveillance.
Pourtant, elles n’empêchent pas les innombrables infractions et délits puisque Nice est la 5ème ville de France pour les cambriolages et la 9ème pour les coups et blessures. En 2021, 31.449 crimes et délits ont été officiellement enregistrés à Nice, dont 3.028 « autres coups et blessures volontaires criminels ou correctionnels »… Pire, elles n’ont même pas empêché le terrible attentat terroriste de 2016, alors même que le camion-bélier de plusieurs tonnes a réalisé plus de dix repérages sur la Promenade des Anglais, les jours qui ont précédé l’attentat de Juillet 2016. Même constat pour l’attentat de la Basilique Notre-Dame (6 repérages) en octobre 2020, et l’attaque au couteau à l’église de Saint-Pierre d’Arène en avril 2022 (auteur non fiché). Et pourtant, au lendemain des attentats parisiens de janvier 2015, Christian Estrosi osait jurer que rien de tel n’aurait pu arriver à Nice… Il n’aura fallu attendre qu’un an et demi pour vérifier l’exact et dramatique contraire.
Dans un article du Monde, en date du 10 mars 2023, on peut lire : « A l’étranger, où des tests à grande échelle ont été conduits aux États-Unis et au Royaume-Uni, des données plus détaillées ont parfois été dévoilées. Elles dressent un bilan très peu convaincant de l’utilité de ces technologies. En 2017, une expérience de détection de visages au carnaval de Notting Hill, à Londres, s’était soldée par un échec quasi total, avec de très nombreux « faux positifs » – des personnes identifiées à tort.«
L’obsession de la technologie de surveillance
On entend quelquefois que l’installation de caméras permet de « faire passer la pilule d’un manque d’effectifs policiers ». Ça n’est pourtant pas le cas à Nice, où ces effectifs ont connu une inflation hors norme. Qu’à cela ne tienne, ici, ce sera ceinture et bretelles ! L’inflation de caméras niçoises ne répond donc même pas à une logique d’économie de moyens humains…
Et la municipalité de Nice veut aller encore plus loin, taper plus fort. Elle veut maintenant que les Niçois soient surveillés par des drones, dans une logique d’hypervision inflationniste plaçant les citoyens sous contrôle. Anthony Borré, 1er adjoint se prenant pour un commando marine, a même osé (mai 2022) évoquer le rôle des drones pour lutter contre les … attaques venues par la mer ! Par deux fois heureusement, le Conseil des Sages a interdit ces usages, bien conscient de la dérive que représentent ces outils, lorsqu’ils sont utilisés à des fins de flicage et, qui sait, de fichage ? Rappelons également que l’application « Reporty », développée par une entreprise israélienne, était proposée par la municipalité aux Niçois, avant d’être retoquée par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) : il s’agissait en effet d’un outil de … dénonciation, pour ne pas dire de délation !
A ce propos, deux journalistes expérimentés, Christian Chesnot (Radio France) et Georges Malbrunot (Le Figaro), ont publié début 2022 le livre « Le déclassement français ». On y lit que le maire de Nice voue une admiration pour les techniques de cybersécurité israéliennes : « Christian Estrosi est fasciné par Israël, il y a eu l’application Reporty, développée par la start-up de l’ancien premier ministre Ehoud Barak testée en 2018 à Nice, l’objectif était pour les utilisateurs témoins d’incivilités de filmer la scène, et d’envoyer les images au centre de supervision urbain. » indique Christian Chesnot. Poursuivant : « Après avoir été réfréné par la CNIL, Commission informatique et liberté, le maire s’est essayé à un tout autre dispositif « l’expérimentation reconnaissance faciale » lors du Carnaval 2019, avec la technologie israélienne Anyvision. » Tout cela passe par des expérimentations auxquelles le maire alloue des subventions (100.000 euros, selon les auteurs) au profit d’un groupe de pression pro-israélien, agissant auprès des députés français. Ainsi, « le service de renseignement Israélien disposerait en direct s’il le souhaite des images de ce qui se passe à Nice, comme il a pu accéder aux écoutes du logiciel espion Israélien Pégasus »… (source)
Mais quid des résultats ? Il est maintenant démontré que la vidéosurveillance est loin d’être aussi efficace que l’affirme la municipalité de Nice. Elle est bien davantage un outil de communication politique (pour rassurer) qu’un outil de sécurisation, et moins encore de protection : entre 0 et 3% des affaires sont résolues par la police et la gendarmerie grâce à elle… Les caméras sont donc également de piètres auxiliaires de justice.
Qu’en pensent les experts ?
- Didier Vullierme, adjoint sécurité de la ville de Villeurbanne (dans la revue Sans Transition ! de septembre 2018) : « Une caméra ne protège de rien. Ce sont les agents dans les rues qui protègent. »
- Laurent Mucchielli, sociologue : « Un des plus gros mensonges est de faire croire que les caméras nous protègent du terrorisme. »
Les citoyens doivent être vigilants et rester conscients des dérives possibles liées au développement des technologies dites sécuritaires (surveillance généralisée, reconnaissance faciale, etc.). Officiellement mises en place pour sécuriser et protéger (ce qu’elles font bien peu dans les faits), elles représentent un réel danger pour la liberté civique, individuelle et collective. Des études récentes ont également montré le danger des biais racistes, sexistes et sectaires des technologies d’intelligence artificielle (IA). Pour celles et ceux qui n’en mesurent pas encore les risques potentiels, découvrir ici le système liberticide du crédit social mis en place par le pouvoir chinois (barème de réputation et de notation)…
Bref, ceux qui veulent nous suivre du matin au soir, devraient probablement se faire … suivre. Il existe bien quelques spécialistes, freudiens ou lacaniens, pour les aider…
La reconnaissance faciale représente un réel danger
Alors que le maire de Nice, et son 1er adjoint technocrate, militent pour la généralisation de la reconnaissance faciale, les exemples d’abus fleurissent déjà, qui doivent nous alerter sur le danger de cette technologie pour les libertés publiques. Le leitmotiv binaire des élus niçois : « Quand on n’a rien à se reprocher, quel est le problème ? »… Une musique bien connue, mais une bien courte vue !
En mai 2022, l’entreprise américaine Clearview AI, spécialisée dans les technologies de reconnaissance faciale, a été condamnée au Royaume-Uni à une amende de près de 9 millions d’euros, avec l’injonction de supprimer les données personnelles des résidents britanniques. Le Royaume-Uni est le quatrième territoire à sanctionner de la sorte l’entreprise spécialisée dans la reconnaissance faciale, accusée de collecter illégalement des millions de données personnelles (source BFMTV)…
En juin 2022, sont annoncées de nouvelles « caméras intelligentes », qui n’utiliseront pas officiellement la reconnaissance faciale, proscrite, mais permettront de « retrouver une personne dans la foule » par la reconnaissance corporelle (démarche, couleur du T-shirt, etc.)… Solution fournie par Avigilon, filiale de Motorola. L’obsession est patente ! Pathologique, peut-être ? En tout cas, même si cette technologie pourra permettre aux policiers du Centre de Supervision Urbain (CSU) niçois de jouer à « Où est Charlie ? », elle est porteuse de terribles risques de dérives…
Conseil de lecture : « Nice, un laboratoire de la « Safe City » ? Quand la sécurité numérique repolitise l’action publique locale », Raphaël Challier, Métropolitiques, 31 janvier 2022.
Dernières nouvelles : le décret n° 2023-283 a été signé le 19 avril 2023, relativement à la mise en œuvre de traitements d’images au moyen de dispositifs de captation installés sur des aéronefs pour des missions de police administrative.
En 2023, Christian Estrosi, en chantre du sécuritarisme technologique, est allé jusqu’à demander la suppression de « l’institution poussiéreuse » de la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés)… Cet élu met en danger la protection des libertés individuelles ! Voir ici.
Il est donc grand temps de changer de cap à Nice
Grand temps de remplacer cette technologie de caméras, de drones et d’ « intelligence artificielle », par la présence d’agents humains, beaucoup plus sur le terrain, au plus près des Niçois, dans un esprit de service public, de prévention, de lien social et de protection pragmatique, non dispendieuse, et non périlleuse pour les libertés publiques.
Grand temps également, de ne plus considérer les habitants comme des consommateurs et producteurs de data, mais comme des citoyens, avec des droits et des devoirs.