La com’ a tué le débat !
Où sont les débats d’antan ?
En 1458, François Villon avait écrit ce poème « Ballade des Dames du temps jadis », dans lequel il clamait « Mais où sont les neiges d’antan ! ».
Mais avez-vous remarqué qu’aujourd’hui, 565 ans plus tard, les débats contradictoires fondent aussi comme neige au soleil ? « Mais où sont les débats d’antan ! ». De moins en moins de débats sur les chaînes télé, ou dans les cités. En fait, on ne sait plus débattre, que ce soit à l’Assemblée nationale ou sur les réseaux sociaux : non, on préfère s’invectiver, s’insulter, dénigrer, affirmer péremptoirement et jusqu’à nier l’adversaire.
Le débat est pourtant à la base de la démocratie. Le ministre Michel Debré, rédacteur de la la Constitution de la Vème République, le disait en 1958 : « L’essence de la démocratie, c’est le conflit ». Ce terme « débat » est un déverbal du verbe « débattre », dont l’étymologie est explicite : il est composé du préfixe dé-, exprimant l’intensité, et de battre, issu du latin « battuere », battre, frapper, rosser. Il s’agit donc de discuter, se quereller (dans le sens des disputes au Moyen-Âge), et non de se battre, à coups de batte, de fourche ou de poing. Le débat est sain : il est même une puissante barrière contre la barbarie, dont nous sommes évidemment tous capables (selon les circonstances).
Le débat est tellement craint ou dénigré, que les médias ne cherchent même plus à en organiser sur leurs plateaux TV ou radio. Combien de fois avons-nous appris (des journalistes eux-mêmes) que des dirigeants publics renonçaient à une proposition de débat lorsqu’ils apprenaient qu’ils allaient nous trouver face à eux ! Nous ou d’autres, évidemment. Eh oui, les éléments de langage ne sont pas très compatibles avec le débat d’idées.
Des écrans pour carapaces
De nos jours, nous sommes enfermés dans nos tours d’ivoire. Derrière nos pare-brise de voitures, nos écrans d’ordi ou de téléphone portable. Nous échangeons des monologues, mais ne communiquons plus. Sur les réseaux sociaux, ce sont d’interminables batailles communicationnelles, faites d’éléments de langage, de pulsions émotionnelles et d’invectives. Voire de silence et de négation de l’autre. A force de mettre de la com’ à toutes les sauces, au cœur même des centres de décision (sociétés, pouvoir institutionnel, cabinets), on a érigé un superbe mur de la communication, une muraille séparant les esprits et isolant l’esprit critique.
L’exagération est de mise et les compteurs d’abonnés Twitter, Facebook ou Instagram, sont souvent extravagants, pour ne pas dire suspects. La simplification manichéenne (« avec ou contre moi », etc.) mène à la catégorisation abusive et à l’ostracisation. Voire à une forme de néo-maccarthysme (chasse aux sorcières). A titre d’exemple, les conservateurs se réfugient dans l’ultime accusation d’extrémisme, d’irresponsabilité ou de radicalité, quand ils ne savent plus que répondre aux arguments des progressistes, des citoyens-experts ou des écologistes.
Les mots interdits
Autre point : il convient de proscrire les « mots à risque », quels que soient ces arguments, aussi fondés soient-ils. Ceux qui permettent aux adversaires, vus comme des ennemis, d’attaquer facilement en justice pour diffamation ou calomnie. Accuser celui qui ment éhontément de « menteur » peut vous coûter cher… Cette épée de Damoclès plane également sur la société civile et les bénévoles engagés pour la cause commune et l’intérêt général, quand ils ont l’impudence de dire la vérité à certains puissants personnages, ou de mener des investigations un peu gênantes sur des « dossiers chauds ». C’est ce qu’on nomme les « procédures-bâillons ».
Les menaces en font partie : on vous envoie des huissiers à votre domicile, des cabinets d’avocats mandatés vous adressent des courriers d’ultime avertissement, parfois même les « services » vous surveillent, etc. Comme d’autres, les responsables du collectif citoyen 06 ont subi ces pratiques… Car l’argent est un étouffoir : les menaces d’amendes judiciaires peuvent réfréner associations et citoyens.
Adieu spontanéité, sincérité et courage…
Ce qui disparaît sous nos yeux n’est rien d’autre que la spontanéité, la sincérité et le courage. Observez les réponses des personnes interviewées par Élise Lucet, dans ses émissions Cash Investigation… « Je ne répondrai pas à cette question », « Je dois vous quitter, j’ai d’autres rendez-vous », « Je ne peux rien dire, une procédure judiciaire est en cours », « Pour la 3ème fois, je vous répète que… », « Vous me l’apprenez, nous allons étudier ce problème avec beaucoup d’attention ». La com’ a censuré la franchise. Elle a pris le pouvoir sur les esprits. Elle désinforme, trompe, dirige, censure. De nombreux responsables politiques désinforment, comme le fait déjà la pub, avec tant d’expertise et de moyens. Les greenwashing, socialwashing et autres concertationwashing, connaissent leurs heures de gloire… Qui dit encore la vérité ? A Nice, sur la Côte d’Azur, comme ailleurs. Quand les intérêts sont importants, les lobbies affairistes deviennent puissants, trop puissants. On nous demande de faire silence ! A un point tel, que les seules voix entendues dans ces groupes humains inféodés ne savent plus répéter que la voix de leurs maîtres. Une voix calibrée, compatible avec les intérêts des patrons, épurée, « raisonnable » et à la respectabilité de façade. Une novlangue, comme dans le roman d’anticipation « 1984 » de George Orwell…
Retrouvons l’audace, la franchise et le courage !
Face à ces dérives, nous revendiquons légitimement le droit à l’alerte, à l’information, au débat contradictoire. Nous demandons la réinstauration d’une authentique communication, de vrais échanges. Parce que les « vrais sujets à enjeux » sont nombreux, et qu’il est grand temps que nous nous parlions, comme doivent parle-menter nos représentants députés et sénateurs. Sans cet exutoire, la violence fourbit ses armes.