Et si on sortait du cynisme ambiant ?
Nous vivons dans un monde cynique. Les Occidentaux que nous sommes parvenons à détourner le regard de constats inacceptables, à conforter nos dénis hallucinants de pays riches face à un monde majoritairement précaire, voire pauvre. François Gemenne, chercheur en géopolitique de l’environnement, commence son livre »On a tous un ami noir – Pour en finir avec les polémiques stériles sur les migrations » par ces mots : « J’écris ces lignes alors que je suis un homme, blanc, né en Europe, hétérosexuel et vaguement catholique. A la grande loterie des privilèges, j’ai tiré tous les bons numéros. » Est-ce le cas des près de 7 milliards d’autres humains de la planète ? Nous sentons bien que l’injustice et les inégalités rodent. Notre société occidentale ne veut renvoyer que sa propre image sur le reste du monde. Pire, elle se refuse à regarder en face les impacts de son mode de civilisation, rejetant sur les Chinois ou les Africains les dégâts environnementaux dont elle est fondamentalement et historiquement grandement responsable (les émissions de CO2 et autres déchets).
Pire, nous trions les humains fuyant les mêmes guerres ou la même misère : ici, les réfugiés blancs européens auxquels nous ouvrons les bras, là, les migrants africains ou afghans que nous rejetons ou enfermons. Face à l’inavouable, nos dirigeants politiques, et nous avec, nous réfugions dans le cynisme, un cynisme généralisé qui dilue nos responsabilités individuelles.
M’en bati de la pauvreté sous le Soleil de Nice !
Mais nous vivons à Nice ou sur la Côte d’Azur : est-ce mieux sur ce « coin de paradis » ? Hélas, non. Loin s’en faut, et même les dards du Soleil peinent à cacher la misère du monde. Y compris dans nos villes ! A Nice, un habitant sur cinq vit sous le seuil de pauvreté, et c’est près d’un jeune sur trois… Qui le sait, ou s’en soucie ? Et de quoi parlent nos (mal-)élus ? De croissance, de « smart city« , d’écologie au service de l’économie, de « Nouvelle-Nice » sur les terres arables de la basse plaine du Var… Jamais de pauvreté ou de chômage, qui sont pourtant si endémiques dans près d’une demi-douzaine de quartiers niçois. Qui s’en soucie ? Probablement pas celles et ceux qui ont la chance de vivre dans les beaux quartiers. Ni, visiblement, la majorité municipale…
Les 7 quartiers les plus pauvres de Nice comptent environ 14.000 personnes vivant sous le seuil de pauvreté, soit un taux de 42% de la population (3 fois la moyenne nationale !) : Ariane, Pasteur, Saint-Roch, Roquebillière, Vernier, Saint-Augustin, Saint-Isidore Lingostière.
Le département des Alpes-Maritimes est l’un des territoires dans lesquels la disparité des revenus est la plus élevée. Si donc le PIB par habitant reste dans la moyenne générale, ce PIB est très mal réparti dans notre région. Enfin, le revenu annuel moyen par habitant à Nice (19.344 euros) est inférieur à la moyenne nationale (20.590 euros) (source INSEE).
Alors que notre région présente le plus fort taux de pauvreté en France, après la Corse et les Hauts-de-France (source INSEE Flash n°32 de décembre 2016), rappelons simplement que l’éradication de la pauvreté, où que ce soit, est l’objectif de développement durable n°1 (ODD 1) de l’Organisation des Nations Unies (ONU)…
M’en bati des émissions de gaz à effet de serre et de la pollution !
Outre la pauvreté et les inégalités, on ne peut que constater que ce qui se voit peu, ou se cache aisément, n’est pas pris correctement en considération par nos décideurs publics locaux : la question climatique, la pollution de l’air, les décibels (nuisances sonores), les dépendances critiques (alimentaire, énergétique), les déchets, etc. La com’ politique ne s’intéresse qu’au clinquant.
Considérons la question climatique : le président de la métropole Nice Côte d’Azur a signé en grande pompe la déclaration d’urgence climatique en 2019, et se prétend le premier écologiste du territoire. Mais que disent les faits, qui sont toujours les juges de paix ? Que les émissions annuelles du territoire niçois peinent à diminuer, et qu’elles ont même augmenté de 800.000 tonnes de CO2 entre 2018 et 2019 (date des derniers relevés) à l’échelle de la région Sud PACA, dont le maire de Nice est toujours président délégué. Plus personne de sérieux ne peut encore croire à l’engagement de réduction de -55% des émissions GES d’ici 2030. Alors, pourquoi ? Parce que cet objectif claque bien dans les médias, et que personne (ou presque) ne s’intéresse aux vrais bilans. Parce que les projets contraires se multiplient. Citons juste le projet d’extension de l’aéroport de Nice, soutenu par le maire de Nice, et dont l’objet est d’accroître considérablement son trafic passager (+50% d’ici 2030), ce qui aura pour conséquence une très forte augmentation des émissions de CO2… Les gaz à effet de serre ne se voient pas, et les tonnes de CO2 sont difficiles à appréhender : peut-être est-ce une raison ? Il faut quand même noter que le conseiller environnement du président de la métropole NCA « balaie d’un revers de la main la réduction des émissions de gaz à effet de serre » (interview Nice-Presse). On comprend mieux, quand on sait que ce même président a affirmé que « Nice ne sauverait pas le monde »… Autant dire : « M’en bati des émissions CO2 ! ».
Même constat pour la pollution de l’air : chaque année, 500 Niçois perdent la vie prématurément suite à leur exposition chronique à la pollution de l’air, et aux particules fines en particulier. Qui s’en émeut ? Peut-être parce que les oxydes d’azote et les particules fines ne se voient pas, et que les souffrances se vivent à l’abri des chambres d’hôpital ?
M’en bati de la dépendance alimentaire et énergétique !
Considérons à présent notre extrême dépendance alimentaire : le territoire niçois n’a que 2% d’autonomie alimentaire. Taux particulièrement problématique, lorsqu’on voit la fragilité des flux alimentaires avec les crises climatiques (Alex, sécheresse croissante), sociales (Gilets Jaunes) et internationales (cf. la guerre en Ukraine). Le maire-président de la métropole niçoise a initié une « politique agricole et alimentaire » en … 2014. Nous sommes en 2022, et n’avons toujours pas de PAT (projet alimentaire territorial) valide, ni d’accroissement de la capacité productive locale. En revanche, tandis que la pression immobilière est de plus en plus élevée, et que la déprise agricole poursuit son envolée, le béton continue de couler en nappes sur la plaine du Var et les collines niçoises. Pourquoi ? Pour construire des bâtiments « smart » et des hectares de bureaux, alors que les besoins de locaux tertiaires se sont effondrés…
Si la dépendance alimentaire est critique, n’oublions pas la dépendance énergétique, qui frôle les 90%. Alors que le territoire est particulièrement ensoleillé, seulement 0,4% de l’énergie électrique consommée provient de l’énergie solaire ! L’énergie et les kilowatts-heure ne se voient pas : peut-être est-ce une raison ?
Il serait peut-être temps de réagir ?
Ces quelques exemples montrent à quel point nous sommes collectivement anesthésiés par la communication incessante du pouvoir local, qui occupe, à grands renforts de millions d’euros, la scène médiatique sur tous les sujets. Sauf ceux qui pourraient fâcher, vous l’aurez compris… De quoi s’agit-il ? D’hypocrisie ou de cynisme ? Ou les deux ?
Et si les citoyen-nes se montraient un peu plus curieux et lucides, et exigeaient de leurs élus de vrais bilans, une réelle transparence et une authentique concertation, une bonne mesure des vrais enjeux et de l’humanisme ?
C’est ce que le Collectif Citoyen 06, comme bien d’autres associations, vous propose.