La future ‘’Aire Marine Protégée’’ de Nice doit être beaucoup plus protectrice !

Voilà des mois que la ville-métropole de Nice vante tous les bénéfices de sa future Aire Marine Protégée (AMP) le long de son littoral, y compris lors de la 3^ème conférence des Nations Unies (UNOC3) en juin 2025. Ses contours et caractéristiques viennent d’être publiés dans le cadre de la consultation publique (jusqu’au 26 décembre 2025).

Faisons le point ensemble, en remerciant sincèrement les scientifiques qui ont bien voulu nous transmettre leurs avis éclairés.

De quoi s’agit-il ?

Cette future AMP est annoncée comme une Zone de Protection Forte (ZPF) par les autorités. Deux zones principales et une annexe sont créées par l’arrêté interpréfectoral :

Zone 1 : Promenade des Anglais

• Bande littorale de 27,7 ha entre deux épis.
• Présence d’herbiers fragmentés et d’un fond sableux sensible.
• Zone fortement exposée aux ancres et à la fréquentation touristique.

Effet attendu : récupération des herbiers et stabilisation du substrat grâce à l’interdiction du mouillage et de la navigation motorisée.

Zone 2 : Pointe des Sans-Culottes

• Secteur rocheux, alternance de platiers et zones d’herbiers (Posidonia oceanica et Cymodocée).
• Présence avérée de récifs coralligènes (inventaire).
• Connectivité écologique importante vers Villefranche (profondeur accrue).

Superficie de 22,3 hectares avec la zone 3.

Effet attendu : protection des habitats coralligènes peu représentés dans les AMP urbaines.

Zone 3 : Grotte à Corail

• Micro-habitat d’importance exceptionnelle : coraux sciaphiles, filtrateurs, faune cavernicole.
• Extrême sensibilité au dérangement.
• Interdiction totale d’accès et de pêche.

Effet attendu : conservation des communautés cavernicoles, sécurisation du patrimoine biologique.

Quel est le contexte écologique ?

Selon l’arrêté, les deux zones abritent des habitats d’intérêt communautaire :

• Herbiers de Posidonia oceanica et Cymodocée.
• Récifs coralligènes
• Grottes sous-marines dont la Grotte à Corail

Ces habitats présentent une forte sensibilité aux pressions physiques (ancrage, pêche professionnelle, pêche sous-marine, fréquentation plongée) et un fort rôle écologique (nurserie, refuge, structuration d’écosystèmes).

Quels effets attendus de la ZPF sur la biodiversité ?

Cette ZPF prévoit des interdictions strictes dans la majorité du périmètre : pas de pêche (loisir + pro, mais dérogation), pas de plongée, pas de mouillage ni arrêt des navires, pas de navigation motorisée sur la Promenade des Anglais.

Premier bénéfice : une réduction des pressions directes, notammentdans un secteur urbain très fréquenté et artificialisé (pression touristique et d’ancrage, reconnues dans l’arrêté). Les interdictions ciblent précisément les pressions les plus destructrices :

• Mouillage → facteur majeur de fragmentation des herbiers,
• Pêche → diminution de la mortalité directe,
• Plongée → réduction du piétinement et des perturbations sur le coralligène et les grottes.

Ces mesures auraient pu rapidement favoriser la résilience des habitats benthiques, avec un retour de biomasse et une recolonisation progressive des espaces.

Ensuite, un ‘’effet réserve’’ potentiel : la suppression simultanée du prélèvement (pêche) et du dérangement (plongée, navigation) dans deux périmètres contigus crée les conditions minimales d’un effet réserve local (augmentation richesse, abondance, taille moyenne des poissons).

Mais un effet fortement limité !

Avec le projet actuel d’arrêté, trois facteurs limiteront fortement l’effet de protection de cette ZPF.

• La surface annoncée est très faible (moins de 50 hectares) : les ZPF ne couvrent qu’une bande côtière de 300 m et sur de très petites surfaces. La protection restera très insuffisante pour les espèces patrimoniales mobiles (mérous, corbs). L’effet réserve sera probablement limité avec une surface très réduite et fragmentée, à comparer aux 1300 hectares du parc national de Port Cros (soit 26 fois plus vaste).

• La connectivité entre les deux secteurs est incomplète : absence de continuité écologique entre les deux zones.

• La dérogation 8 mois sur 12 à la pêche professionnelle dans le secteur de la Pointe des sans-culottes, avec une autorisation entre décembre et juillet, uniquement pour les arts dormants (outils de pêche statiques). Les pêcheurs ne pratiquant pas ou peu leur activité au mois d’aout (activité touristique de plaisance trop importante) et en automne (tempêtes importantes), leurs activités ne seront quasiment pas impactés. Cela réduit la protection réelle des espèces démersales et atténuera très vraisemblablement l’effet réserve. Le contrôle des arts utilisés et la vérification des dérogations seront donc déterminants (police municipale, OFB, Gendarmerie maritime) dans un secteur urbain.

Il est tout à fait inacceptable que le projet, dans sa forme actuelle, confère le statut de Zone de Protection Forte à une zone ouverte à la pêche 8 mois sur 12 !

Spécificité de la grotte sous-marine (« Grotte à Corail »)

L’interdiction totale de pénétration est scientifiquement justifiée : cette grotte sous-marine extraordinaire serait dégradée par la plongée :

• Les grottes sont extrêmement sensibles au moindre dérangement,
• La turbidité générée par les plongeurs détruit les communautés sciaphiles (qui apprécient particulièrement les écosystèmes plongés dans l’obscurité),
• Certains coraux y présentent une croissance millimétrique.

Comparaison avec d’autres ZPF méditerranéennes

Conclusion comparative :

• La protection instaurée à Nice est stricte mais spatialisée, et avec une large dérogation à la pêche (8 mois sur 12) : elle est donc comparable à des micro-réserves méditerranéennes.

• En termes d’ambition réglementaire, la ZPF se situe dans la moyenne basse, malgré un contexte urbain plus contraint.

• Le principal déficit est la surface, bien inférieure aux AMP ayant démontré des effets marqués sur la biodiversité ainsi que la dérogation à l’activité de pêche professionnelle artisanale.

Appréciation scientifique finale

L’arrêté met en place un ensemble de mesures cohérentes et ambitieuses pour la protection benthique littorale. La réduction des pressions directes devrait mener à une amélioration mesurable de l’état écologique, en particulier pour les habitats fixes (posidonies, cymodocées, coralligène).

Cependant, l’effet réserve sur les populations mobiles sera limité, et l’effort de surveillance (non détaillé dans l’arrêté) conditionnera largement les bénéfices.

Les recommandations des scientifiques (pour renforcer l’efficacité de la ZPF)

Créer une réelle protection forte

• Supprimer totalement la pêche professionnelle dérogatoire dans la zone Sans-Culottes.
• Accroitre le périmètre de la ZPF

Renforcer la surveillance

• Patrouilles régulières de la police municipale, OFB (Office Français de la Biodiversité) / Affaires Maritimes, le soir et tôt le matin.
• Vidéo-surveillance littorale ciblée sur les zones de mouillage sauvage.
• Signalisation renforcée (bouées, panneaux).

Suivi scientifique à long terme

• Protocole de suivi : posidonies / coralligène / communautés de poissons
• Suivi pêche embarquée hors zone pour évaluer l’effet réserve.
• Suivi fréquentation touristique.

Cohérence spatiale

• Connecter à moyen terme les deux zones par des corridors écologiques littoraux.
• Intégrer Nice dans un réseau cohérent d’AMP transfrontalières (Monaco – Menton – Villefranche).

Comment s’impliquer ?

Vous pouvez transmettre vos observations jusqu’au le 26 décembre 2025 par mail à : ddtm-smparticipation-public@alpes-maritimes.gouv.fr, en mentionnant en objet du courriel : « Projet d’AIPHN Nice ».

En complément de cet article, vous pouvez consulter l’avis de consultation publique :

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