L’écologie, mais qu’est-ce donc ? Témoignage
A une table de restaurant, Tours, juin 2025

Je me retrouve attablé par hasard à côté d’une femme médecin spécialiste, Sophie*, dont je viens de faire la connaissance. Dialogue :
- Alors, comme ça, tu es engagé sur l’écologie ? me lance-t-elle.
- Oui, ça me paraît être une préoccupation plutôt d’actualité, non ? Surtout quand on est parent, et qu’on se renseigne un minimum sur les enjeux climatiques ou la biodiversité.
- Oui, oui… Mais moi, j’adore voyager, et on ne me fera pas arrêter l’avion. D’ailleurs, je reviens juste de Lisbonne et je repars en Asie bientôt.
- A chacun sa conscience, mais l’aviation est un transport bien polluant et inégalitaire, lui rétorqué-je.
- Et ton téléphone, il ne pollue pas, peut-être ? tente-t-elle… Et ton ancien métier, ce n’était pas polluant ?
- Oui, bien entendu, mais les émissions CO2 sont sans commune mesure entre un téléphone et un vol long-courrier. T’es-tu un peu renseignée sur ce sujet ? Tu connais le principe de Pareto ?
- Ah non, arrête, ça me stresse (le ton change…). Et d’ailleurs, je ne sais même pas où je peux connaître les émissions d’un vol que je viens de prendre !
- De nombreux sites Internet te proposent de calculer ton empreinte carbone. Et il est peut-être plus judicieux de le faire avant de partir qu’après…
- … (air dubitatif de mon interlocutrice).
- Bref, libre à toi ! Mais sache qu’avec un seul aller-retour France-Asie ou Amérique, tu arrives vite à plus de 2 tonnes de CO2, soit autant que l’émission annuelle individuelle maximale permise sur une année, toutes activités confondues. Je n’ai rien contre l’avion, mais il est clair qu’il faut réduire fortement le trafic aérien, et permettre à la jeunesse de découvrir le monde, plutôt que les anciens.
- … (air d’incompréhension).
- Tu as entendu parler de la neutralité carbone d’ici 25 ans seulement ?
- Non…
- Et les limites planétaires, dont nous venons de franchir la 7ème sur 9 ?
- Non…
- Et l’overshoot day ?
- Non… (soupir).
- La France, toutes proportions gardées, consomme l’équivalent des ressources renouvelables de presque 3 planètes en un an (en mai, nous vivons déjà à crédit), les Etats-Unis 5 planètes, et le Qatar 8… L’humanité en est à 1,7 planète. Crois-tu vraiment que nous puissions continuer longtemps ainsi ?
- Voilà ! C’est le problème avec les gens comme toi. Tu nous fais la morale et tu casses l’ambiance. On a qu’une vie, pourquoi je n’en profiterais pas ? (son visage se ferme).
- Je vais te parler franchement, Sophie (elle se redresse). Je pense sincèrement que ces questions d’environnement, de climat et de biodiversité, d’injustices sociales, ne devraient pas être les préoccupations des seuls « écolos ». Nous sommes des adultes responsables, parents voire grands-parents, scientifiques pour certains d’entre nous : ne crois-tu pas que nous pourrions aligner un minimum nos comportements sur les responsabilités qui sont les nôtres, et ne pas nous contenter de profiter aveuglement de biens ou de services pourtant très impactants ? La surconsommation et les voyages incessants sont-ils les seuls moyens d’être heureux ? Je ne crois pas, Sophie… Pensons un peu à nos enfants, aux générations futures et à tous ceux qui vivent dans les pays qui vont encaisser les effets du réchauffement climatique.
Le repas se termine. Nous nous quittons plutôt froidement… L’impression est désagréable : celle d’avoir importuné ma voisine de table – peut-être même gâché son dîner, et de m’être trouvé à la mauvaise place du ‘’moralisateur’’. Mais cette place ne m’a-t-elle pas été finalement offerte par sa légèreté hallucinante et ses nombreux dénis ? Etymologiquement, Sophie signifie pourtant sagesse et savoir… Gageons que cette Bac + 10 finisse par s’ouvrir sur ces sujets et s’éloigne un peu de ces illusions marchandes. Pour son éveil et la sauvegarde de notre planète.
* Prénom modifié