Urgent : sortons les mythes de nos placards !
Après une année 2023 rapide, tumultueuse, marquée d’événements mondiaux et locaux forts, positifs ou dramatiques, et de nombreux événements personnels également, nous devons prendre garde, car les temps changent ! Un changement Historique, avec un grand H.
Les ombres planent sur notre théâtre de lumière
Les temps changent, profondément. Parce qu’un élément du décor est en train de s’approcher de nous et qu’il entreprend de changer radicalement notre scène de théâtre humain. Pas à pas, avançant parfois en crabe, il s’approche de nos dénis et les fissure. Son ombre grandit dans nos espaces mentaux, médiatiques, politiques, mais la majorité d’entre nous préférons regarder ailleurs, comme disait le grand Jacques. Nous avons nommé : le facteur environnemental. Durant des millénaires, nous avons pensé pouvoir transformer le monde à notre guise, nous entre-déchirant pour obtenir plus que nos voisins, plus de territoires et de ressources, plus de puissance géopolitique… Nous avons construit un géant agité et devenu dangereux pour lui-même, mais aux pieds d’argile : le facteur humain.
Bienvenue dans la temporalité de l’urgence !
Mais voici que le facteur humain se fait lilliputien face à la résurgence puissante du facteur environnemental. A force de le malmener et de le nier, de le piller et de le polluer, l’humanité se voit confrontée à la nécessité vitale d’un « réveil » brutal. Pour ne citer que deux des nombreuses catastrophes en cours : le réchauffement climatique et la chute vertigineuse de biodiversité, mettent en péril notre survie collective même, à l’échelle d’un siècle ou deux. Avec l’Anthropocène, nous sommes entrés dans la temporalité de l’urgence. Il existe en fait, plus largement, neuf limites planétaires, qui ont été identifiées en 2009 par le Stockholm Resilience Centre, et nous en avons déjà franchi six… Pour le dire plus clairement, et sans chercher le buzz catastrophiste : nous courons à notre perte.
Qui sont les malfaiteurs ?
Nul besoin d’être Sherlock Holmes pour identifier les malfaiteurs, que sont nos dénis, nos habitudes, nos petits égoïsmes et aveuglements, et l’inertie de nos constructions humaines (sociétés, infrastructures, cultures, etc.). L’environnement, autrement dit la planète Terre, évolue sourdement, lourdement, sans état d’âme ni empathie particulière pour l’espèce humaine. Il a favorisé notre émergence, il y a une paire de millions d’années, et peut tout aussi bien accélérer notre disparition. N’oublions pas que neuf espèces du genre Homo galopaient sur la Terre il y a encore seulement 300.000 ans (Homo neanderthalensis en Europe ou Homo rhodesiensis en Afrique, etc.). Il n’en reste qu’une aujourd’hui, la nôtre : Homo Sapiens. Huit autres espèces humaines ont disparu dans le tourbillon de l’Histoire, pour des raisons diverses et variées. Il n’en reste au mieux, que quelques gènes dans les brins d’ADN dispersés dans nos cellules, suite à quelques croisements amoureux. Ahhh, l’amour…
En 2023, Homo Sapiens savait, mais ne voulait pas (encore)…
Sapiens est un adjectif latin issu du participe présent du verbe sapere : « avoir du goût, de la saveur, du jugement ». Autrement dit, Homo Sapiens est censé être « intelligent, sage, raisonnable, prudent ». Mais a-t-il seulement compris et pris conscience qu’il met actuellement en place tout le décor nécessaire à sa disparition ? De la façon la plus rationnelle et méthodique, grâce à son cortex hypertrophié…
La catastrophe climatique et environnementale qui se profile pourrait nous balayer sans aucune forme de procès. Pourquoi ? Parce que notre rapport au réel a été démembré par notre capacité à l’enrober et à le dénaturer par la pensée et le langage, notamment la pensée « moderne » : nos mots sont devenus nos maux. S’il faut un exemple, citons juste le greenwashing, cette nouvelle expertise du mensonge et de la trahison des faits, cet habillage carnavalesque de la tragédie environnementale. La rationalisation occidentale a tué paradoxalement les mythes, les rêves et les mystères, pour reprendre le titre du célèbre ouvrage du philosophe roumain Mircea Eliade (1907-1986). En à peine trois siècles, nous avons émondé l’arbre de notre modernité technique et scientifique des vieux mythes fondateurs de l’humanité – à l’exception des religions monothéistes qui persistent majoritairement davantage sur un terreau culturel, traditionaliste ou identitaire que religieux, vite remplacés par de nouveaux mythes. Ces nouveaux mythes ont un potentiel beaucoup plus destructeur, pour ne pas dire explosif, à l’échelle du temps long.
Nos placards se sont remplis de mythes toxiques
Quels sont ces nouveaux mythes ? Ce sont notamment ceux liés à la toute-puissance de la technique – ou technologie, à la confiance inconditionnelle accordée au « progrès », à la croyance d’une possible croissance économique exponentielle mais durable, et à celle d’une invulnérabilité quasi-sacralisée de l’humain et à sa géniale supériorité sur le reste du monde : le vivant, comme le non-vivant. Ce sont bien toutes ces croyances et tous ces mythes modernes, qu’il convient de remettre profondément en question. Vous comprendrez que nous laissions de côté la question sensible des religions dans cette réflexion.
Le mur climatique et la faille de la biodiversité semblent collectivement nous figer. Henri Laborit, médecin chirurgien et neurobiologiste (1914-1995), avait élaboré la théorie des « 3F » pour décrire les réactions humaines devant un péril : Fight, Fly, Freeze. Ou nous combattons ce péril, ou nous le fuyons, ou encore nous nous figeons. Aujourd’hui, alors que notre siècle attrape 24 ans et qu’il est censé entrer dans l’âge adulte, une minorité d’humains combat (Fight), qu’une autre minorité d’humains, les dirigeants politiques conservateurs, qualifie d’écoterroristes ou d’extrémistes. Beaucoup d’autres préfèrent fuir la réalité (Fly), précisément dans un rapport névrosé à la réalité, dans les dénis et les mensonges, ou se figer (Freeze) et se calfeutrer dans la banalité de leur quotidien et de leur confort moderne (pour ceux qui en ont le privilège).
Une seule voie : tout revoir, de fond en comble !
La réalité, brutale mais factuelle, est que nous ne pouvons plus ignorer les effets de notre civilisation moderne, et que nous devons tout revoir de nos modes de vie et de notre rapport au monde. De fond en comble. A celles et ceux qui nous répondront que « c’est impossible ! », nous disons qu’alors « la fin assez prochaine de l’expérience humaine – dans un monde non chaotique, va devenir inéluctable, et que ce n’est plus qu’une question de temps ». Mais à celles et ceux qui acceptent de relever le Défi, les générations futures, à commencer par celles de nos enfants, diront merci, du fond de leur humanité reconnaissante. Et n’oublions pas que la démission de l’humanité devant ce défi colossal pourrait entraîner la perte de centaines de milliers d’espèces vivantes, trésors uniques remontant du fond des âges de l’évolution darwinienne. Tout revoir ? Bien sûr ! Et cela demande du courage, notamment du courage politique !
Parce que vivre dans l’illusion est une forme de fuite. L’illusion d’une croissance permanente, par exemple, fondement « vital » du capitalisme néolibéral. Qui ignore encore qu’une croissance annuelle de +3% entraîne le doublement de l’activité industrielle et économique en seulement 23 ans, et qu’elle la multiplie quasiment d’un facteur 20 en un siècle ? Alors, que l’activité humaine actuelle a déjà suffi à dépasser 6 limites planétaires sur 9, à modifier le climat terrestre de manière très périlleuse et à initier la 6ème extinction de masse des espèces vivantes…
Les écoterroristes ne sont pas les militants écologistes !
Non, les écoterroristes ne sont pas les jeunes militants écologistes qui agissent avec leurs petits moyens, et doivent faire face aux régiments militarisés de CRS, dont le rôle n’est pas de protéger les populations, mais plutôt de préserver l’ordre établi et le pouvoir politico-économique. De conserver un monde traditionaliste, fait de frontières physiques et mentales, de lois rétrogrades contre les migrations humaines (loi immigration, etc.), de crispations politiques extrêmes-droitistes, d’injustices éhontées (qui a juste vérifié que ses achats de Noël n’étaient pas issus des travaux forcés d’Ouïghours ?), de dénis sur les dégâts irréversibles de nos petits conforts occidentaux ?
Les historiens du futur n’auront pas de difficulté à définir les écoterroristes comme les cols blancs et les politiques au logiciel périmé, qui se seront entêtés à réfuter la réalité et la gravité de l’évolution du monde. Pour des raisons financières ou électoralistes, dont la futilité aura assassiné l’avenir. Mais combien, parmi nous, vivent dans le sillage de ces destructeurs qui veulent s’ignorer ?
Lisons, échangeons, cultivons-nous, ouvrons-nous !
Il est donc temps, et urgent, de suivre celles et ceux qui nous auront incité, ou s’évertuent aujourd’hui, à ouvrir nos consciences. Longtemps après Lucrèce et Jean-Jacques Rousseau, des auteurs qui interrogeaient déjà notre rapport à la Nature, citons dans le désordre : Henri-David Thoreau, Rosa Luxembourg, Rachel Carson (Silent Spring, 1962), les auteurs du fameux rapport d’alerte Meadows (1972), Elysée Reclus, James Lovelock, René Dumont, André Gorz, Jacques Ellul, Hans Jonas, Jürgen Habermas, Arne Næss, Ivan Illich, Michel Serres, Isabelle Stengers, Naomi Klein, Edgar Morin, Pierre Rabhi, Vandana Shiva, Bruno Latour, Jean Jouzel, et tant d’autres, sans oublier la jeune Greta Thunberg. Sans rechercher l’exhaustivité, citons aussi les économistes (Serge Latouche, Timothée Parrique, Eloi Laurent, Gaël Giraud, etc.), les anthropologues (Philippe Descola, Tim Ingold, Eduardo Viveiros De Castro, Anna Tsing, etc.), les « collapsologues » (Jared Diamond, Pablo Servigne, Yves Cochet, etc.), les éco-féministes (Susan Griffin, Françoise d’Eaubonne, Miriam Simos, Joanna Macy, etc.).
Lisons-les, écoutons-les, ouvrons nos consciences au fond de leurs discours et de leurs argumentaires. Ne restons pas figé-es dans nos croyances, ou encore calfeutré-es dans les promesses des technosolutionnistes dont le but est de caresser nos peurs dans le sens du non-agir.
L’insurrection des consciences…
Agissons de manière éclairée ! En gardant à l’esprit que les combats environnementaux sont indissociables des combats humains et sociétaux pour davantage d’égalité et de justice. Au passage, l’intersectionnalité n’est pas une vue de l’esprit : les humains souffrant de multiples ostracisations et injustices sont légion, et pourraient devenir de plus en plus nombreux, si nous ne réagissons pas.
Prenons nos destins en main, en cessant d’accorder le moindre crédit aux bonimenteurs politiques, aux démagogues, aux promesses commerciales de la lobotomie publicitaire. La citoyenneté éclairée, c’est le plus beau métier du monde ! La nier ou la refuser, c’est ouvrir la porte à la fascisation de notre société.
Vous l’aurez compris : la prise de conscience est nécessaire, mais non suffisante. Nous appelons donc, comme beaucoup d’autres, à l’insurrection des consciences ! Puisqu’aujourd’hui, nous savons, appliquons-nous cet adage : « Errare humanum est, perseverare diabolicum ». Ne persévérons donc pas dans la mauvaise direction…
Pour un avenir simplement durable et solidaire.