Écologie : des libéraux dépassés et apeurés !
Le papier très politique et révélateur de David Lisnard
En mai 2023, deux maires, David Lisnard, maire de Cannes et président de Nouvelle Énergie, et Frédéric Masquelier, maire de Saint-Raphaël et avocat, ont commis un texte baptisé : « De la transition écologique à l’écologie administrée, une dérive politique ».
Au passage, ce papier a été édité par la Fondation pour l’innovation politique, créée en 2004, qui prétend « contribuer au pluralisme de la pensée et au renouvellement du débat public », et s’inscrit dans « une perspective libérale, progressiste et européenne ». Elle est présidée par Nicolas Bazire, directeur général du Groupe Arnault, et Grégoire Chertok, associé gérant de la banque Rothschild & Cie. La perspective de cette fondation est donc manifestement ultralibérale. Ce qui sied parfaitement aux écrivains LR du mois : Lisnard et Masquelier, qui ont, peut-être, une petite idée derrière la tête…
La religion de la croissance et ses objets liturgiques
Dès l’introduction, que nous écrit le duo Lisnard & M. ? « Le défi de notre époque est d’inventer de nouvelles façons de produire des biens, de se loger, de se nourrir, de consommer, de se déplacer et de se chauffer, sans émettre davantage de gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère et sans, pour autant, renoncer aux bénéfices de la croissance ». Tout est (presque) dit : le sanctuaire, c’est la croissance. Et que dit le duo ? Qu’il faut la préserver en n’augmentant pas les gaz à effet de serre ! D’un coup de plume, Lisnard & M. passent sous le tapis l’obligation d’affaler les émissions de GES pour sauver le climat, en laissant entendre qu’on peut faire croître le PIB en stabilisant ces émissions, alors qu’il faut les réduire drastiquement. L’argument permet de ne pas braquer les foules, mais est profondément malhonnête ! Et d’ailleurs, la ville de Cannes n’a réduit que de -8% ses émissions de gaz à effet de serre (et autour de seulement -10% pour les tonnages de polluants atmosphériques) entre 2012 et 2019, soit un rythme tout à fait insuffisant de -1,2% par an, alors que le respect de l’Accord de Paris imposerait un rythme annuel de -5% minimum… Muselier et Estrosi ne font évidemment pas mieux. En quoi sont-ils écologistes ? Surtout quand le Niçois nous sert régulièrement une « écologie au service de l’économie » ou les incroyables bénéfices de sa smart city, dans une ville aux 74.000 pauvres, l’équivalent, précisément, de la population de la ville voisine : Cannes… Et surtout lorsqu’on connaît l’urgence d’une situation dans laquelle même le gouvernement nous annonce une France à +4° degrés (et plus en été) d’ici la fin du siècle ! Un enfer se prépare…
Plus globalement, le maire de Cannes dirige un territoire qui, fondant sa prospérité sur le luxe tapageur et le surtourisme, n’a pas grand-chose de durable, avec ses touristes intercontinentaux, ses plages artificielles et son sable rapporté chaque année, son festival clinquant, dont l’empreinte carbone est à 80% constituée des émissions des jets privés et des méga-yachts de ses hôtes… Tous ces objets liturgiques (de la religion néolibérale) sont à la merci du moindre nanovirus, et juste incompatibles, dans leur format actuel, avec une authentique transformation écologique de nos sociétés.
Le non-sens absolu de l’écologie libérale
Il apparaît aujourd’hui que la croissance du PIB, résumée en « croissance », est intenable, et qu’il faut urgemment la remettre en cause. A Cannes comme ailleurs sur notre territoire : le béton sur la moindre parcelle d’espace naturel, la moindre friche (pourtant havre de biodiversité), les extensions d’aéroport, le développement du croisiérisme et du surtourisme, les compétitions territoriales, le consumérisme généralisé : tout ce festival nous mène à notre perte. Nous le savons même depuis 50 ans, date de parution d’un document majeur écrit il y a 50 ans : « Les limites à la croissance (dans un monde fini) » de Jorgen Randers, Donella et Dennis Meadows, le fameux rapport Meadows, commandé par le Club de Rome et édité en 1972. L’économiste Kenneth Boulding a écrit cette célèbre phrase : « Celui qui croit que la croissance peut être infinie dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste ». Soit un politique ?
Cette même année 1972, l’homme d’État néerlandais Sicco Mansholt, considéré comme l’un des « pères de l’Europe », avait d’ailleurs adressé une lettre ouverte, baptisée aujourd’hui la « Lettre Mansholt », au Président de la Commission européenne, pour l’alerter sur la nécessité d’une politique écologiste fondée sur la décroissance de l’économie, après avoir lu le rapport Meadows, publié la même année par le Club de Rome : « Il est évident que la société de demain ne pourra pas être axée sur la croissance », ajoutant que la boussole ne devrait plus être le produit national brut (PNB), mais l’« utilité nationale brute » : une limitation de la production aux besoins de la société. Il nous faut donc revoir intégralement nos copies !
Les experts sont de plus en plus nombreux à dénoncer cette folle croissance. Dans son ouvrage très récent « Le suicide de l’espèce », le médecin et épidémiologiste Jean-David Zeitoun, l’écrit clairement : « La croissance économique produit du développement mais elle a aussi un impact épidémiologique extraordinairement négatif ». Cet auteur ajoute que la baisse des émissions de polluants, et du tabac en particulier, a été largement imputable à la puissance de la taxation et de la régulation. La cible exacte de Lisnard & M., qui veulent donc détruire ce qui a réussi à préserver des centaines de millions de vies humaines.
Citons également Tim Jackson, professeur de développement durable à l’Université de Surrey, entre autres, qui a écrit « Prospérité sans croissance », un ouvrage dont la Canadienne Naomi Klein a dit qu’il « pourfend les vociférations intellectuelles avec clarté, courage et espoir ». Le papier de Lisnard & M. est précisément une vocifération intellectuelle, sans (vraie) lucidité. Nous vous invitons aussi à lire « Apprendre à ralentir – Plaidoyer pour un monde apaisé » du docteur en agronomie Blaise Leclerc, qui nous parle du pillage organisé par le système défendu par le probable candidat cannois. Or ce pillage a épuisé les ressources non renouvelables de la planète (métaux, phosphore, terres bétonnées ou rendues stériles, sable), et surpasse les capacités régénératrices des ressources renouvelables (eau douce, poissons, forêts, etc.). La France consomme actuellement, rapportée à son échelle, l’équivalent des ressources de 2,8 planètes. Voilà l’effet concret de leur belle croissance, qui est absolument intenable !
Les LR et assimilés sont pétris de peurs…
Que penser de cette manœuvre théoricienne ? Que David Lisnard et Frédéric Masquelier ne sont pas différents de leurs copains néolibéraux, dont beaucoup sont des LR ou ex-LR : ils sont littéralement pétris de peurs. Peur de perdre leur confort et leurs prérogatives d’hommes blancs gâtés par le soleil des Trente Glorieuses, peur de se faire violemment éjecter de la scène politique. Ressentent-ils la peur du grand dépassement ? Car si le (néo)libéralisme, adossé à un capitalisme désinhibé, a indéniablement apporté un mieux-être à la partie occidentale de l’humanité, il est d’ores et déjà condamné par ses tombereaux d’externalités négatives : ses pillages en règle et ses impacts planétaires désastreux. Après plusieurs décennies de croissance néolibérale et mondialisée, les dégâts sont considérables : la biodiversité s’effondre littéralement (insectes, oiseaux, pollinisateurs, poissons, etc.), les écosystèmes sont très durablement endommagés (notamment par la pollution plastique et la chimie de synthèse), et le climat se réchauffe irréversiblement. Sans oublier la … croissance inédite et spectaculaire des inégalités mondiales : « les 1 % les plus riches ont capté 38 % de la croissance du patrimoine entre 1995 et 2021, mais c’est surtout le fait des 0,001 % les plus riches. » (source).
David Lisnard n’est finalement qu’un représentant de ces conservateurs qui osent encore faire croire à leurs concitoyens que leur petit monde de privilégiés (qui est aussi le nôtre, pour les moins défavorisés d’entre nous) va pouvoir perdurer sur un champ mondialisé de ruines, de migrations climatiques, de tempêtes et d’ouragans, de submersions marines, de conflits et de guerres. A ce propos, pourquoi Lisnard & M. font mine de ne pas voir que, même en France, les risques majeurs émergent avec force : les canicules et les sécheresses, les incendies précoces, les régions entières de retrait-gonflement des sols argileux, la tempête Alex et la crise environnementale Covid-19 ! Que leur faut-il de plus ? La croissance permanente est un mythe et un leurre, pour ne pas dire davantage : en fait, elle est au cœur d’une idéologie mortifère. Un exemple : une croissance annuelle de seulement 3% entre aujourd’hui et 2100 induirait une multiplication de notre PIB par un facteur 10… Avec tous les impacts, toutes les extractions et tous les pillages associés. Il y aura longtemps que la planète nous aura désarçonnés, et jetés au fossé de l’histoire.
Des vendeurs de miroirs aux alouettes
Cette vision est également périlleuse, parce qu’elle est vantée par ceux-là mêmes qui, comme Lisnard ou Estrosi, misent outrancièrement sur le technosolutionnisme, ou solutionnisme technologique : « si l’ultralibéralisme est la cause de quelques désagréments, l’homme a toujours su trouver les parades pour y remédier (la fameuse capacité d’adaptation du génie humain !) ». Selon les bonimenteurs, car voilà des décennies que nous attendons que ce système autorépare ses dysfonctionnements. S’il n’est pas parvenu à régler le problème du réchauffement climatique, découvert en 1896 par le scientifique suédois Svante Arrhenius, pourquoi y parviendrait-il dans les 20 ou 30 ans à venir ? Pourquoi n’a-t-il pas déjà interrompu la 6ème extinction massive des espèces vivantes ? Pourquoi les inégalités continuent de s’amplifier sur le dos des populations les plus démunies ? A noter que le technosolutionnisme va de pair avec l’idée fausse d’un découplage quasi total entre croissance et émissions de gaz à effet de serre. Pourquoi ? Parce que cette illusion permet de contourner celle, insupportable pour ces conservateurs, de la sobriété et d’une certaine forme de décroissance : cette seule évocation est un véritable épouvantail pour ces oiseaux chatoyants.
Des contraintes sécuritaires, mais surtout pas écologiques !
Ce papier léché a ceci de troublant qu’il fustige et impute tous les maux à l’écologie : « bureaucratie écologiste », coûts, judiciarisation, normes étouffantes, atteintes aux libertés, alors que l’ultralibéralisme n’est aujourd’hui libéral que pour les puissants, qui ne cessent de s’enrichir, qu’il détruit les écosystèmes et contraint de plus en plus les catégories moyennes et modestes, c’est-à-dire la très grande majorité de la population. Les LR ont le virus du sécuritarisme liberticide, mais luttent contre les moindres contraintes environnementales ou sanitaires. Parce qu’elles nuisent à la prétendue auto-régulation du « marché », à la sacrosainte liberté d’entreprendre, et à celle de s’enrichir en évacuant toute responsabilité non financière. Les « scopes » d’appréciation sont extrêmement étroits et exclusifs, car ces gens sont des cyclopes, qui ne voient que d’un œil : celui des PIB, bénéfices, paniers moyens et autres marges. Tandis que leurs zones aveugles sont immenses : la santé publique, l’environnement, le vivant, le bien-être des populations… Clairement, nous restons dans le sillage de Nicolas Sarkozy qui avait osé lâcher, en tant que président de la République : « L’environnement, ça commence à bien faire ! »…
« Laissez-nous faire, nous avons les solutions ! »
En somme, David Lisnard et Frédéric Masquelier, et beaucoup d’autres politiques de leur catégorie, ne comprennent plus le monde tel qu’il est, et comme il devra être. Ils simulent la sérénité, la respectabilité, la modération incarnée, enchaînant les postures insincères face aux « extrémistes écologistes et gauchistes », alors qu’ils ne sont que les chevaliers emplumés d’une armée d’apocalypse planétaire. Ces ambitieux extirpent leur apparente modernité de la souille du déni et du rétropédalage, alors qu’ils s’enferrent dans un dogme du XXème siècle, et veulent nous y faire retourner. La preuve est faite depuis longtemps de leur incapacité de faire face aux enjeux d’aujourd’hui et de demain. Et pour cause ! Leur logiciel est dépassé. Nous ne voulons plus leur laisser les clés, lorsqu’ils nous répètent « Laissez-vous faire et faites-nous confiance », tels le serpent Kaa du Livre de la Jungle… Pire, Lisnard & M. font montre d’une insupportable condescendance, lorsqu’ils fustigent la jeune Greta Thunberg, qui a eu le courage de porter le flambeau de la survie de notre espèce, alors qu’ils ne font que porter la flammèche de leurs ambitions personnelles.
Non aux tromperies sur papier glacé !
Vous l’aurez compris : ce papier lustré et étincelant comme les palmes du Festival de Cannes, est une belle illusion, un aveu de tromperie et de manipulation, un modèle de monde non durable. Un papier qui nous met dans une colère froide, mais qui, « en même temps », renforce notre détermination à combattre ces idéologues d’un faux progrès et d’un suicide programmé, mais retardé pour les plus nantis.
A l’heure des enjeux critiques pour l’humanité, nous voulons des politiques courageux, honnêtes y compris et surtout sur ces sujets cruciaux, pas des illusionnistes.