Techno et croissance en solde chez « Lisnard & Co » !
La carte maîtresse : le génie humain !
Fin mars 2023, David Lisnard, maire de Cannes et président de l’Association des maires de France, a chevauché de nouveau sa monture néolibérale, comme il le fait très régulièrement auprès des médias. Notons que cet élu semble, au premier abord et sans trop de difficulté, plus éclairé que son voisin niçois, également adepte des mêmes dogmes. Il n’empêche…
Relevons ses derniers propos : « La réalité humaine n’est pas une réalité de décroissance. On règlera les défis de l’époque (écologique, climatique, économique, les inégalités) par la science, l’innovation, l’investissement, donc par la croissance. C’est le génie humain que de s’attacher à cela ».
David Lisnard fait donc comme beaucoup d’autres élus, qui semblent manquer d’imagination et d’audace (citons Christian Estrosi à Nice) : il mise sur le génie humain (faut-il lui rappeler que l’humain a souvent réveillé les mauvais génies ?), sur la croissance et les hypothétiques avancées de la science, pour nous sortir de la polycrise actuelle. Ce terme de « polycrise » n’est même pas à la hauteur de ce qu’il est censé désigner, car ce à quoi nous sommes collectivement confrontés aujourd’hui n’est rien moins qu’une question de vie ou de mort pour nos sociétés humaines.
A la différence de simples crises, qui finissent, en règle générale, par passer. Bref, miser et parier, comme le font depuis la nuit des temps les voyants, cartomanciennes, et autres diseurs de bonne aventure.
Les propos techno-rassuristes sont dangereux !
Pourquoi ces propos de techno-rassuristes, très consanguins avec ceux des climato-sceptiques, sont-ils dangereux ? Parce qu’ils minimisent le caractère d’urgence absolue de la situation environnementale actuelle. Parce qu’ils misent sur des paris technologiques. Songez à la mode de l’hydrogène, fausse bonne solution, à la géoingénierie particulièrement hasardeuse, aux ruptures technologiques toujours hypothétiques, etc. Parce que ces propos distillent également un faux climat de sécurité, sur la base de quelques arguments d’autorité de leaders politiques mimant tant la maîtrise technique que le charisme politique. Ils rejouent en quelque sorte la même valse d’Archibald Joyce (« Songe d’automne ») que jouaient les trio et quintette du Titanic lors de son naufrage le 14 avril 1912 : l’insubmersible, navire à la pointe de la technologie du moment, a coulé en moins de 3 heures. Bref, il y a tout lieu de penser que tout ce théâtre communicationnel sera balayé au premier cataclysme. Et nous suivons avec beaucoup d’application l’exacte recette pour y être confrontés. Le maire de Nice, que nous avions longuement rencontré le 9 janvier 2020, nous disait d’ailleurs être convaincu que nous allions à la catastrophe…
Efficacité et sobriété ne sont pas synonymes
Écoutons un « sachant ». Aurélien Boutaud, par exemple. Ce chercheur est docteur en sciences de la Terre et de l’environnement, consultant indépendant et chercheur associé à l’UMR 5600 Environnement Ville et société du CNRS, et notamment spécialisé dans les limites planétaires et les outils de mesures de l’anthropocène. Que nous dit-il (Nice-matin du 30 mars 2023) ? « Là où l’efficacité mise uniquement sur les progrès technologiques, la sobriété est une démarche qui vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre ou les consommations d’énergie par des changements de comportement, de mode de vie et d’organisation collective. » Nous comprenons que la compagnie Lisnard & Co mise tout sur l’efficacité, dans la droite ligne des améliorations de productivité du système productiviste, recette miracle des Trente Glorieuses, et non sur la sobriété, dans ce qu’elle suppose de remise en cause de nos modèles économiques et de « vie à l’occidentale ». Pour ne pas dire simplement de retour à la raison.
Poursuivons la lecture des propos du chercheur : « La facilité consiste à trouver des solutions innovantes techniques pour consommer autant que par le passé : l’eau se raréfie, mais on continue malgré tout d’aller la puiser plus bas dans les nappes phréatiques afin de la stocker dans des méga-bassines pour produire toujours autant de maïs. »
Surtout ne rien changer ! Ou si peu…
Le nœud est là : il est même illustré par une actualité brûlante (les méga-bassines). Les néolibéraux veulent nous faire croire, à défaut d’en être eux-mêmes convaincus, que la technique peut nous libérer des efforts de sobriété ou de changements de mode de vie. Comme disait le président George HW Bush en 1992, lors du Sommet de la Terre à Rio : « The american way of life is not negotiable ». C’est toujours plus porteur, électoralement parlant, de caresser l’inertie de la population dans le sens du moindre effort, que d’appeler au sursaut et au changement !
Et le changement ici, dans l’exemple des méga-bassines, consisterait à « penser différemment, en produisant et consommant par exemple moins de viande et donc moins de maïs, pour dépenser moins d’eau. Cela implique davantage de réflexion, puisqu’il s’agit d’adapter nos comportements aux limites de la nature. » Merci Aurélien Boutaud pour cette clarification limpide.
La compagnie Lisnard & Co mise donc sur la techno pour améliorer les rendements et les processes. Mais, ce faisant, il glisse sous le tapis un phénomène bien connu : l’effet rebond. Meilleurs sont les rendements, et plus les pollutions globales augmentent. Paradoxal ?
Eh bien, pas tant que cela : les moteurs d’avion plus sobres (baisse de l’intensité carbone) induisent des réductions de coûts, et donc des prix plus attractifs. Et donc plus de trafic aérien. Et re-donc, plus de pollution et de gaz à effet de serre (émissions absolues en hausse). L’économiste britannique William Stanley Jevons l’avait déjà compris au XIXème siècle, donnant son nom au « paradoxe de Jevons ». L’effet rebond est extrêmement puissant et sape la transition écologique dans ses fondements.
Confier le destin de l’humanité à Madame Soleil ?
Curieusement, les maires de Cannes et de Nice, de concert avec beaucoup d’autres politiques au vieux logiciel, continuent pourtant de miser sur la techno (« Je crois que », « Je pense que »…). Vous paraît-il raisonnable de confier le destin de l’humanité à Madame Soleil ?
La même compagnie vante également la croissance ! Mais ce concept de croissance est directement connecté à celui de PIB. Or il est largement démontré, depuis fort longtemps, que ce PIB est lui-même corrélé à la consommation des énergies fossiles. Le « découplage » n’est que très partiel, et le sera pour longtemps encore. Résumons : plus de croissance, c’est plus de PIB, et donc plus de ressources fossiles et minières. Sur une Terre finie, déjà aux abois climatiques. Sans même parler de cette pauvre biodiversité qui ne pèse pas très lourd dans la balance économique.
La croissance aveugle est le plus court chemin vers l’effondrement
Pour finir, ce que semblent ne pas vouloir comprendre les élus néolibéraux, majoritairement d’invétérés conservateurs, c’est que le dopage à la croissance n’est plus tenable. Qu’il faut réinventer un nouveau modèle économique et social, et probablement donc, démocratique. On entend déjà leurs cris d’orfraie ! Nos sociétés occidentales ne survivent que dans la perfusion de pétrole et de dettes financières et environnementales. Et le phénomène n’a fait qu’accélérer depuis 1945. Il faut revoir intégralement nos copies. Et qui d’autres que ces élus sont les mieux placés pour travailler sur ce changement radical de modèle ?
Pour un tout autre modèle de croissance !
Nous militons, avec un nombre croissant de citoyen-nes, pour une tout autre croissance : celle que les néolibéraux qualifient de « décroissance ». Voilà, le vilain mot est lâché ! Mais cette croissance nouvelle est celle de la solidarité et du partage, de la sobriété et de la modération, de l’humain connecté à sa planète. Nous voulons « des croissances » !
Loin du consumérisme aveugle et irresponsable dans lequel cet ultralibéralisme nous enfonce, loin des dénis et de l’hubris techno-fanatique. Pour un monde enfin … durable. Que ces messieurs comprennent une bonne fois pour toutes ce principe : la sobriété est le meilleur antidote aux pénuries et au rationnement. A la différence de leur modèle effondriste…
Allo ? Monsieur Lisnard ? Monsieur Estrosi ?
Biiiiiipppp…
2 thoughts on “Techno et croissance en solde chez « Lisnard & Co » !”
Un éclairage réaliste que nos politiciens ne veulent surtout pas apercevoir.
Sont ils non voyants? Non entendants?
Non ! Non !merci.
Offrons a ces dinosaures une canne blanche avant qu’ils ne disparaissent, nous avec malheureusement…!
Merci du combat que vous menez pour nous tous
Merci pour votre commentaire ! Gardons espoir : les dinosaures ont fini par disparaître… 😉
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