Climat : il faut arrêter les fadas !
La planète vient de franchir le cap de +1,5°C de réchauffement, 75 ans trop tôt, la Californie brûle, les cyclones rasent des territoires entiers. Mais les marchands de tourisme ne pensent qu’au tiroir-caisse. Irresponsabilité ou crime environnemental ?
Les fadas sont de sortie !
Le 10 janvier 2025, un article de Nice-Matin a relaté les propos de la sénatrice Alexandra Borchio-Fontimp (ABF), réélue présidente de ‘’Côte d’Azur France Tourisme’’, l’organe de promotion touristique du département des Alpes-Maritimes.
Il y est question d’un ‘’tourisme respectueux de l’environnement’’, d’une ‘’technologie qui va transformer la façon dont les voyages sont planifiés et vécus’’ (ce qui ne signifie rien de concret). Mais très vite, le fond de sa pensée régurgite la stratégie des fadas du tourisme azuréen à la mode ‘’quatre saisons’’ : les pays cibles ne sont autres que la Chine, l’Inde et le Japon. Des ‘’marchés porteurs’’ ! Ainsi, après avoir envoyé une délégation en Chine il y a quelques semaines, ABF annonce déjà une autre délégation au Japon au 1er semestre 2025… Dans un article précédent, il était aussi question du marché nord-américain, avec un ‘’roadshow’’ de promotion touristique. En fait, l’équipe de Côte d’Azur France Tourisme devrait l’exprimer de manière plus concise : elle vise l’intégralité de la 3ème planète du système solaire ! A ce sujet, un Airbus A330-200 chinois se posait une première fois sur le tarmac niçois le 2 août 2019, pour 3 liaisons par semaine, jusqu’à ce que le Covid-19 ne stoppe cette folie.
ABF est secondée par Claire Behar, directrice générale du même organe. Dans son observation déposée le 13 décembre 2024 dans le cadre de l’enquête publique complémentaire sur la régularisation du permis d’extension de l’aéroport, Claire Behar écrivait : « La Côte d’Azur (incluant les Alpes-Maritimes et Monaco) attire chaque année : 11,5 millions de touristes et 70 millions de nuitées, 200 000 visiteurs sont présents en moyenne, 52% de clientèle étrangère – 48% de français, 64% de taux d’occupation hôtelier moyen. Concernant l’offre, la Côte d’Azur affiche : 130 000 lits en hébergements marchands, 1 chambre d’hôtel sur 2 classée en 4 et 5 étoiles, 200 000 résidences secondaires. » Plus de 11 millions de touristes sur la Côte d’Azur. Dont une part très importante arrive par avion… 65% du trafic commercial de l’aéroport de Nice repose d’ailleurs sur l’international. Bref, on comprend mieux que l’argent obstrue tous les autres canaux de pensée, y compris le sens écologique et éthique. Ces gens n’ont-ils pas d’enfants ? Pourquoi 4 millions ou milliards d’euros importeraient-ils davantage que +4°C de réchauffement climatique en France d’ici 75 ans ? Au nom de l’intérêt financier des hôteliers et restaurateurs, notre territoire est donc prêt à sacrifier la santé publique et environnementale ?
Un autre fada, comme on dit dans le grand Sud, François Barou de La Lombardière de Canson (FBLC), président du ‘’Comité Régional de Tourisme’’ (CRT), se répand régulièrement dans les médias pour se féliciter des nouveaux records de tourisme dans notre région, les yeux embués de larmes de plaisir quand il évoque des pourcentages de hausse et des centaines de millions d’euros de retombées économiques (à la grosse louche). Lui aussi nous parle d’opérations de communication, ici à Atlanta, là à Philadelphie, aux Etats-Unis, parmi beaucoup d’autres, comme les pays du Proche-Orient. Si FBLC raconte les mêmes salades que ses comparses, il le fait toujours avec un talent particulier : de la morgue, de la suffisance et de la prétention (il rêve tout haut d’un maroquin pour récupérer le tourisme national, mais y échoue manifestement).
Un autre ? Jean-Sébastien Martinez, directeur général de l’Office de tourisme ‘’Nice Côte d’Azur’’, depuis début 2024, après avoir passé 14 ans au cabinet de Christian Estrosi. Ce marchand de destination affichait la couleur dans Nice-Matin le 29 septembre 2024 : « Notre job, c’est de vendre la destination dans le monde ». « Le tourisme, c’est 4,7 milliards d’euros de chiffre d’affaires pour les Alpes-Maritimes. Quand le tourisme va, la Côte d’Azur va ». Et à propos de l’extension de l’aéroport de Nice : « On ne cherche pas à avoir plus de visiteurs mais à mieux les accueillir. A lisser la fréquentation touristique sur l’hiver pour maintenir l’activité. Cette extension, raisonnable, contribue au développement économique du territoire. »
Et Franck Goldnadel ? Lui est président du directoire de la société des Aéroports de la Côte d’Azur (ACA), autrement dit agent spécial des actionnaires de cette société privée. Parmi ceux-ci, qui trouve-t-on ? Le capital d’Aéroports de la Côte d’Azur est détenu par Azzurra Aeroporti (famille Benetton en particulier[1]) à 64 %, et la CCI Nice Côte d’Azur, dirigée par un certain Jean-Pierre Savarino, à … 25 %. En 2019, cette société ACA était valorisée plus de 2 milliards d’euros. C’est cette même CCI, qui récupère des dizaines de millions d’euros de la société ACA, chaque année, qui pousse le tourisme international tout en se parant d’atouts greenwashing, comme cette verrière photovoltaïque, avec 54 petits panneaux, ayant rempli une page entière dans Nice-Matin le 11 septembre 2022. Il est toujours étonnant de constater la propension des médias à exposer les opérations greenwashing plutôt que les impacts environnementaux et sanitaires de ces organismes.
Devinez quoi ? F. Goldnadel pousse comme un fada le trafic aérien sur sa plateforme, à coup de tromperies marketing et de promotions permanentes pour de nouvelles lignes à travers la planète. Pour augmenter le trafic, les vols et les passagers, leurs redevances et les bénéfices des 90 commerces de ses halls d’aérogares. Bref, du business, rien que du business. Mais du business irresponsable. D’ailleurs, dans Nice-Matin toujours, le 1er août 2024, on apprenait qu’il n’y avait jamais eu « autant de destinations au départ de Nice ».
Et redevinez quoi ? Son projet d’extension va permettre d’accueillir 4 millions de passagers supplémentaires dans les prochaines années. Doublé d’une stratégie marketing très offensive, la hausse du trafic atteindra même +7 millions de passagers (entre 14,5 et plus de 21 millions). La stratégie pourrait porter ce nom : ‘’Toujours plus, jamais assez !’’. Goldnadel n’est pas seul : un certain Bernard Kleynhoff, président du Conseil de surveillance de la société ACA. Nous retrouvons toujours les mêmes noms dans ce petit landerneau niçois. Comme cet avocat niçois Rudy Salles, adjoint du maire de Nice, et ancien pilier du système Médecin, promoteur actif du tourisme.
Ah… Nous allions oublier d’évoquer les seigneurs de ces terres : Christian Estrosi, à la tête de la ville-métropole niçoise, Charles Ange Ginésy et Éric Ciotti, à la tête du département, et d’autres. Eux sont les VRP cautionneurs du tourisme azuréen. S’ils se livrent à une guerre d’ego, ils s’entendent, tacitement mais à merveille, sur le coffre aux trésors du business touristique. Ce sont d’ailleurs les mêmes VRP pour la bétonisation, sous couvert des sempiternels écoquartiers (Ecovallée & consorts), développement durable et croissance verte, ou encore la neutralité carbone (dont celle de … l’aéroport de Nice). Tout le corpus idéologique néolibéral et son lexique mensonger y passe, en somme, auquel il faut ajouter l’attractivité, fer de lance de la compétition. Mensonger, parce qu’il recouvre tous les impacts environnementaux réels d’une épaisse couche de boniments. Si les scientifiques parlent de sédimentation dans les fonds marins, on peut ici évoquer la ‘’bonimentation’’ des fonds financiers. Rappelons juste que le greenwashing est répréhensible au titre de la loi Climat et Résilience du 22 août 2021 et de l’article L132-2 du Code de la consommation.
Et si nous parlions des retombées environnementales ?
Un seul vol aller-retour entre Pékin et Nice émet autour de 800 tonnes de CO2eq. Une cadence de trois vols par semaine émet donc 2 400 tonnes. En quatre mois de période estivale, l’atmosphère se charge donc de plus de 40 000 tonnes de CO2eq supplémentaires. Pour une seule liaison touristique ! Et la réalité est certainement bien supérieure à ce chiffre, si l’on intègre les effets ‘’non-CO2’’ de l’aviation… Or tous ces gens d’affaires, obnubilés par l’argent, évacuent totalement les émissions de gaz à effet de serre de ce cher tourisme. Nous sommes donc de facto dans du business à l’ancienne, loin des 3 piliers du développement durable, qui intègre le profit, le social et … l’environnement. Pensez donc que la prétendue ‘’neutralité carbone’’ de l’aéroport de Nice ne repose que sur 0,037% de ses émissions globales ! Ce chiffre est issu de sa dernière étude d’impact complémentaire (2024).
Pourquoi ?!
Comment se fait-il qu’il soit encore possible, en 2025, de saccager ainsi l’environnement avec autant d’impunité ? Pire, pourquoi l’Etat, et son représentant le Préfet, soutiennent-ils cette politique irresponsable ? Pourquoi les agences étatiques, chargées de la protection de l’environnement, font-elles silence ? Pourquoi les citoyens et les scientifiques se retrouvent-ils seuls à hurler dans le désert ?
Or, précisément, tous les ‘’feux’’ sont au rouge. On sait aujourd’hui que la force et la fréquence des événements extrêmes ont un lien avec le dérèglement climatique : les feux dramatiques en Californie (Los Angeles) en janvier 2025, la force accrue des cyclones, dont celui qui a ravagé l’île française de Mayotte, Chido, le 14 décembre 2024. Et, déjà en janvier 2025, un nouveau cyclone (Dikeledi) rôde autour cette île. Les scientifiques viennent également de nous confirmer que la Terre venait de passer, de manière irréversible, le seuil d’une hausse de la température moyenne de +1,5°C. Le fameux seuil que la COP21 de Paris, en 2015, s’était fixé à l’horizon 2100, dans 75 ans ! Autant dire la fin du monde tel que nous le connaissions depuis des millénaires.
La planète ? M’en bati !
Mais qu’à cela ne tienne, les Borchio-Fontimp, Behar, Martinez, Goldnadel, Kleynhoff, Savarino, Estrosi, Ginésy, Salles, de Canson & consorts, restent les yeux rivés sur leur objectif unique : attirer les riches touristes du monde entier sur la Côte d’Azur. Quoi qu’il en coûte.
Tous ces soutiens et ces silencieux sont des artisans proactifs de la catastrophe climatique. Ils semblent vivre sur une autre planète : la planète Mars de leur copain Elon Musk peut-être ?
Allo, mesdames et messieurs les Juges ?
Il va falloir que les citoyens, assistés d’avocats spécialistes du droit environnemental, leur remettent les idées en place. Parce que détruire les écosystèmes en toute connaissance de cause devient absolument inacceptable et scandaleux. Nous y réfléchissons, avec d’autres : la Justice française et européenne doit se placer du bon côté de l’histoire.
[1] Au travers sa filiale Atlantia, le plus gros concessionnaire d’autoroutes d’Italie, dont la réputation a été gravement entachée par l’effondrement du pont Morandi, le viaduc autoroutier de Gênes, le 14 août 2018, entraînant la mort de 43 personnes (source Médiapart, 9 octobre 2019).