Carnaval d’ambitions politiciennes
En France, la déconnexion va bon train ! Une déconnexion croissante (et périlleuse) entre le landerneau de l’entre-soi du monde politico-médiatico-affairiste et le peuple, abandonné à ses difficultés. Le peuple : les citoyens. Nous. Cette déconnexion fracture profondément notre pays.
Penchons-nous un instant sur les politiciens, ou politicards si vous préférez. Et ils sont légion. Un microcosme qui se nourrit de com’, de storytelling idéologique, de fake news, de scénarisation et de dramaturgies, de trahisons et de compromissions, de manipulation des opinions, de conflits et de clashes. Sur notre dos, et avec notre argent.
Une addiction nuisible
Les politicards font carrière, et nombre d’entre eux dépassent d’ailleurs allègrement la barre des 70 ans. A Cagnes-sur-Mer, non loin de Nice, le maire Louis Nègre, ex-prof de sport de 77 ans, s’était représenté aux municipales de 2020, avec ce slogan : « Louis Nègre, l’exigence du futur »… Outre qu’ils n’ont manifestement pas le sens du ridicule, ces professionnels des racontars ont généralement des ambitions XXL, une certaine dose de mégalomanie et un ego chromé, un plan et un carnet d’adresses, et peu de scrupules. Leur politique n’est pas celle, noble, qui devrait être mise au service exclusif de l’intérêt général. Non. Elle est plus souvent au service de leur montée sur les marches du pouvoir, de leur entre-soi, et de leur durabilité politique. Parce qu’une fois goûté à l’adrénaline du pouvoir, il semble bien difficile de le lâcher. Ainsi, les lois françaises passent dans les mains ultraconservatrices d’un Gérard Larcher, apparatchik de 75 ans à la tête du Sénat depuis 10 ans, qui est pourtant censé préparer l’avenir de notre beau pays…
Flair de truffier et langues de vipère
Ces politicards sont des experts du gymkhana, du cumul et de la rhétorique (souvenez-vous de Sarkozy, l’homme aux coups d’épaule et de menton : « vous voyez le problème ? Eh bien, j’ai la solution ! »), ont du flair, liguent ou brisent, selon le vent, et communiquent à tout-va : ils sont omniprésents sur les réseaux sociaux et sur les plateaux médiatiques, ils occupent le terrain, rabâchent leurs antiennes et buzzent, pour tenter d’élargir leurs parts de marché, et de tuer leurs compétiteurs (leurs buzzes peuvent être de redoutables flingues). Ils mentent aussi. Leurs conseillers sont les mêmes qui œuvrent dans la publicité ou le neuromarketing : il faut soigner et lustrer son image (souvenez-vous aussi des canines abrasées de François Mitterrand, sur les conseils de son mentor Jacques Séguéla). A ce propos, Mitterrand (cancer camouflé), mais aussi Pompidou (maladie de Waldenström, 1974), comme les deux Bush (Irak 1991 et 2003), comme Clinton (Monicagate, parjure 1998), Cahuzac (fraude et parjure), et tant d’autres (Donald Trump n’étant pas le dernier…) : tous ces politiques ont menti, camouflé, trompé, à différents niveaux, et l’impact de ces mensonges a été de saper en profondeur la confiance du peuple. Comme celui de ne jamais tenir ses engagements : la parole publique s’en trouve durablement décrédibilisée.
Ces gens ont aussi une particularité notable : ils sont capables de manger à tous les râteliers. Ces politicards professionnels sont généralement des caboteurs qui passent d’un port à l’autre, selon leurs intérêts, leur agenda, les alliances et les circonstances. Ainsi, toujours à l’affût du meilleur tremplin pour grimper, ils adhèrent à tel parti, puis le quittent, avant de créer leur parti propre.
Testostérone et adrénaline : les deux mamelles de l’ambition politicienne
Les partis politiques ne sont plus envisagés que comme des tremplins, au service d’un homme (les femmes sont rares) et de son clan de copains. Il se crée donc autant de partis et de micropartis qu’émergent des ambitions politiciennes.
Mais ces partis restent des outils de segmentation et de clivage dans notre société, alors qu’ils prétendent tous vouloir « rassembler ».
Quelques illustrations. Lorsque le jeune Amienois Emmanuel Macron s’est senti poussé des ailes, il a créé le parti « Renaissance » en avril 2016, devenu « En Marche », puis « La République en Marche » (LREM). On connait la suite : inconnu du grand public avant 2015, il est devenu le 8ème président de la 5ème République française en 2017. Il nous avait promis une « révolution » : nous avons de la confusion.
Après avoir goûté au poste de 1er ministre (2017-2020), Edouard Philippe a créé son parti « Horizons » en octobre 2021. Un autre, ex-ministre de l’intérieur, s’est lancé dans la course en créant son parti « Populaires » en septembre 2024 : Gérald Darmanin. Tous ont les yeux qui brillent à l’idée de l’Hôtel Matignon ou du Palais de l’Elysée… Citons aussi l’ex-journaliste bien peu charismatique Éric Zemmour qui avait lancé le parti « Reconquête ! » en avril 2021. Une reconquête qui n’aura pas été bien loin…
Mais dans la région PACA, nous n’avons rien à envier à ces têtes de proue parisiennes. Le médecin du sport Renaud Muselier, est également devenu addict à la drogue du pouvoir. Après avoir navigué chez LR, puis Renaissance, voici qu’il a transformé son parti « Cap sur l’avenir » en « Rassemblement pour la Région » (RPR, tiens, tiens. En fait, c’est risible) en février 2024. Demandez autour de vous : personne ne connait ces coquilles vides, qui suintent l’ego de vieux ambitieux.
Une autre coquille, à Nice, avec « La France audacieuse » (LFA) créée par Christian Estrosi en octobre 2017. L’ex-motard sait louvoyer (une de ses rares compétences) : il est d’ailleurs passé dans les arcanes du RPR, puis de l’UMP, des LR, de LREM, avant de rallier Edouard Philippe, comme vice-président de son parti « Horizons »… Bref, la France audacieuse d’Estrosi ne l’est pas tant que ça !
Son ennemi juré, car ces gens ont aussi besoin de combat fratricide et de guerres picrocholines pour exister, est évidemment celui que certains brocardent comme le « petit Benito » : Éric Ciotti. Celui-ci n’est pas en reste. Avant de créer un schisme mémorable chez LR en 2024, il avait lancé l’« Association des Amis d’Éric Ciotti », devenu « À droite ! Les Amis d’Éric Ciotti » (ADAEC), en septembre 2012, avant de poser sur les fonts baptismaux l’« Union des droites pour la République » (UDR), en août 2024.
Avez-vous remarqué que tous ces politiciens sont des … hommes ? A Marion Maréchal près, puisqu’elle aussi, a lancé son mouvement « Identité-Libertés » le 7 octobre 2024…
Hannah Arendt et les partis politiques
Ces gens devraient lire ou relire la grande philosophe Hannah Arendt : selon elle, « nos sociétés ont une tendance continuelle à affaiblir les vieux partis en générant des « mouvements » politiques incarnés par des chefs charismatiques ». Et ce multipartisme couve un danger de totalitarisme dans nos démocraties, avec un « fanatisme de la politique de lutte entre les partis sur le continent, suscité moins par des intérêts conflictuels que par des idéologies rivales ». Pourquoi ? Parce qu’ « après de nombreuses décennies d’un gouvernement pluripartite aussi inefficace que confus, la prise de l’État au profit d’un parti unique peut apparaître comme un grand soulagement » (source).
Puisque nous évoquons Hannah Arendt, citons aussi son ouvrage très éclairant « Du mensonge à la violence », qui nous alerte sur les conséquences du mensonge en politique. Elles peuvent être gravissimes, et entraîner nos démocraties vers une violence sourde ou même débridée, faite de séparatismes, de xénophobie, d’intolérance et d’idées fascisantes. Bref, la chienlit…
Il se trouve que nous sommes précisément dans une période de confusion, sur un terrain particulièrement glissant, largement préparé par les démissions, les égoïsmes et dénis chroniques, les mensonges, des politicards au pouvoir depuis des années, ainsi que par une mainmise des médias ultraconservateurs qui lobotomisent peu à peu les opinions publiques, en offrant des caisses de résonance à des idées de plus en plus réactionnaires et souvent racistes. Un vrai boulevard pour la crispation fascisante !
Bien davantage que gouverner au mieux notre pays, dans l’intérêt général, l’objectif central de ces ambitieux semble n’être que la prise de pouvoir. Quitte à vendre leur âme et à abîmer durablement notre société.