Estrosi, un homme du passé ?
Vendredi 19 juillet 2024 : Christian Estrosi a été réélu, sans l’ombre d’une surprise, à la tête de la Métropole Nice Côte d’Azur.
A cette occasion, il a délivré un très long discours (comme souvent), dans lequel il a réaffirmé qu’il était « interventionniste » : « colbertiste, bonapartiste, gaulliste et pompidolien ». Rien de moins. Il a juste oublié ce qu’il dit parfois : qu’il est un « girondin dans un pays jacobin ». Des rappels historiques très certainement glissés à son auguste oreille par quelque conseiller de communication ayant retrouvé ses livres d’histoire.
Un estrosisme multi-labels
Puisque les mots et les concepts ont encore un sens, il est temps de les décortiquer, notamment avec un dictionnaire et quelques documents autorisés.
Interventionnisme : politique préconisant l’intervention des pouvoirs publics dans la vie économique d’un pays. Une forme un peu radicale du keynésianisme, qui est la voie du milieu entre le laisser-faire et un strict protectionnisme. Un sujet d’étude pour le maire de Nice : interventionnisme et libéralisme sont-ils si compatibles ?
Colbertisme : système économique de Colbert, reposant sur un strict protectionnisme et le développement de l’industrie et du commerce extérieur. Le colbertisme est donc une émanation de l’interventionnisme. Mais Colbert n’est plus de ce monde depuis 341 ans…
Bonapartisme : fantasme nostalgique (français) reposant sur l’« homme providentiel » impérial (proche du césarisme antique), l’exercice d’un pouvoir autoritaire et technocrate, doublé d’un certain antiparlementarisme. Il apparaît que si le bonapartisme est compatible avec une république, il l’est beaucoup moins avec une démocratie… Rappelons aussi qu’au-delà du Code civil, les pertes militaires des campagnes napoléoniennes sont estimées entre 2 millions et 3,5 millions de morts, et les pertes civiles entre 750.000 et 3 millions. Ainsi, les estimations des pertes au total, à la fois militaire et civile, s’évaluent raisonnablement entre 2,7 et 6,5 millions de vies fauchées (parmi nos aïeux). Là aussi, plus de 200 ans après la mort de l’Empereur Napoléon 1er, les temps ont profondément changé. Pour finir, Éric Zemmour se dit aussi « gaullo-bonapartiste », comme nombre de souverainistes. Et comme Christian Estrosi, donc ! Qu’en penserait le Corse Bonaparte ? En guise de reconnaissance, l’Empereur aura au moins eu son nom sur un quai de tramway au port Lympia…
Pompidolisme : comme chacun le sait, Georges Pompidou, président de la République française de 1969 à sa mort en 1974 (à l’âge de 62 ans), a été l’héritier direct du général de Gaulle. Le pompidolisme modernisateur est né au cœur des Trente Glorieuses, et repose sur une forte croissance et les promesses enthousiastes et prométhéennes du progrès technique. Mais 50 ans après le décès de Pompidou, les temps ont radicalement changé et le monde est rentré dans une ère explosive à de nombreux égards ! Le technosolutionnisme, foi sans limite (et déraisonnable) dans la technique salvatrice, est bien dépassé – suranné, aujourd’hui, face aux enjeux sociaux, sanitaires et environnementaux mondiaux. Il présente l’énorme avantage qu’il permet de procrastiner, de repousser sine die les mesures pourtant indispensables pour démarrer une authentique transition écologique, et se trouve être de facto l’outil préféré des politiques cyniques. La modernisation du pays a été nécessaire dans l’après-guerre. Pompidou y a contribué. Mais aujourd’hui, la modernisation de notre pays ne peut plus reposer sur la seule technicisation de notre société, mais doit urgemment intégrer une vaste politique de sobriété et de durabilité, une profonde remise en question de la croissance économique perpétuelle, de réduction des impacts environnementaux et des inégalités sociales. Les robots de la science-fiction du XXème siècle ne doivent plus être les symboles du modernisme du XXIème siècle. Enfin, si Christian Estrosi et son voisin David Lisnard, maire de Cannes, ne sont pas particulièrement en bons termes, pour cause probable d’incompatibilité d’égos, tous deux vouent une admiration commune pour Pompidou…
Gaullisme : au-delà de sa vision socialement conservatrice, le général de Gaulle donnait une place centrale à l’État. Sous ses différents gouvernements, l’économie a été orientée par l’État sous la forme d’un développement volontariste, de la planification, de l’aménagement du territoire, des grands projets publics et de la redistribution. Un commentaire : Estrosi affirme très régulièrement qu’il est un « gaulliste social ». Mais quel est ce gaullisme social d’un maire à la tête d’une ville connaissant un taux de pauvreté stable depuis ses premiers mandats, à plus de 21% de la population ? Quel est ce gaullisme social d’un maire misant sur le tourisme de luxe ?
Autoritarisme et centralisme
En somme, Christian Estrosi, visiblement assez peu sûr de lui, se cherche des figures tutélaires, dont on peut dire qu’elles sont en général caractérisées par une certaine forme d’autoritarisme et de centralisation (typique du jacobinisme), ainsi qu’une foi aux vieux dogmes du siècle passé, fait de croissance et de technique. Cette idéologie nous montre à quel point elle est dépassée aujourd’hui et incompatible avec les demandes de démocratie, d’égalité, et les besoins de durabilité et de sauvegarde de notre environnement planétaire.
Les modèles de Christian Estrosi ont vécu au XVIIème siècle (Colbert), au XVIII et XIXèmes siècles (Napoléon), et de Gaulle et Pompidou ne sont plus de ce monde depuis 50 ans. Et s’il modernisait un peu sa garde-robe idéologique ?
L’avenir ne passera pas par ce genre de politique à court d’imagination et en manque de courage politique. Comme l’avait dit Napoléon 1er, durant son exil à Sainte-Hélène : « Quand je ne serai plus là, tout le monde dira : Ouf ! ».