Haut Conseil local pour le climat ou Comité Théodule ?
Annoncé avec faste et volontarisme, et voté par le conseil métropolitain Nice Côte d’Azur le 14 décembre 2022, le « Haut conseil local pour le climat et la biodiversité » a été installé à Nice le 13 février 2023 par Christian Estrosi. Après une année de travail, son rapport de préconisations a été présenté le 22 mars 2024. Et depuis, comme « prévu », le soufflé médiatico-politique est déjà retombé.
Faisons le point.
Un Haut Conseil local d’experts parfois non locaux
Ce Haut Conseil est censé être un « organe indépendant, composé d’experts pluridisciplinaires », en fait 16 membres sélectionnés par la métropole NCA, sous la présidence de la géographe du CNRS Damienne Provitolo (visiblement assez peu portée sur le dialogue avec les citoyens). 16 membres[1], dont près de la moitié ne résident pas sur notre territoire… Les travaux sont réalisés au sein de 4 groupes de travail.
A l’évidence, Christian Estrosi, en grand récupérateur, a voulu dupliquer l’idée du Haut conseil pour le climat (HCC) installé le 27 novembre 2018 par le président Macron et par décret du 14 mai 2019 (inscrit dans la loi relative à l’énergie et au climat de 2019). Ce Haut Conseil national est présidé par la climatologue franco-canadienne Corinne Le Quéré, et est constitué de 13 membres choisis pour 5 ans « en raison de leur expertise scientifique, technique et économique dans les domaines des sciences du climat et des écosystèmes, de la réduction des émissions de gaz à effet de serre ainsi que de l’adaptation et de la résilience face au changement climatique ».
Un objectif lacunaire
Officiellement, le Haut Conseil niçois « exerce pleinement son rôle de conseil pour :
– Guider scientifiquement les travaux et fournir une aide à la décision de l’exécutif,
– Proposer des stratégies d’adaptation et de résilience des territoires terrestres et marins de la Métropole face aux évolutions climatiques. Ces stratégies iront de pair avec les voies d’atténuation,
– Proposer des réponses locales aux changements globaux et relever les enjeux territoriaux,
– Accompagner le projet de Convention citoyenne locale (interventions, conseils…) », déjà annoncé en conseil métropolitain le 14 décembre 2022.
Rien qui vous étonne ? En premier lieu, il est question d’adaptation au changement climatique, mais nullement de réduction explicite des émissions de gaz à effet de serre… Or c’est justement là que le bât blesse : il suffit de consulter les bases Cigale d’AtmoSud pour constater que le maire de Nice n’est pas un champion du climat, et que la trajectoire des émissions GES n’est pas alignée sur les objectifs. Ensuite, le grand récupérateur a également repris cette autre idée nationale de la … Convention citoyenne, créée le 4 octobre 2019. Pour brasiller et briller de mille feux climatiques sur la Côte d’Azur. Mais quand on en connaît le bilan (national), c’est d’ores et déjà assez décourageant !
Tous ces dispositifs ne sont que poudre de perlimpinpin…
Le fameux rapport du Haut Conseil niçois
Ce rapport, daté de décembre 2023 et remis en mars 2024, a donc émis 17 grandes préconisations, dont il nous est dit qu’elles seront engagées en 2024… Dans la foulée, Christian Estrosi s’est empressé de déclarer dans les colonnes de Nice-Matin, le 21 avril 2024, que « près de 80% de ces propositions sont déjà en œuvre. Il en reste une cinquantaine à mettre en œuvre et je me suis engagé à le faire. »
Mais alors, quelle est la plus-value de ce Haut Conseil si 80% des mesures sont déjà appliquées ? Et de quelles mesures parle Estrosi ?
Ensuite, le 17 janvier 2023, le même Christian Estrosi expliquait que « nous avons besoin d’experts incontestables pour renforcer notre connaissance scientifique. Ce que nous devons amplifier, corriger, modifier. » C’est étrange, car le décret n° 2016-849 du 28 juin 2016 précise qu’ « après trois ans d’application, la mise en œuvre du plan climat-air-énergie territorial fait l’objet d’un rapport mis à la disposition du public ». L’objet de ce rapport mi-parcours est précisément de faire un point d’étape afin de corriger au besoin les trajectoires. Ce rapport aurait dû être publié fin 2022 (après 3 ans d’application du plan climat PCAET). Or, en mai 2024, rien n’est sorti, à un an de la fin de ce plan climat 2019-2025… Alors, pourquoi demander ce point d’étape à des experts qui n’ont précisément pas fait le point sur les 6 objectifs du PCAET de la métropole niçoise ?
Ainsi, devant ce non-respect de la loi, et après plusieurs mails de relance auprès de la Métropole Nice Côte d’Azur (restés sans réponse), le Collectif Citoyen 06 a déposé un télérecours auprès du Tribunal administratif de Nice, le 29 mai 2024, en vue de lui imposer la diffusion obligatoire de ce rapport mi-parcours du PCAET.
Préconisations : une liste à la Prévert de bons vœux
Reprenons quelques-unes des préconisations de ce rapport.
Groupe de travail n°1 : Anticipation et préparation aux événements climatiques extrêmes
Il est question de « risques multiples, en cascade et systémiques », de « créer un PLUm bioclimatique », ou encore un « PPRL » (littoral). Mais est-il encore besoin de créer de nouveaux plans, des tombereaux de paperasse, quand la volonté politique sincère manque depuis tant d’années ? Un exemple : le PLUm niçois comprend près de 17.000 pages (PADD, OAP, annexes, etc.) ! Et on veut en rajouter ? Que de plans pour finir par bétonner comme jamais, ou ne pas baisser ses émissions de gaz à effet de serre…
Il est aussi proposé d’instaurer une gouvernance sur les risques avec un « Comité de suivi sur l’ensemble des risques de la Métropole Nice Côte d’Azur ». Mais à quoi sert l’agence de sécurité sanitaire et environnementale et de gestion des risques (ASSEGR)[2] de la Métropole Nice Côte d’Azur ?? Que justifie de rallonger la liste des comités Théodule ? Où sont leurs bilans objectifs et leurs indicateurs ?
« Il faut éviter que les discours sur l’urgence climat ne fassent monter des lignes de division paralysantes (nucléaire contre éoliennes, sobriété vue comme faux nez de l’austérité, crispations autour de la viande ou des vols aériens) » : il fallait oser ! C’est donc fait…
« Réduire l’artificialisation des sols, maîtriser l’étalement urbain » : l’exact contraire de ce que fait le clan Estrosi depuis 2008, tant sur la Plaine du Var que sur les collines niçoises. Il faut être déficient visuel pour ne pas le constater.
« Marcher à l’ombre » : et rien sur la rénovation thermique du parc de logements publics et privés ? Alors que les canicules vont se multiplier et s’amplifier ? Alors que nous savons que le plan de rénovation est déjà très (très) en retard sur la métropole niçoise ? Comme le sont le plan d’énergies renouvelables et tant d’autres plans…
« Réguler le tourisme et en promouvoir d’autres formes » et « Promouvoir d’autres formes de tourismes : par exemple un tourisme plus durable, mieux régulé avec une répartition davantage équilibrée dans le temps et dans l’espace -sur l’ensemble des territoires métropolitains » : l’exact contraire de ce qui est promu par le maire de Nice et tous ses comparses, avec une politique de surtourisme très active, visant notamment les grandes métropoles américaines ou asiatiques.
« Considérer l’impact environnemental (air, bruit, GES) des projets d’extension des infrastructures aéroportuaires existantes » et « Réduire l’atterrissage des jets privés » : or le maire de Nice soutient mordicus le projet d’extension de l’aéroport de Nice, et ses +50% de passagers d’ici 2030, soit 20.000 vols supplémentaires par an. Personne ne peut ignorer la décision de la cour administrative d’appel de Marseille (14 décembre 2023) déclarant viciée l’étude d’impact de ce projet et exigeant sa refonte complète sous 12 mois (un arrêt est également en attente au Conseil d’Etat) !
« Revoir la tarification des transports en commun pour la rendre incitative » : le maire de Nice et président de la métropole a en effet revu la tarification en … l’augmentant de 70%.
« Renforcer les itinéraires de pistes cyclables, notamment sur les collines niçoises pour connexion au centre-ville » : les plans vélo niçois n’ont jamais été respectés depuis plus de 10 ans. Par ailleurs, les collines niçoises ne sont que très rarement adaptées à la création de telles pistes. La réduction et le contrôle des vitesses, en revanche, serait une solution de sécurisation très pertinente.
« Préserver les espaces agricoles, forestiers et naturels, y compris sur le littoral » : ah oui ?
Groupe de travail n°2 : Gestion des ressources en eau, énergie, alimentation et forêt
« Même en l’absence d’attribution de la « compétence alimentaire », les acteurs territoriaux (le Président de la Métropole) doivent se saisir, pour des raisons d’ordre public, du risque de rupture d’approvisionnement en alimentation en l’intégrant dans les plans (…) » et « Faire de la Métropole de Nice une Autorité Organisatrice de l’Alimentation Durable et Résiliente » : en partant de 1% d’autosuffisance alimentaire et en poursuivant l’artificialisation des terres ?
« Être exemplaire en ne faisant servir que des menus locaux et bas carbone pour la Conférence des Nations-Unies sur les Océans en 2025 » : encore une vitrine pour briller ?
« Réguler le tourisme » : ce qui ne signifie strictement rien. Les promoteurs du tourisme régulent la hausse du trafic touristique, en l’annualisant et en le verdissant, et l’aéroport voit son trafic augmenter sans cesse…
« Définir une stratégie de stockage alimentaire pour la population », « Développer les potagers urbains », « Développer l’aquaponie », « Développer la production d’insectes ». Voilà une belle vision d’avenir pour les Niçois-es : d’un côté, construire des immeubles de bureaux vides, et de l’autre, proposer des plats d’insectes aux habitants, comme la socca aux vers de farine ou aux blattes provençales ? Tout cela n’est pas sérieux.
« Protéger les terres agricoles (ZAP/PPAENP) », « Réquisitionner des terres incultes ou en friches (PAFAM/PLUM) » : Christian Estrosi ne serait-il pas informé de cette nécessité, et lui faut-il un Haut Conseil pour lui apprendre ?
Groupe de travail n°3 : Aménagement durable du territoire et protection de la biodiversité
« Créer des sentiers en ville et dans les zones périurbaines », « Préemption de zones pour la biodiversité (question du coût) », « Mettre en place un observatoire des sols » : encore des vœux pieux. Observer la progression du béton sur notre territoire ?
« Mettre en place des activités touristiques qui soient réparties sur l’année et qui réduisent leur empreinte écologique » : tout l’inverse de ce qui est fait ! Estrosi, aidé des comités de tourisme, œuvrent à attirer sans cesse davantage de touristes étrangers, provenant de tous les continents.
« Être moins mobile et mieux mobile » : en développant le tourisme aérien ?
« Protéger la mer » : quel programme ! Pourquoi pas : « chérir les poissons et les posidonies » ?
Groupe de travail n°4 : Mobilisation, sensibilisation et adhésion de la population et des acteurs locaux
« Mettre en place la convention citoyenne pour le climat en 2024. Celle-ci aurait également pour objet de contribuer à renouveler le Plan Climat de la Métropole pour la période 2026-2031 » : alors que les citoyens ont été évacués du conseil de métropole pour le climat en décembre 2022 ?
« Créer une Académie du Climat » : dans quel but, à part pour de la com’ ?
Alors, qu’en penser ?
Comme disait le conseiller flagorneur Richard Chemla, dans les colonnes du Figaro du 14 février 2023 : « Les membres (du Haut Conseil) doivent être des passeurs de rêve ». Il est bien question de rêve. Ou plutôt d’anesthésie et d’illusion. Quand les experts du Haut Conseil comprendront qu’ils sont les objets d’une manœuvre trompeuse de communication, il sera déjà trop tard. Pour le climat et la biodiversité.
Cette liste à la Prévert de propositions diverses et variées n’est absolument pas à la hauteur de l’urgence et de l’enjeu. Par le ton convenu et l’absence de force du contenu. Ce rapport n’est donc qu’une pièce supplémentaire au greenwashing institutionnalisé, selon la définition classique: « Une performance environnementale médiocre associée à une communication positive sur celle-ci » (Delma/Burbano, 2011).
Et pourtant, notre région verra son climat devenir invivable d’ici quelques décennies ! Mais rassurez-vous, ça ne concernera que nos enfants, pas les élus irresponsables qui continuent de faire semblant et de nous jouer du violon…
Nul besoin d’un Haut Conseil ! Juste de la volonté et de la sincérité
Pourquoi ? Parce que le constat est connu, les causes sont parfaitement identifiées, et tous nos problèmes sont solubles. Car les solutions existent, visibles partout dans le monde. Le seul enjeu : les expliquer et les mettre (vraiment) en œuvre… Les experts doivent dire la vérité (scientifique) en toute indépendance, exiger des décideurs locaux et nationaux qu’ils agissent, et les contrôler. Point.
[1] Damienne Provitolo, Eric Daniel-Lacombe, Pascal Dassonville, Patrick Fénichel, Jean-Pierre Gattuso, Philippe Grandcolas, Nathalie Hilmi, Stéphane Linou, Frédéric Marchand, Pierre-Charles Maria, Carlos Moreno, Nicolas Peraudeau, Gabriel Plassat, Kalina Raskin, Magali Reghezza, Nicolas Viaux.
[2] L’agence de sécurité sanitaire et environnementale et de gestion des risques de la Métropole Nice Côte d’Azur est chargée de coordonner, de conseiller et d’apporter une expertise stratégique au niveau de la Métropole en cas de crise sanitaire, environnementale ou sécuritaire.