Lettre au directeur des rédactions de Nice-Matin
L’importance des liens entre les citoyens et la presse locale
Pour la 2ème fois, nous tendons la main à Denis Carreaux, directeur des rédactions du groupe Nice-Matin depuis 10 ans, gérant le travail de 180 journalistes répartis sur trois éditions : Nice-Matin, Var-Matin, Monaco-Matin et leurs sites Internet.
Nous (les deux cofondateurs du collectif) l’avions rencontré, ainsi que son adjoint Patrice Maggio, le 17 septembre 2019, quelques mois après avoir fondé le Collectif Citoyen 06. Parce qu’il nous était apparu judicieux de tisser un lien constructif entre des citoyens engagés et bénévoles et le directeur des rédactions d’un des grands médias locaux. Ainsi, nous leur avions proposé de leur soumettre des éléments de réflexion et d’étude, au-delà du rouleau-compresseur de l’actualité, sur le thème général de l’environnement, de la santé publique et de la démocratie locale, thèmes chers à notre collectif, et de les partager avec le lectorat de Nice-Matin. Car mieux vaut « interroger » les faits, que les « astiquer », pour reprendre l’expression de la romancière italienne Simonetta Greggio.
Disons quelques mots sur Nice-Matin : ce quotidien de PQR règne sans grand partage sur le monde médiatique de la Côte d’Azur. Il est actuellement dirigé par Anthony Maarek, et a été racheté en 2019 par la 231ème fortune mondiale, à la tête de 10 milliards de dollars : Xavier Niel, fondateur de l’opérateur Free. Il se trouve que le groupe Nice-Matin n’est pas en très grande forme, voyant son lectorat diminuer depuis des années. Ainsi, on pouvait lire dans les colonnes du média « La Lettre » en septembre 2023 : « Le groupe détenu par Xavier Niel va ouvrir un guichet de départs volontaires pour compenser l’érosion de son chiffre d’affaires et réduire ses pertes financières. »
Naturellement, nous considérons que le fait d’être un informateur central, sans réelle concurrence, sur un territoire très densément peuplé (plusieurs millions d’habitants et autant de touristes), oblige. Il oblige à un maximum d’objectivité et d’ouverture.
Des liens malheureusement épineux
Après cette rencontre du 17 septembre 2019, nous avons été associés à Sophie Casals pour co-organiser et co-animer un débat sur l’agriculture locale au sein des locaux de Nice-Matin.
Suite à ce débat, un certain nombre de nos publications, notamment sur les réseaux sociaux, ont bien été reprises par le quotidien, telles que le dossier concernant les 500 morts prématurées annuelles imputables à la pollution de l’air à Nice, dossier que nous avions élaboré après une étude sérieuse et référencée, ou encore ceux de l’aéroport, du plan climat PCAET (ex : « Nice n’est pas écologique »).
Les mois passant, constatant l’absence d’avancée, voire la dégradation de la situation environnementale, sociale, économique, sanitaire, démocratique, financière de notre territoire, nous avons, toujours de façon directe mais sourcée, alerté, dénoncé et proposé des alternatives. Est-ce la raison pour laquelle le quotidien s’est progressivement mais irrémédiablement détourné de nous, ne nous citant plus, ne reprenant plus nos alertes ni nos propositions ? Tout cela paraît assez incompréhensible, Denis Carreaux nous qualifiant même de « donneurs de leçons », poursuivant le 20 septembre 2023 d’un trait caustique : « J’apprécie toujours quand vous nous expliquez ce que nous devons faire, écrire ou penser… Collectif citoyen ou comité de censure ? ». Un ton bien agressif à l’endroit de citoyens engagés sans aucun autre intérêt que l’intérêt général, et bénévoles… Très bien : puisque ce patron journaliste évoque la censure, parlons-en !
Caviardage, censure : où allons-nous ?
“La rétention de l’information est une forme de constipation du savoir.” (Théophraste Renaudot)
Sa liberté d’expression ayant probablement déclenché un certain courroux, le Collectif Citoyen 06 n’a plus l’honneur d’être seulement cité dans les pages de Nice-Matin. Gênerions-nous à ce point le business local, l’aéroport de Nice, plaque tournante du tourisme local, les politiques locaux ? Ou payons-nous notre outrecuidance d’avoir fait notre devoir de lanceurs d’alerte sur le territoire maralpin ?
Le 20 mars 2024, nous avons assez longuement rencontré un pool de plusieurs journalistes, mandaté par Nice-Matin pour préparer un dossier complet sur l’aéroport. Ce groupe nous avait contactés sur la base de notre expertise sur le dossier de l’aéroport et de son extension T2.3, puisque nous assistons le requérant FNE06 dans son recours devant les instances judiciaires administratives depuis le printemps 2020 (actuellement porté devant la Cour Administrative d’Appel de Marseille et le Conseil d’Etat à Paris). Comme pour chaque sollicitation, nous avons livré nos informations, en toute objectivité, chiffres et sources à l’appui. Le dossier devait sortir quelques jours plus tard : fin mars. Une précision : dans le souci légitime d’équilibrer le dossier, les journalistes avaient contacté les responsables de l’aéroport de Nice, mais il semble que ceux-ci n’aient pas eu « grand-chose » à leur livrer.
Puis nos contacts nous ont expliqué que le dossier ne devait finalement pas sortir en print (édition papier) mais seulement en version numérique. Quelques jours après, nous apprenions, qu’à leur grand désarroi – pour ne pas dire plus, et au nôtre, leur dossier allait être « caviardé » par la rédaction de Nice-Matin. Le Larousse donne cette définition du « caviardage » : « Fait de censurer, de supprimer une partie d’un texte, d’une publication. ». Et revoilà la censure ! Figurez-vous qu’un mois après, aucun dossier, même caviardé, n’est sorti dans les pages de Nice-Matin. Comment appeler cela ? Nous gardons néanmoins l’espoir qu’il sorte prochainement…
Un lectorat privé d’informations importantes ?
Au nom de quel principe peut-on priver des dizaines de milliers de lecteurs et lectrices d’informations importantes les concernant pleinement ? Notamment lorsqu’il s’agit d’un aéroport urbain (Nice), 3ème aéroport de France, et qu’il envisage d’augmenter son trafic de 20.000 vols par an, engendrant nuisances sonores, polluants atmosphériques, gaz à effet de serre et saturation (+ 7 millions de passagers par an d’ici 2030). Un seul exemple : en 2019, les émissions GES de l’aéroport de Nice représentaient 13% des émissions de l’ensemble de la ville de Nice, et 48% en intégrant les sources additionnelles (1/2 croisières). Les émissions locales (LTO) d’oxydes d’azote (NOx) de l’aéroport représentaient également 24,8% des émissions totales de la ville de Nice (source AtmoSud Cigale). Eh bien, Denis Carreaux juge visiblement que ces informations ne méritent pas d’être connues des Niçois-es et Varois-es, du moins d’être commentées et mises en perspectives à des fins de meilleure compréhension des enjeux locaux.
Une main tendue (mais détendue) !
Aujourd’hui, nous proposons à Denis Carreaux de rediscuter avec lui, d’ouvrir une nouvelle fenêtre d’échange. Parce que nous pensons qu’un directeur de rédactions doit faire preuve d’ouverture et d’objectivité. Et que la démocratie locale niçoise a un besoin vital de dialogue, de débats, d’informations justes, et bien sûr, d’une presse impartiale.
Parce que, ainsi que l’a rappelé le journaliste et essayiste Jean-François Revel :
« La civilisation démocratique est entièrement fondée sur l’exactitude de l’information. Si le citoyen n’est pas correctement informé, le vote ne veut rien dire. »
Denis Carreaux, allez-vous saisir cette opportunité ?