Le grand cirque des « cafés de l’écologie positive » à Nice
Mercredi 6 décembre 2023, au 4ème étage de la Tête Carrée au-delà de la Coulée Verte : attention, voici le « 6ème café de l’écologie positive » ! L’annonce était alléchante : « Ce nouveau café-débat vous permettra d’échanger avec les élus sur les contours du projet d’extension de la Promenade du Paillon, cette forêt urbaine en cours de réalisation sur plus de 8 hectares en plein centre-ville de Nice. » Comme pour chacun des précédents cafés, les représentants du collectif citoyen 06 étaient présents. Débriefing.
En dehors de la vingtaine d’élus et d’agents de la ville-métropole, seul-es 5 ou 7 citoyen-nes (sans lien d’intérêt) étaient présent-es. Nous pensons donc aux 342.515 autres citoyen-nes, qui pourraient avoir envie de savoir ce qui se passe dans leur ville…
Discours anesthésiants et vidéos marketing
Étant habitués aux pratiques de la maison, nous avons dû écouter religieusement le 3ème adjoint, Richard Chemla[1], pendant de longues minutes, qui a ensuite passé la parole à la 2ème adjointe, Anne Ramos[2], qui l’a ensuite transférée à Nicolas Arbora, directeur du projet Promenade du Paillon (et peut-être agent de sécurité…). Trois discours et deux vidéos marketing plus tard, sur fond musical de violon agrémenté d’une voix doucereuse, nous en étions déjà à plus d’une heure de « café-débat », qui n’avait rien d’un débat. Faut-il préciser que le collectif citoyen 06 perturbe visiblement Richard Chemla, puisqu’au bout d’à peine 30 secondes, nous avons pu entendre « ce que je dis ne sont pas des mensonges, comme le dit le collectif 06 » (collectif citoyen 06, s’il vous plaît !).
Et pourtant. La salle de café-débat était ornée de panneaux indiquant les soi-disant bénéfices du projet d’extension de la Promenade du Paillon : +1500 arbres, -5°C de température en période chaude, -1740 tonnes de CO2 par an, -6 à -8 décibels de bruit urbain, -20% de maladies cardiovasculaires, -1 tonne de polluants NO2 et SO2, etc. Mensonges ou désinformation ? A part les deux premiers items, tous les autres trompent la population. Illustrations :
- Réduction de 1740 tonnes de CO2 par an : 1500 arbres captent 6 tonnes de CO2 par an. Ça n’est pas nous qui le disons, c’est un chiffre référence du Label Bas Carbone du Ministère de la Transition Écologique. Six tonnes représentent moins de 1/230.000ème des émissions annuelles de la ville de Nice (1,4 million de tonnes de CO2, source AtmoSud). Qui pour le dire, en dehors de ceux qui travaillent et connaissent les dossiers ? Au passage, le maire Estrosi a pourtant écrit, dans l’édito de la plaquette « La forêt urbaine : saison 2 » (lettre info chantier n°3), que ce projet visait notamment à « capter les émissions de CO2 ». Rien à dire, c’est exact. Mais à hauteur de 1/230.000ème des émissions de la ville. C’est à dire : un pouillème.
- Réduction de 6 à 8 décibels du bruit urbain : l’échelle étant logarithmique, cela signifierait que le projet diviserait à terme par 4 à 6 l’intensité sonore dans ce secteur de la ville. Qui peut le croire, alors que le maire lui-même a précisé qu’il espérait voir le trafic routier diminuer de 30% (seulement 30%)…
- Réduction de 20% des maladies cardiovasculaires : si l’effet des forêts est reconnu comme très bénéfique pour la santé humaine, la Promenade du Paillon ne sera jamais une forêt, mais un parc urbain. Prétendre que ce projet aurait un tel impact est malhonnête. Nous avons consulté un cardiologue niçois bien connu, qui a littéralement pouffé à la lecture de cette annonce fantaisiste…
- Réduction annuelle de 1 tonne des polluants NO2 et SO2 : il se trouve que la ville a émis plus de 2000 tonnes de ces polluants en 2021. L’honnêteté aurait voulu que la ville indique une réduction de 0,05% de ce polluant (à l’échelle de la ville)…
Enfin, le débat !
Plus d’une heure après le début de ce « café-débat », place aux questions ! Toujours très prompts à réagir, nous avons donc pris la parole. Avant toute chose, nous nous sommes félicités de ce projet d’arbres en ville. Mais rapidement, nous avons rappelé que les mots et les chiffres ont un sens. Puisque les évidences apparaissent mieux quand on les dit, nous avons rappelé que cette extension n’a rien d’une « forêt urbaine », et que la « déconstruction d’Acropolis » n’est rien d’autre qu’une « démolition ». Une forêt est un espace naturel, pas un parc urbain étendu sur des voutes de béton. C’est important de le dire, parce qu’on sait où mène la novlangue orwellienne. La réponse de la 2ème adjointe Anne Ramos a fusé : « Mais nous nous adressons à la population ! ». Pourquoi, il faut donc balader les Niçois pour qu’ils comprennent ? Nous avons bien sûr évoqué la destruction fâcheuse du Théâtre National TNN. Réponse du 3ème adjoint : « Le TNN ne respectait pas les normes ». Ah bon, et pourquoi ne pas avoir également détruit le MAMAC, bâti sans permis de construire et dans le cadre du même projet culturel que le TNN ? Tout cela n’est pas du tout sérieux !
Nous commençons à réaliser que l’extension de la Promenade du Paillon sert à « promener » les Niçois, dans le sens que vous avez saisi : « à les balader »… A les promener gentiment jusqu’à fin 2025, veille des prochaines élections municipales, pour celles et ceux qui n’auraient pas fait le lien.
Du béton à Nice ? Mais quel béton ?
La pression est montée d’un cran lorsque nous avons évoqué la question des 8 hectares de végétalisation de la vallée du Paillon d’un côté, contre les dizaines d’hectares bétonnés et artificialisés dans la Plaine du Var. L’extension de la Promenade du Paillon n’est donc rien d’autre que « l’arbre qui cache la forêt ».
Nous avons cité le nouveau préfet Hugues Moutouh (suscitant des cries d’orfraie dans la salle), représentant de l’État dans notre département, qui a récemment déclaré : « Il faut siffler la fin de la partie » au sujet de la bétonisation et de l’artificialisation de la Plaine du Var (Nice-Matin du 24 novembre).
Preuve, pour celles et ceux qui n’auraient pas bien observé l’évolution de la basse vallée du Var ces dernières années, que les bornes ont été dépassées. Anne Ramos ne semble pas l’avoir bien compris quand elle dit très sérieusement que « oui, nous développons la ville à l’ouest, mais l’artificialisation n’a concerné que 2% des terres, et l’agriculture y a toute sa place. » Comment peut-elle oser pareille dénégation ?
L’inondation du Paillon ne semble pas concerner les habitant-es…
On continue ? Lorsque l’une des rares personnes dénuées de tout lien d’intérêt avec la ville, a évoqué le risque d’inondation du Paillon, nous avons renchéri en rappelant à Richard Chemla, qui venait de confirmer que le réchauffement climatique allait amplifier les phénomènes extrêmes, que le PPRI évoquait des crues centennales à 750 m3 par seconde, et que ce projet de « forêt urbaine » sur les voutes en béton du Paillon pouvait poser un réel problème aux Niçois-es. Réponse immédiate d’Anne Ramos : « Il n’y a pas de problème puisque nous fermerons le parc urbain en cas de crues ». Bigre ! Mais la 2ème adjointe de Christian Estrosi ne pense donc qu’aux promeneurs et aux touristes, et pas le moins du monde aux milliers d’habitants des quartiers de l’Ariane, ou du secteur Palais des Expos – Pont Vincent Auriol, qui pourraient se voir inondés ?
Ceux-là ont probablement un panier moyen un peu léger pour être dignes d’intérêt ! (photo crue du Paillon en 1940, Jacques De Saint-Seine)
La vérité, factuelle et scientifique, n’est donc pas une denrée très appréciée des élus niçois au pouvoir, qui ne supportent pas la moindre contradiction. Il suffit d’écouter les incessants discours (sur les plateaux TV et radio) de Richard Chemla, qui se prétend pourtant scientifique, qui dénotent systématiquement une appréhension très approximative des problématiques environnementales, pour autant qu’ils n’aient pas trait au cœur de son ancien métier : l’expertise anesthésique.
Un vrai problème de démocratie à Nice ?
A la fin de nos courtes interventions, entrecoupées de « Vous êtes trop longs ! », « Vous êtes hors-sujet ! », « Avec vous, c’est toujours pareil, vous maîtrisez les dossiers, mais vous gâchez tout sur la fin », nous avons confirmé à cet aréopage très partial, qu’il faisait, une fois encore, la démonstration que nous avons un vrai problème d’expression démocratique à Nice. Les citoyens qui n’adhèrent pas pleinement à leurs campagnes de com’ sont ostracisés et refusés. A ce propos, nous avons eu la preuve de leur sélection : « et d’ailleurs, vous n’étiez pas invités ! ». Joli, élégant, courtois, engageant. Eh oui, au café de l’écologie positive de la ville-métropole de Nice ne sont acceptés que les béni-oui-oui qui ne perturbent pas le spectacle…
Nous avons été ostracisés ? Oui, puisque Richard Chemla et les participants n’ont cessé de vouloir nous empêcher de nous exprimer, de faire des diversions, très éloignées du chantier vert de l’extension de la Promenade du Paillon, censé être le sujet du jour. Aucun reproche, à aucun autre participant, sauf au collectif citoyen 06, que l’on veut bâillonner dans l’instant pour … « hors-sujet ». Et lorsque nous réagissons, chacun fait mine de s’offusquer de nos propos… Cette technique bien connue des petits manipulateurs porte un nom : le deplatforming. On énerve son adversaire, et une fois obtenu une réaction assez vive, on joue la victime. Aussi basique que lamentable. Notamment de la part de jeunes prétentieux. Citons Romain Cardelli, conseiller au cabinet du maire, qui s’est autorisé cette glissade, affirmant que « le collectif, vous n’êtes d’ailleurs que deux ! » (le 1er adjoint Anthony Borré nous avait fait la même… Manqueraient-ils d’imagination ?). Mais alors, si cela était vrai, combien nous serions forts, efficaces et malins pour les déranger à ce point ! Nos très nombreux sympathisant-es et collaborateurs-trices apprécieront la morgue de l’impétrant. Nous l’avons donc invité sèchement à se taire !
Finalement, l’hallali ne nous captivant pas particulièrement, nous avons fait un immense plaisir à ces messieurs dames : nous avons quitté les lieux, ne regrettant que la superbe vue du 4ème étage de la Tête Carrée… D’ailleurs, elle n’a pas moufté, car elle n’a pas d’oreilles.
L’interrogation ultime : que faut-il encore attendre de ce clan fasciné par la communication. Que faut-il espérer de ces « cafés de l’écologie positive », véritable cirque communicationnel ? Manifestement rien.
PS : Question de voir si le 5ème café de l’écologie du 7 juillet 2023 était différent, lire ici…
[1] Adjoint à la Santé, à l’Environnement, au Bien-être et à la Protection Animale, vice-président en charge de la Transition écologique de la Métropole Nice Côte d’Azur.
[2] Adjointe déléguée à l’urbanisme, au foncier, aux travaux et aux grands projets.