Y a plus d’eau, achetez une piscine !
Une sécheresse devenue chronique et critique
Nous voici fin août 2023 : le pic de l’été vient de passer, avec ses flots continus de touristes et ses transports bondés, ses pics de chaleur et de pollution à l’ozone, sa sécheresse. « Comme tous les ans », diront certains.
Mais justement non ! Le constat devient clair, et il faut être un indécrottable climatosceptique (« il a toujours fait chaud », « la pluie revient », « les Africains vivent bien avec peu d’eau ») pour ne pas en convenir : que ce soit sur notre région, en France ou dans le monde, le climat évolue de manière inquiétante. D’année en année, le déficit pluviométrique se creuse un peu plus, les phénomènes extrêmes se manifestent, et le stress hydrique augmente dans de très nombreuses régions de la planète et notre pourtour méditerranéen n’y échappe pas : la sécheresse tarit nos nappes phréatiques et nos cours d’eau, et le risque incendie se répand plus fréquemment sur nos massifs.
La crise est là : nappes et cours d’eau sont au plus bas
Quelques indications concrètes (extraites du site info.sécheresse) pour y voir plus clair : sur les 3 derniers mois (fin mai à fin août), la température moyenne a dépassé les +3°C par rapport aux normales de saison, et la pluviométrie, sur les 6 derniers mois, est catégorisée en « grande sécheresse », les pluies de mai et juin ayant eu lieu hors des périodes de recharge.
Les impacts de cette situation sont tout aussi directs que puissants : les eaux souterraines (nappes phréatiques) sont à un niveau très bas, notamment celles de Pégomas Le Boutéou, et de Nice Stade des Arboras, et les cours d’eau sont très affaiblis, en particulier le Ruisseau de Caïnéa (Lucéram) et Le Loup Les Vallettes (Tourrettes-sur-Loup). Le dernier arrêté préfectoral d’août classe ainsi les 16 zones d’alerte des eaux superficielles de notre département : 6 sont en alerte, 3 en alerte renforcée et … 7 zones en crise.
Qu’à cela ne tienne ! Cette situation critique ne semble pas encore être suffisante pour que l’opinion et les dirigeants publics se mobilisent sur la question de l’eau : le touriste ne doit surtout pas souffrir de pénuries, ni même être inquiété, et comme disent Renaud Muselier, le président de la région Sud PACA, et son acolyte Christian Estrosi : « la guerre de l’eau n’aura pas lieu ». Et pourtant… Les citoyens sont de plus en plus nombreux à se mobiliser contre les abus de certains sur le bien commun qu’est l’eau douce, une ressource précieuse et pas inépuisable. Rappelons juste que 30% de l’humanité, soit plus de 2 milliards d’êtres humains, n’ont pas accès à l’eau potable, et que l’eau devient source de conflits sur de nombreuses régions du monde. En France, les mobilisations se multiplient autour des méga-bassines (ex Sainte-Soline), des golfs et de leur green verdi à coups de milliers de mètres-cube d’eau, des douches de plage, des hôteliers, des cultures de maïs très gourmandes en eau pour nourrir le bétail, etc.
Telle un Shadok, la Côte d’Azur pompe pour bétonner…
Sur la Côte d’Azur, ce n’est pas précisément pas l’agriculture qui consomme le plus d’eau (d’où notre dépendance alimentaire de 98%). Ici, les raisons d’une forte consommation sont à chercher ailleurs : la bétonisation effrénée de notre territoire pompe plus que de raison dans les nappes souterraines. Un seul exemple : les chantiers dantesques de la plaine du Var sont littéralement voraces ! Le seul chantier de la gare multimodale de Saint-Augustin a pompé 47 millions de litres d’eau, expliquant probablement l’incroyable enfoncement de 16 cm du bloc néostalinien « Avant-Scène » (Grand Arénas), toujours en construction, avec ses 36.000 m2 de béton au cœur de l’Ecovallée. Nous avons, à ce propos, quelques doutes sur la stabilité du bâtiment voisin, à l’allure moderniste : le « Connexio », fief de la métropole de Nice (sa verticalité semble déjà assez relative, et il est question de « fissures »)… La zone Méridia, toute proche, voit pousser sur ses 60 hectares de nouveaux quartiers disparates, construits à coups de grue et de bétonnière, juste 5 mètres au-dessus du toit de la nappe du Var, qui ne manqueront pas d’aspirer toujours plus d’eau. Pour rappel, 1 m3 de béton nécessite 140 litres d’eau et émet près de 400 kg de CO2, et les chantiers nécessitent d’assécher les fondations.
N’oublions pas que les réseaux de distribution d’eau sont particulièrement vétustes en France, et dans notre région en particulier. En moyenne, 20% de l’eau sont perdus avant d’arriver aux robinets. Dans les Alpes-Maritimes, ce sont même des pertes de l’ordre de 35% à 50% sur les réseaux du haut pays, et des pertes de 45 millions de m3 par an sur le département.
Un surtourisme très gourmand en eau !
Un autre grand consommateur est lié au surtourisme : l’aéroport de Nice consomme allègrement 2 millions de m3 par an, soit l’équivalent de 15% de la consommation de la ville de Nice. Son extension, et ses 7 millions de passagers supplémentaires, induira une hausse de la consommation d’eau. Or un touriste consomme beaucoup d’eau. Beaucoup plus qu’un Maralpin (+65%, et jusqu’à 800 litres par jour pour le « touriste de luxe »), qui en consomme lui-même 50% de plus (230 litres par jour) que la moyenne nationale (150 litres)… Sur l’eau, comme sur d’autres sujets, la Côte d‘Azur a largement atteint sa côte d’usure !
Des piscines par milliers…
Enfin, outre les arrosages de golfs et les nettoyages à grande eau des yachts, ce sont les … piscines privées qui mettent en lumière l’ampleur de nos dénis hédonistes. Ce sont en effet 54.000 bassins, dont les eaux reflètent le soleil généreux des Alpes-Maritimes. Certaines communes ont le permis piscinier tout aussi généreux. Citons Roquefort-les-Pins, une petite commune de 7.000 habitants, qui abrite plus de … 2.000 piscines ! 62% des logements en sont équipés, parmi lesquels certainement une écrasante majorité de résidences secondaires (18% dans cette commune). En comparaison, la ville de Nice, et ses presque 350.000 résidents, en abrite juste un peu plus (3.000). Ainsi, le maire roquefortois, Michel Rossi, préfère caresser son électorat dans le sens du bassin, alors que sa commune est en pleine crise de l’eau (bassin versant du Loup), et que les services de la communauté de communes CASA et de la DDTM de la Préfecture, sont légitimement inquiets de constater le niveau alarmant des nappes et des cours d’eau, et leur évolution saison après saison. A Roquefort-les-Pins, mais certainement comme à Oppio, Saint-Paul-de-Vence, ou dans de nombreuses autres communes des Alpes-Maritimes ou du Var (qui abrite plus de 100.000 piscines), le modèle VJP est en grande forme : « Villa Jardin Piscine ». C’est encore « free bar » sur l’eau, comme au temps des Trente Glorieuses !
Une piscine privée en France dispose d’un volume moyen autour de 30.000 litres d’eau (30 m3), soit l’équivalent d’un gros camion-citerne. Quand une famille de 4 personnes en construit une, sa consommation d’eau augmente mécaniquement de 10 à 15%, pour cause de remplissage et de compléments réguliers, liés à l’évaporation (jusqu’à 10 m3 par mois en saison estivale). Sur la CASA, ce sont plus de 200 villas (source Nice-Matin) qui consomment jusqu’à 1.000 m3 par semaine, alors qu’il est demandé aux habitants moins fortunés de limiter la durée de leur douche !
Il est l’heure de nous interroger sur l’usage des biens communs et la justice sociale
La sécheresse croissante nous oblige à nous interroger, sans posture ni déni, sur l’usage de biens communs comme l’eau, mais aussi, et plus généralement, sur nos rejets (déchets solides, émissions de polluants et de gaz à effet de serre). Comment justifier que quelques-uns se permettent, au nom de leur « richesse » ou de leur statut, de consommer ou de polluer beaucoup plus que le reste des citoyens. Tout le monde en convient, à l’exception des obsédés du capitalisme néolibéral ou libertarien : il ne peut y avoir de transition sans un minimum d’équité et de justice.
Rappelons juste que l’écologie coercitive ou punitive n’est pas celle des défenseurs de l’environnement, mais celle des gens de pouvoir qui militent pour la priorité donnée à l’économie et à la croissance. Ce n’est pas vers la restriction que nous emmènent ces gens, mais vers la pénurie, le manque et la multiplication des conflits d’usage.
Au fait, du 8 au 11 septembre 2023 au MIN, à Nice, aura lieu le … Salon « Piscine, spa & jardin Côte d’Azur » (on lit sur son site : « à chacun sa piscine ! »)… Puisqu’on vous dit que tout va bien, et qu’on vous le répètera lors du grand Show du Greenwashing à Nice, les 28 et 29 septembre 2023 ! On ne se moquerait pas du monde, par hasard ?
Post-Scriptum : nous n’avons rien contre les « piscinistes » ou les heureux possesseurs de bassins. En revanche, nous apprécierions (beaucoup) qu’émerge un début salvateur de prise de conscience… 😉