Marchands de doute et confusion pour ne rien changer !
Pantoufles et silences
Nous sommes à un carrefour. Disons plutôt LE carrefour ! Le monde va mal, la destruction des écosystèmes planétaires poursuit sa route, et la transition peine à démarrer. Pourquoi ? Parce que les intérêts économiques et financiers sont gigantesques, et priment sur la protection environnementale et sanitaire. Parce que les élus, accrochés à l’approbation court-termiste de leur électorat, manquent d’audace et de courage. Parce que peu, parmi nous, ne veut vraiment changer ses petites habitudes.
Parce que le silence des pantoufles est pire que le bruit des bottes, pour reprendre la fameuse citation du Suisse Max Frisch faisant référence au drame de la 2ème guerre mondiale. Sauf qu’ici, il s’agit de bottes qui écrasent les écosystèmes, les terres, les océans et l’atmosphère. A coups de bétonneuses, de chimie de synthèse et de pesticides, de déchets plastiques, de perturbateurs endocriniens et de polluants éternels…
Mais aussi les pays pauvres, qui subissent de multiples peines sous les coups, cette fois, d’injustices chroniques, de réchauffement climatique et de montée des eaux, de déchets des pays occidentaux, etc. Pendant que nous profitons du doux confort de nos pantoufles occidentales et de nos silences coupables… Que nous sommes gentiment anesthésiés…
Mais voilà que face à la forte prise de conscience des citoyens du monde à laquelle nous assistons actuellement, les puissants dégainent leurs arguments malodorants : « Calmez-vous, restez raisonnables, attention, vous faites du complotisme ! Vous savez, les causes sont multifactorielles, et nous n’y sommes pour rien… » Le 9 janvier 2020, les représentants du Collectif Citoyen 06 ont été longuement reçus par Christian Estrosi, dans son bureau et en présence de ses proches collaborateurs. Lorsque ceux-ci ont évoqué la pollution de l’air et ses lourds impacts sur la santé des Niçois (500 décès prématurés par an), le maire leur a répondu ainsi : « Comportez-vous comme des citoyens responsables, cessez de faire fuir les investisseurs ! »… Le but est donc d’éviter de parler de pollution, quoi qu’il en coûte, pour ne pas affoler le sacro-saint business.
Des exemples ? Pas de souci : il en tombe comme à Gravelotte ! Sur la chute vertigineuse de la biodiversité et la disparition des colonies d’abeilles ou le déclin des populations d’oiseaux, quand l’industrie des pesticides indique que ses molécules (en évitant au passage de parler de leurs très nombreux métabolites et de leurs effets cocktails) n’y sont évidemment pour rien, l’industrie agrochimique évoque la disparition des haies, la destruction des habitats naturels ou les pratiques inadaptées des agriculteurs. Mais jamais l’effet des pesticides qui empoisonnent littéralement la nature et les êtres vivants, dont nous autres humains. Au passage, cette industrie chimique multinationale est si puissante que ses lobbyistes infiltrent de très nombreuses organisations officielles, chargées tant de l’alimentation que de la santé mondiale, mais aussi les parlements européen et nationaux, théoriquement des sanctuaires de nos démocraties, qu’elle soudoie des milliers de scientifiques par le biais de pressions pour qu’ils corrigent leurs articles, ou de chantage au financement de leurs recherches. Ainsi, cette mafia d’influence pseudo-scientifique disperse du doute, partout où il n’y a plus aucune raison qu’il y en ait encore : les marchands de doute bloquent tout changement pour engranger des bénéfices de tous ordres. Car chacun se jauge, et personne ne souhaite sortir du bois avant l’autre : c’est ainsi que nous restons figés, et que la transition n’a pas même démarré. L’histoire est constellée de tels exemples : l’amiante, le tabac, l’alcool, les pesticides et l’agrochimie, l’industrie pharmaceutique, l’élevage industriel, le climat, etc. Ce n’est pas tant que la transition est complexe, c’est d’abord et avant tout que nos sociétés modernes, et leurs dirigeants, manquent d’audace et de courage politique. Car toutes les solutions sont connues !
D’autres exemples :
- L’aéroport de Nice ose affirmer que son projet d’extension de terminal (qui permettra d’augmenter le trafic passagers de +50% d’ici 2030 et le trafic aérien de +20.000 vols par an) n’est absolument pas responsable de l’augmentation de trafic, puisqu’il ne fait que l’accompagner. Alors que ses responsables, et les actionnaires, usent de toutes les ruses pour augmenter le trafic aérien, en calfeutrant leurs responsabilités : « nos activités n’ont aucun impact sur l’environnement et la santé ». Pourquoi ? Parce que ce sont les avions des compagnies, et non l’aéroport, qui polluent. Ainsi, cet aéroport se prétend « neutre en carbone », puisqu’il ne comptabilise quasiment rien des 928.000 tonnes de CO2 émis annuellement par les avions qui le fréquentent ! Et d’ailleurs, « l’aviation commerciale n’est responsable que de 3% des émissions CO2 mondiales : si peu à côté de celles des voitures ou de l’agriculture ». En somme : « c’est pas nous, c’est les autres ! »… Circulez, y’a rien à voir !
- Les rassuristes, climato-sceptiques, voire climato-négationnistes, pullulent encore, alors qu’il existe aujourd’hui un consensus formel sur l’origine anthropique du réchauffement climatique et de la destruction de la biodiversité. Ces escrocs immoraux, qui tordent le langage, cherchent à nous inciter à ne pas bouger, parce que « les changements climatiques ont toujours existé, que l’action humaine est incapable d’avoir un tel impact sur le climat, parce que les Chinois sont responsables, mais pas nous, qui sommes si vertueux… Et d’ailleurs, même si nous abimons un peu la planète, soyez tranquilles : sainte Technologie va nous sauver ! » Ce qu’on appelle le « techno-solutionnisme », qui n’est rien d’autre qu’un pari très risqué, mais sans aucune garantie de succès, rien d’autre qu’une idéologie aveugle du progrès technique « salvateur ». Nous allons pourtant vivre la fin du progrès … technique (motorisé par les énergies fossiles, l’extractivisme des ressources naturelles, une production inouïe de déchets, et l’exploitation des pays pauvres), tel que nous le connaissons depuis un siècle, pour nous ouvrir au progrès humain et écosystémique. Enfin !
- Tout est fait pour que nous nous sentions sereins et restions tranquilles, mais … la carte bleue à la main : « les pollutions ne sont pas de notre fait, mais de ces pauvres pays sous-développés ». C’est évidemment mettre sous le tapis les effets de nos délocalisations et externalisations dans lesdits pays, de nos importations peu reluisantes de gaz de schiste américain (la France est le 1er importateur européen de ce gaz à l’extraction destructrice). Illustrons ce propos : les médicaments de nos pharmacies, et notamment nos antibiotiques, proviennent majoritairement d’Hyderabad en Inde : une grande partie des effluents de ces usines finissent dans l’environnement, créant des foyers d’antibiorésistance capables de se diffuser mondialement.
La machinerie infernale du greenwashing
Enfin, n’omettons pas de souligner l’immense machinerie du greenwashing, qui touche autant les dirigeants politiques qu’industriels et économiques.
A Nice, le maire vante sa « ville verte de la Méditerranée », alors que la bétonisation n’a jamais été aussi frénétique sur la basse vallée du Var, avec sa qualification aussi insensée que ridicule d’« Ecovallée ». Ce pauvre arbre, perdu sur le faîte d’un immeuble du quartier Méridia à Nice, est un symbole de greenwashing (photo copyright CC06).
Ainsi, sa communication ne cesse de valoriser sa future extension de la Promenade du Paillon : 8 hectares de parc urbain contre des centaines d’hectares artificialisées quelques kilomètres à l’Ouest… Alors qu’il soutient mordicus l’extension de l’aéroport de Nice et ses 20.000 vols supplémentaires. Alors qu’il prétend que Nice devient le « Davos de l’écologie », et qu’il organise chaque année le « Transition Forum », temple du business greenwashing (vous savez : « l’écologie au service de l’économie » !), ne respectant pas ses engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Bref, l’imposture règne ! Non seulement la com’ sème le doute, à longueur de discours, d’affichages (« Nice respire ! », alors que la pollution tue à Nice), de labels trompeurs, mais parfois (souvent ?), les politiques ou les industriels dénigrent, fustigent, celles et ceux qui s’engagent au nom de l’intérêt général, et parlent et agissent, eux, de manière libre et désintéressée…
Même à Nice, il va être temps de nous remettre à l’endroit, et d’arrêter ces manipulations langagières et conceptuelles, qui tentent de renverser la réalité ! (photo copyright CC06)
Le simulacre de respectabilité, à coups de rubans et de rosettes de la Légion d’honneur ou de l’Ordre National du Mérite, d’airs tantôt outrés, tantôt rassurants, de discours faux et hypocrites fustigeant par exemple la « dégénérescence comportementale » des activistes climatiques (David Lisnard, maire de Cannes, en avril 2023), ne trompe plus personne. Souvent, la langue humaine n’est pas le reflet de la réalité, mais le bras armé des mensonges et des manipulations.
Non, tout ne se vaut pas ! Et c’est Pareto qui le dit…
Non, tout n’est pas relatif, ni multifactoriel ! Les causes majeures de destruction écologique sont dues à une poignée de facteurs très puissants.
L’économiste italien Vilfredo Pareto a développé sa loi éponyme en 1896 : la loi de Pareto. Celle-ci indique que, dans de très nombreux phénomènes, seuls 20% des causes suffisent à créer 80% des effets.
Graphe copyright CC06
Et parfois, l’impact d’un seul facteur majeur suffit à déclencher une catastrophe. Ainsi, pour reprendre l’exemple de la perte de biodiversité, les pesticides, selon la grande majorité des experts scientifiques, sont la principale cause de la disparition des insectes et de la vie dans les sols sur ces toutes dernières décennies : cette seule cause écrase tous les autres facteurs, même si ceux-ci ont chacun un effet actif mais mineur.
Quand le maire de Nice court pathologiquement après la renommée, la reconnaissance et la …1ère place, il entre en compétition avec les autres territoires (Sophia, Barcelone, Turin…), urbanise et bétonne à outrance, développe son aéroport et le surtourisme. Quitte à rendre son territoire invivable pour les habitants, et à détruire les écosystèmes…
Et nous, où en sommes-nous ?
Il est donc temps, comme le suggérait le philosophe Bruno Latour, de désigner les responsables, ceux qui prennent des décisions contraires à l’intérêt général ou à la moralité. Ceux qui ne bougent pas quand il faudrait qu’ils le fassent, ceux qui simulent, ceux qui ont peur, mentent et trompent, ceux qui détruisent pour protéger leurs petits intérêts. Ceux qui jouent de cynisme et d’hypocrisie. L’écologiste Delphine Batho parle, quant à elle, de deux camps : celui des Terriens, protecteurs de leur environnement, et celui des Destructeurs. C’est assez limpide.
Et nous, vers quel camp choisissons-nous d’aller ?