Surréalisme aérien
Franck Goldnadel, président du directoire de la société des Aéroports de la Côte d’Azur, a été reçu sur le plateau de l’émission « Azur Politiques » le 13 avril 2023, interviewé par les journalistes Céline Moncel (BFMTV), Denis Carreaux (Nice-matin) et Laurence Bottero (La Tribune).
Qu’avons-nous remarqué ? Que Monsieur Goldnadel a systématiquement démenti la réalité des faits, allant jusqu’à remettre en question ses propres rapports ! Grâce à ses talents d’artiste, il nous a offert une magnifique séquence de surréalisme aérien pendant quelques minutes… Voyons cela plus en détails. Vous noterez que l’œuvre de Dali affichée ci-dessus n’a d’autre intention que de matérialiser un vol surréaliste. Aucune autre connotation.
Capacité de l’aéroport de Nice
Alors que ses rapports internes (étude d’impact Ingérop du dossier officiel d’extension) indiquent une capacité actuelle de 17,7 millions de passagers, Monsieur Goldnadel la ramène péremptoirement à 14 millions, soit 3,7 millions de moins. Une paille ! Au passage, cet aéroport a accueilli 14,5 millions de passagers en 2019… De quoi susciter de sérieux doutes sur sa définition d’une capacité aéroportuaire. Au passage, l’espace ne semble pas manquer dans les halls aéroportuaires, quand on y voit le nombre de surfaces commerciales.
Seconde contre-vérité : selon lui, le projet d’extension du T2 permettra d’augmenter cette capacité à 18 millions. Dommage, son rapport d’impact indique 21,6 millions, soit 3,6 millions de plus. Nous retenons de cela que ce directeur d’aéroport travaille avec de très grosses marges d’imprécision : à 3 millions près. Fait-il de même sur ses rapports comptables ? C’est Alessandro Benetton, actionnaire majoritaire, qui risque de tiquer…
Sous-estimation coupable de la hausse du nombre de vols sur l’aéroport de Nice
Lorsque Monsieur Goldnadel affirme que le nombre de vols n’a augmenté que de « maximum 2% », entre 2012 et 2019, alors que le nombre de passagers a augmenté de 30%, il ne dit pas la vérité !
Les chiffres de la Direction Générale de l’Aviation Civile (DGAC), rattachée au Ministère de la Transition écologique, indiquent qu’entre 2012 et 2019, le nombre de vols a augmenté de près de 11%, et non maximum 2%…
Si l’on analyse les chiffres entre 2010 et 2019, le nombre de passagers a augmenté de 50% (ce qui nous attend également entre 2019 et 2030, au vu des projections) et celui des vols de 15%, soit +21.000 vols. Monsieur Goldnadel sous-estime donc très fortement l’impact de la hausse du trafic passagers sur le nombre de vols, qui génèrent pollutions, CO2 et nuisances sonores. Gênant pour un aéroport qui émet déjà près d’un million de tonnes de CO2 par an (en scope 3)…
NB : l’image ci-dessus, et les images similaires, sont des captures d’écran de l’interview BFM Nice Côte d’Azur (13 avril 2023)
L’aéroport de Nice ne génère pas plus de trafic : ah bon ?
Il suffit, à celui ou celle qui se montre un tantinet attentif, de consulter les publications de l’aéroport et de la société des Aéroports de la Côte d’Azur (website, réseaux sociaux, interviews), pour comprendre que ces organismes font tout pour attirer davantage de trafic aérien, pour favoriser la création de nouvelles lignes, et donc, pour augmenter le trafic. De concert, d’ailleurs, avec les comités de tourisme, la CCI et les élus locaux.
Et pour cause ! Lisons la page 18 du rapport des états financiers, au 31 décembre 2020, du consortium Azzurra, actionnaire majoritaire (à 64%) de la société des Aéroports de la Côte d’Azur (ACA) : « Azzurra Aeroporti est une société holding dont le cœur de métier est la gestion de la participation dans ACA, concessionnaire aéroportuaire. La performance de l’activité ACA reflète (…) l’évolution du trafic aéroportuaire. (…) Avant COVID (2019), la marge EBITDA était de 42%, la marge bénéficiaire d’exploitation de 21% et le résultat net consolidé (profit) de 13% (37,6 millions €). » Et la page 24 : « Azzurra surveillera l’évolution du trafic en examinant les mesures adoptées par l’ACA pour atténuer tout impact négatif sur la performance opérationnelle. »
Plus il y a de trafic, et meilleure est la performance financière : rien de nouveau sous le soleil de la Côte d’Azur ou de Rome (siège d’Azzurra), mais au moins, c’est écrit noir sur blanc. Oui, l’aéroport de Nice génère une partie du trafic additionnel ! Et le besoin de trafic semble important au vu de l’état des finances de la société ACA…
Négation de l’effet rebond
Quand la journaliste Céline Moncel indique très judicieusement que l’amélioration des moteurs d’avion sera largement neutralisée par la hausse du trafic aérien, elle évoque ce que tout le monde connaît : les ravages de l’effet rebond, valable dans quantité de secteurs, et notamment dans l’aérien.
Tout le monde ? Sauf Monsieur Goldnadel, qui ose affirmer l’exact contraire, niant la réalité des chiffres : entre 2010 et 2019, les émissions CO2 de l’aéroport de Nice ont augmenté de +30% pour une augmentation du trafic de +15%. Idem pour les polluants atmosphériques : +28% pour les oxydes d’azote, et +25% pour les particules fines. Il ne dit pas la vérité aux habitants de ce territoire et aux riverains de l’aéroport qui les subissent !
Énergies du futur
Monsieur Goldnadel prétend qu’en « élargissant un peu les batteries », les avions électriques vont bientôt arriver. Cette affirmation confuse est non seulement fausse, mais ridicule, laissant entendre qu’une part significative du trafic de l’aéroport de Nice pourra être réalisée par des avions électriques. Tous les experts le savent : à part des avions à faible capacité d’emport, l’aviation électrique n’est pas pour demain, ni pour après-demain, en tout cas pour les long-courriers, qui représentent les deux-tiers de l’activité de l’aéroport de Nice…
Quant au SAF (carburant « durable », fait tantôt d’huiles de fritures, tantôt d’agrocarburants, consommant des terres arables), et à l’hydrogène, rappelons juste que leurs coûts seront rédhibitoires pour très longtemps encore.
Rappelons aussi que leurs modes de production sont extrêmement énergivores, et qu’ils ne seront disponibles ni à temps (par rapport à l’accélération du réchauffement climatique), ni à l’échelle. Pour information, l’hydrogène est aujourd’hui produit à 98% dans le monde à partir d’énergies fossiles, à destination prioritaire de l’industrie.
Consommation d’eau
La journaliste Céline Moncel a rappelé que l’aéroport de Nice consommait plus de 2 millions de litres d’eau, soit l’équivalent de 15% de l’ensemble de la consommation de la ville de Nice. Et qu’en dit Monsieur Goldnadel ? Que ce chiffre ne correspond pas à la réalité, puisque l’aéroport rejette beaucoup de cette eau, avec la climatisation. Mais en quoi cela diminue-t-il la consommation d’eau ? Nous prendrait-il pour des benêts ? Est-il besoin de lui rappeler que les touristes consomment deux-tiers d’eau de plus que les habitants de notre région, qui eux-mêmes consomment déjà plus que la moyenne nationale ? De lui rappeler également que nous entrons dans une (très) longue période de sécheresse croissante et très problématique ?
En conclusion…
Monsieur Goldnadel joue au vieux sage, accusant les opposants à son projet d’extension de diffuser de fausses informations. C’est pourtant exactement ce qu’il a fait ce 13 avril, durant 25 minutes, alors que les « opposants » (à l’extension, et non à l’aéroport) s’appuient exclusivement sur des rapports officiels, dont les siens. Il devrait vite ouvrir les yeux, afin de ne pas décrédibiliser davantage sa parole et son image… Nous notons d’ailleurs que les journalistes présents sur le plateau ont montré, et c’est assez nouveau, une vraie réserve (verbale et non-verbale) sur les propos douteux de ce directeur de business aérien. Il est temps, et nous les en remercions.
Quand Monsieur Goldnadel écorne les responsables de l’aéroport de Schiphol aux Pays-Bas (« Ils font de la com’ », alors qu’ils ont annoncé leur intention de réduire le trafic aérien), que fait-il d’autre sur les plateaux de télévision ? Comme disaient nos grand-mères : « Ça n’est pas bien de mentir ! ».
Une dernière question : Monsieur Goldnadel et son Conseil de surveillance ont-ils bien lu le 6ème et dernier rapport du GIEC ? Connaissent-ils les rapports du GREC-Sud (« GIEC régional ») qui nous annoncent un climat invivable d’ici quelques décennies sur notre région ? Savent-ils que la pollution de l’air tue prématurément 500 Niçois-es chaque année ? Savent-ils que la mer monte de 3,6 mm par an, alors que la plateforme de l’aéroport de Nice s’enfonce sur sa partie sud-ouest de 5 à 10 mm par an dans la Grande Bleue (avec un risque non-nul de glissement massif et de tsunami, comme en octobre 1979) ?
Bref, les citoyens attendent des dirigeants publics et privés un peu de sérieux, de professionnalisme, de courage et d’honnêteté. Pas des postures et des fake news. Car les enjeux sont colossaux, et leur avenir est en péril !
Pour en savoir plus : ici
Pour aider les bénévoles engagés dans le recours administratif en annulation du permis de construire de l’extension T2.3 de l’aéroport de Nice (actuellement auprès de la cour administrative d’appel de Marseille) :
- Donner sur la plateforme Helloasso (10 euros, c’est déjà super !)
- Signer la pétition GreenVoice (bientôt 5000 signataires !)
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