La police au service du greenwashing à Nice ?
Phare communicationnel de l’écologie à la sauce estrosienne, le Transition Forum a repris place à Nice, comme en 2021, les 29 et 30 septembre 2022. Le thème général : « Time to accelerate ! ». Des dizaines de conférences, des espaces VIP, des ministres. Mais pas de citoyens, car à Nice, la transition ne s’envisage que sous un prisme de vitrine technologique et de bling-bling… La concertation citoyenne des plans climat et agroalimentaire est d’ailleurs à l’arrêt complet depuis des mois.
22 juillet 2022 : dès l’ouverture, nous nous inscrivons en tant que visiteurs sur la plateforme Web du Transition Forum. Quelques heures plus tard, un mail tombe dans nos boîtes, emballé d’un tissu de mensonges :
« Après consultation de votre profil, nous vous informons que votre candidature au Transition Forum en tant que « Visiteur » n’a pas été retenue pour l’une des raisons suivantes :
- Votre activité ne correspond pas à la thématique de l’évènement
- Nous n’avons pas réussi à identifier votre activité (absence de site internet ou de description d’activités)
- Les inscriptions sont clôturées. » (nb : quelques heures après l’ouverture des inscriptions…)
Jeudi 29 septembre 8 heures : avec quelques autres citoyens, nous sommes, en tant que représentants du collectif citoyen 06, présents devant le Palais de la Méditerranée pour y livrer le fond de notre pensée : nous déployons une large banderole jaune sur laquelle est écrit « Transition Forum à Nice = Greenwashing ».
Nul besoin de dire que nous avons été tout de suite encadrés par des agents des Renseignements Territoriaux (RT), qui ont commencé à nous interroger (comme la veille, mais par téléphone et à nos domiciles…). Nous n’avons évidemment aucune velléité d’action ‘’virulente’’, mais avons juste l’intention d’alerter les passants et les invités du caractère insincère et trompeur de cet événement. Après une petite heure de déploiement, nous plions banderole et quittons les lieux.
Nous apprenons alors qu’une médecin hospitalière du CHU de Nice, très investie dans les groupes de travail de la mairie, s’est vue abruptement interdire l’accès du Forum, alors qu’elle possédait le sésame d’entrée. Aucune justification au refus. Sauf que… son compagnon est membre du collectif citoyen 06 (est-ce donc un groupuscule terroriste ?)… Une heure et quart plus tard, après avoir alerté ses contacts à la mairie et demandé des comptes, elle finit par rentrer. Très péniblement. Le manque de discernement des organisateurs du Transition Forum, comme des RT, est juste inadmissible !
Jeudi 29 septembre 14 heures : nous sommes un petit groupe présent non loin du parc Phoenix, en vue d’interpeller Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique, à qui Christian Estrosi présente son éclairage public LED, avant de se diriger vers le chantier de bétonisation du Grand Arénas. Nous comprenons que le maire de Nice veut exposer sa vertu avec quelques économies d’éclairage (la sobriété énergétique n’est-elle que cela ?), juste à la lisière de l’aéroport où s’enchaînent les norias énergivores d’avions de ligne et d’affaires, recrachant des centaines de tonnes de CO2 par jour sur notre territoire. Proximité intéressante, car d’un côté, le maire vante quelques petites économies d’énergies, et de l’autre, soutient le projet d’extension de l’aéroport de Nice, dont l’impact climatique est évalué à l’émission de 28 millions de tonnes de CO2 sur 30 ans, sur la base d’une hausse du trafic aérien de 20.000 vols par an… Serions-nous les seuls à nous étonner de ce délire énergétique ?
Nous approchons donc du lieu de visite, et sommes alors rattrapés par un trio de policiers en civil, portant brassard, qui se montrent très pressants : contrôle de papier, fouille de sac, arrivée d’un ‘’panier à salade’’ dans notre dos, armes bien apparentes à la ceinture… Le show commence :
- Bonjour messieurs, police ! Arrêtez-vous !
- Bonjour, quel est le problème ?
- Vous avez un comportement anormal, vous tournez en rond, vous portez un sac à dos…
- Mais qu’est-ce qui vous permet de nous arrêter ainsi ?
- Qu’est-ce qui nous dit que vous n’êtes pas des terroristes ? Et lui, là (en s’adressant à l’un de nous, de manière narquoise), pourquoi il ne dit rien, hein ?
Nous montrons nos pièces d’identité. Un des agents, nos cartes à la main, échange longuement avec sa hiérarchie au téléphone. La discussion reprend. On apprend que le secteur nous est … interdit. Juste pour nous trois : privilège des lanceurs d’alerte ? Nous demandons de nous préciser quel arrêté municipal stipule cette étonnante interdiction. En vain. Les policiers nous disent ensuite qu’une manifestation non déclarée est interdite. Nous étions juste en train de marcher à 300 mètres du lieu de visite (nous en éloignant vers la rue Ferber). Par ailleurs, il semble que nous leur ayons appris qu’une verbalisation pour participation à une telle manifestation était illégale suite à la décision de la Cour de cassation en juin 2022 (d’autant que nous ne « manifestions » pas le moins du monde à ce moment). Enfin, nous n’avons organisé aucune manifestation, mais juste participé à des actions inter-associatives, pour dénoncer un événement sponsorisé par des sociétés et des institutions aux impacts environnementaux particulièrement néfastes (TotalEnergies, BNP, aéroport de Nice, FNSEA…), et dont la finalité n’est que de verdir une politique locale extrêmement focalisée sur le business et la techno… Comme le répète à l’envi Christian Estrosi : l’écologie est au service de l’économie ! La nature doit donc être utile au business et à l’argent…
A force de discussion, parfois un peu tendue, le climat finit par s’apaiser et les policiers finissent par nous dire qu’ils ne font que leur travail, et qu’ils obéissent aux ordres de leurs chefs, avant de quitter les lieux. Mais la visite des VIP est achevée… Nous proposons à ces agents policiers, juste avant de nous séparer, de rencontrer leur chefferie, afin de leur expliquer le sens de l’engagement citoyen dans le contexte environnemental critique que nous connaissons. Inutile de vous dire que nous n’attendons pas de retour.
La morale de l’histoire : une police de la pensée ?
Le maire de Nice organise, à grands frais (1,5 million d’euros, dont plus de 500.000 euros d’argent public des contribuables niçois), un événement annuel de communication, dans les fastes du Palais de la Méditerranée et des jardins de la Villa Masséna. Toute cette débauche de moyens serait compréhensible si l’écologie et la démocratie participative n’étaient pas si maltraitées au quotidien à Nice : plans et concertation à l’arrêt, bétonisation intensive de la basse Plaine du Var et des collines niçoises, mollesse des politiques climatiques et sanitaires (pollution de l’air), soutien au projet d’extension climaticide de l’aéroport de Nice, désinformation permanente d’une com’ écrasante (chiffres fantasques, slogans trompeurs…), etc.
Lorsque d’honnêtes citoyens lèvent le petit doigt pour exprimer leur insatisfaction devant ce qui ressemble à un théâtre écologique, les moyens de la République sont mis en œuvre pour les mater, leur prêtant des intentions terroristes pour les « serrer »… A traiter tous les citoyens « hors du moule » (selon cette ambiance de police politique) comme des terroristes, la perte de discernement pourrait devenir extrêmement inquiétante et dangereuse pour l’avenir. Par ailleurs, il est étrange de constater qu’à Nice, les vrais terroristes ont pu passer entre les mailles du filet sécuritaire, comme en ce dramatique soir du 14 juillet 2016, mais que les citoyens engagés pour les causes d’intérêt général sont ciblés et maltraités par les forces de police, sur ordre ! Alors qu’ils savent pertinemment quel est le sens de notre engagement et qu’ils nous connaissent (le fichage sert à ça…).
Cette petite expérience en dit long de l’état de notre démocratie locale : simulacre, ostracisation et dénigrement des opposants et des citoyens libres, absence de respiration démocratique, désinformation de la population, clanisme autoritaire, etc. Nous dénonçons une fois encore cet état de fait, avec vigueur, car oui, à Nice, écologie et démocratie sont maltraitées !
Albert Camus le disait en son temps : « Il n’y a ni justice ni liberté possibles lorsque l’argent est toujours roi ». Il se trouve que l’argent est roi à Nice… La clé du problème est certainement là, cachée dans les coffres du club BTP, des profiteurs du surtourisme, et des taxes professionnelles permettant de perfuser les politiques dispendieuses du seigneur local. Et cætera.