Quelques bases juridiques pour des citoyens éclairés
Chaque citoyen a des devoirs, mais également des droits. Et la loi de la République vaut pour tous, administrés comme élus, entrepreneurs comme dirigeants publics.
Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789
La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 est un texte fondamental de la Révolution française qui énonce un ensemble de droits naturels individuels et communs, ainsi que les conditions de leur mise en œuvre. Sa valeur constitutionnelle est reconnue par le Conseil constitutionnel depuis 1971. Citons deux articles :
Art. 5. – La Loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société. Tout ce qui n’est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas.
Art. 6. – La Loi est l’expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents.
Art. 15 : – La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration.
A cet égard, la loi du 17 juillet 1978, relative au droit d’accès aux documents administratifs, a été plus récemment complétée par la loi pour une République numérique du 7 octobre 2016 qui a imposé l’open data. Ces dispositions sont codifiées dans le Code des relations entre le public et l’administration (CRPA). (source Anticor) : les administrés ont le droit de demander la communication des documents administratifs (par ex. rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes, avis). En cas de refus de communication par l’administration (notamment en cas de refus explicite ou en cas de l’absence de réponse dans un délai d’un mois (naissance d’une décision implicite de refus), l’administré doit, s’adresser à la commission d’accès aux documents administratifs (CADA) qui rendra un simple avis quant à la communicabilité du document demandé ; si l’administration persiste dans son refus (notamment malgré l’avis positif de la CADA), il faudra alors exercer un recours contentieux devant le juge administratif contre ce refus.
Les précieux principes de la Charte de l’environnement
Ainsi, il est important de rappeler l’existence de la Charte de l’environnement, qui a également valeur constitutionnelle depuis 2005. Citons cinq de ses articles :
- Art. 1er. – Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé.
- Art. 2. – Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement.
- Art. 3. – Toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu’elle est susceptible de porter à l’environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences.
- Art. 5. – Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage.
- Art. 7. – Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement.
Protection et principe de précaution
Le principe de précaution est né en Allemagne à la fin des années 1970, comme principe général d’orientation de la politique de l’environnement (source « Le principe de précaution » de Norbert Calderaro). Dans ce même pays est né Hans Jonas qui a écrit le « Principe Responsabilité », ouvrage majeur publié en 1979. Et nous avons vu que ce principe de précaution sous-tend à présent la Charte de l’environnement française.
Face aux enjeux et périls majeurs auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui, il est particulièrement utile de travailler sur ces deux principes de responsabilité et de précaution.
Au niveau de la législation européenne, parmi de nombreux textes et jurisprudences, citons deux arrêts de la Cour de Justice des Communautés européennes (n°157/96 et 180/96) : « Lorsque des incertitudes subsistent quant à l’existence ou à la portée de risques pour la santé des personnes, les institutions peuvent prendre des mesures de protection sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées. »
Des citoyens impliqués dans les décisions concernant leur santé
Page 6 du document d’orientation du Plan Régional Santé Environnement 2015-2021 de la Région PACA, on peut lire : ‘’Les citoyens et leurs territoires en sont aussi les premiers acteurs tant dans le souci de la prise en charge de leur propre santé que de la construction d’un environnement sain. Si les citoyens n’ont pas de prise sur un certain nombre de questions, ils revendiquent, en revanche, d’être étroitement associés à toutes les décisions qui peuvent concerner leur santé.’’
Depuis 1996, les citoyens ont le droit de respirer un air sain !
La loi n° 96-1236 du 30 décembre 1996 sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie (loi dite LAURE) a reconnu à chacun « le droit de respirer un air qui ne nuise pas à sa santé. »
L’alerte et la protection des lanceurs d’alerte
En 2013, a été votée la loi n° 2013-316 du 16 avril 2013 relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte. Son article 1er indiquait : « Toute personne physique ou morale a le droit de rendre publique ou de diffuser de bonne foi une information concernant un fait, une donnée ou une action, dès lors que la méconnaissance de ce fait, de cette donnée ou de cette action lui paraît faire peser un risque grave sur la santé publique ou sur l’environnement.
L’information qu’elle rend publique ou diffuse doit s’abstenir de toute imputation diffamatoire ou injurieuse. »
En 2016, a été votée la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique dite loi « Sapin 2 », pour aider les personnes qui signalent les violations des textes juridiques, permettant une augmentation de leurs signalements, et ainsi une meilleure protection de la population.
En 2022, a été votée la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 (JO du 22 mars 2022) visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte, complétant ainsi le dispositif mis en place par la loi de 2016.
Cette loi du 21 mars 2022 a mis en place d’importantes avancées en matière de protection des lanceurs d’alerte, en renforçant le rôle du Défenseur des droits en matière de signalement d’alerte. Selon Isabelle Corpart, maître de conférences émérite en droit privé à l’Université de Haute-Alsace, « ce représentant de l’État a désormais pour mission d’orienter les lanceurs d’alerte et de réorienter les alertes à partir du moment où une autorité externe ne s’estime pas compétente. Grâce à cette nouvelle réforme, la personne qui aura fait un signalement d’alerte sera soutenue par un nouvel adjoint au Défenseur des droits ». (source Huglo Lepage Actualités du 27 mai 2022).
Un exemple : les tromperies commerciales sur fond d’environnement et d’écologie
L’amendement n°5419 afférent à l’article L.132-2 du code de la consommation a été voté par l’Assemblée nationale le 25 mars 2021. Cet article est ainsi complété : « Lorsque la pratique commerciale trompeuse consiste à laisser entendre ou à donner l’impression qu’un bien ou un service a un effet positif ou n’a pas d’incidence sur l’environnement ou qu’il est moins néfaste pour l’environnement que les biens ou services concurrents, le montant de l’amende peut être porté, de manière proportionnée aux avantages tirés du délit, à 80 % des dépenses engagées pour la réalisation de la publicité ou de la pratique constituant ce délit. La sanction prononcée fait en outre l’objet d’un affichage ou d’une diffusion soit par la presse écrite, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique. La sanction fait également l’objet d’une diffusion sur le site internet de la personne morale condamnée, pendant une durée de trente jours. »
C’est sur cette base que le Collectif Citoyen 06 a saisi le Procureur de la République de Nice, le 3 novembre 2021, afin de signaler la désinformation systématique de l’aéroport de Nice sur sa neutralité carbone. Saisine restée sans réponse à ce jour. Courrier de saisine ici.
D’autres actions, du même ordre, sont menées : l’exemple de Total Energies, assigné en justice le 2 mars 2022 pour publicité trompeuse. La compagnie Ryanair a été épinglée pour un motif similaire. Beaucoup d’autres devraient suivre, y compris sur la Côte d’Azur.
Les choses bougent donc peu à peu. À l’occasion du « jour de la Terre » 2022, Twitter a annoncé que les publicités trompeuses sur le changement climatique seraient désormais interdites, afin de ne pas saper les efforts en faveur de la protection de l’environnement (source 20 minutes).
La Loi Climat et Résilience, dans son article 12, vise à garantir une information complète du public sur les allégations « neutre en carbone » et permettra de renforcer progressivement les engagements des annonceurs tout en luttant contre « l’éco-blanchiment » (cf. décrets n° 2022-538 et 2022-539). Ainsi, à compter du 1er janvier 2023, il sera interdit aux annonceurs d’affirmer dans une publicité qu’un produit ou service est « neutre en carbone » sans présenter un bilan des émissions de gaz à effet de serre sur l’ensemble du cycle de vie du produit ou service, la trajectoire de réduction prévue des émissions, ainsi que les modalités de compensation des émissions résiduelles. Ces éléments devront être facilement accessibles pour le public et mis à jour tous les ans (source Ministères de la Transition écologique et de la Transition énergétique).
L’Europe travaille également sur la question, avec ses orientations pour la mise en œuvre/l’application de la directive 2005/29/CE relative aux pratiques commerciales déloyales.