Pourquoi la sobriété s’impose à nous, dans les Alpes-Maritimes, comme ailleurs !
Plus un jour sans que les médias n’abordent la question des tensions croissantes et durables sur les prix de l’énergie, et celle du réchauffement climatique (et encore, cette urgence passe souvent sous le tapis des futilités, des faits divers ou des débats politiciens, dans le flot interrompu des tweets, des fake news et du buzz médiatique !).
Pourtant, cette question du réchauffement climatique, urgente et vitale, est l’une des trois raisons principales pour lesquelles il faut réagir, sans plus tarder, avec détermination, force et ambition :
- Tarissement des énergies fossiles et tensions croissantes sur les marchés
- Réchauffement climatique
- Dépendances énergétiques et impacts géopolitiques
Problème 1 : Tarissement des énergies fossiles
Nos sociétés modernes ont été bâties grâce à l’extraordinaire pouvoir des énergies fossiles, dont l’omniprésence finit par les rendre invisibles. En 2022, le monde puise encore 80% de son énergie au fond des puits de pétrole, de charbon et de gaz. L’énergie peut être interprétée comme la capacité de transformer notre environnement, à coups de quantités faramineuses de joules et de gigawatt-heure. Nous ne pouvons en effet que constater que l’humain a profondément bouleversé la planète, puisqu’il a même précipité le passage de l’ère de l’Holocène à celle de l’Anthropocène. Aucun milieu n’y a échappé : les terres (déforestation, urbanisation, pollutions diverses et déchets, ruptures écologiques), les océans et les mers (pollution, acidification des eaux, surpêche), l’atmosphère (pollution et réchauffement climatique) et l’espace circumterrestre (satellites et déchets spatiaux).
Il se trouve que, contrairement à ce que laissent entendre encore certains dirigeants (et nous en connaissons à Nice !), les ressources ne sont pas infinies. Le pétrole conventionnel, fondement de nos sociétés mécanisées, a déjà dépassé son pic en 2008, il y a donc bientôt quinze ans. C’est ce qu’on appelle le ‘’peak oil’’. Même la société Total Energies a récemment indiqué qu’il manquerait 10% d’offre de pétrole brut dès 2025 à l’échelle mondiale. Ce manque sera beaucoup plus important que celui connu lors des premières crises pétrolières, dans les années 1970, et ne fera que croître. Ces pics concernent en fait toutes les ressources, à échéances plus ou moins proches. L’auteur Philippe Bihouix parle ainsi de ‘’peak everything’’… Les conflits d’approvisionnement pourraient être devant nous, si nous ne réagissons pas avec vigueur.
Même si cette question est tout à fait primordiale, et appelle une reconsidération profonde de notre modèle extractiviste, puisqu’il épuise littéralement la planète (voir le concept d’« Overshoot Day »), elle s’avère néanmoins moins critique, dans l’urgence que nous connaissons à présent, que celle du réchauffement climatique. Entre deux grizzlis, il faut nous protéger du plus menaçant…
Problème 2 : Réchauffement climatique
L’humanité, et l’Occident en premier lieu, a émis environ 2.400 milliards de tonnes de CO2 dans l’atmosphère depuis le début de l’ère industrielle en 1850, il y a donc moins de deux siècles. Encore aujourd’hui, nous en émettons 40 milliards supplémentaires chaque année, dont seulement la moitié est recaptée par les puits de carbone naturels (océans et forêts), au prix d’une acidification croissante des eaux, et d’une baisse progressive de capacité de captation naturelle… Or, à partir de 3.300 milliards de tonnes, il est très probable que le seuil déjà critique d’un réchauffement de +1,5°C soit franchi. Autrement dit, ce seuil pourrait être franchi d’ici une vingtaine d’années, au rythme actuel, et non à la fin du siècle. Une alerte récente a même évoqué la possibilité que nous passions ce cap d’ici seulement cinq ans !
Les émissions ont plusieurs sources : les plus importantes sont les émissions énergétiques (transports, mobilité), suivies des émissions non-énergétiques (ciment, acier, chimie lourde) et du changement d’affectation des terres (ex : déforestation).
Les gaz incriminés sont le dioxyde de carbone (CO2 : combustion d’énergies fossiles), le méthane (CH4 : extraction de gaz et de pétrole, élevage, rizières) et le protoxyde d’azote (N2O : engrais, pour l’essentiel), ces deux derniers gaz étant encore beaucoup plus nocifs pour le climat que le CO2.
Il existe aujourd’hui un consensus scientifique sur la redoutable accélération des fléaux dès +1,5°C : canicules, sécheresses (comme celle que nous ressentons cette année en France, et plus encore dans les Alpes-Maritimes), tempêtes et inondations (rappelons la tempête Alex), bâtiments fissurés (gonflement-retrait des argiles), migrations climatiques, épidémies (maladies vectorielles et pandémies virales) et atteintes majeures à la biodiversité. Or, nous nous dirigeons aujourd’hui vers une augmentation des températures moyennes de +4°C à +7°C selon les scenarii ! Rappelons ici que le pourtour méditerranéen, sur lequel nous vivons, connaît d’ores et déjà un réchauffement majoré de +20% par rapport à la moyenne mondiale, et jusqu’à +50% en période estivale ! Ces derniers mois, le monde a connu des séries d’incendies titanesques sur tous les continents, et la sécheresse se fait croissante. Rappelons aussi que l’Asie connaît des canicules effarantes, impactant de plein fouet des centaines de millions de personnes, en Inde et au Pakistan. Sur notre territoire, les sommets du Mercantour sont moins enneigés en hiver, apportant moins d’eau au printemps (étiages plus marqués), les lacs et les nappes phréatiques se vident, les rivières se tarissent (alors que nos élus cherchent toujours plus de touristes…). Les étés seront de plus en plus chauds, et nous devons nous préparer à vivre plus fréquemment canicules et incendies de forêts.
Dire que « notre maison brûle » répond donc à une triste réalité, qui doit nous alerter et nous faire réagir toutes affaires cessantes.
Problème 3 : Dépendances énergétiques et impacts géopolitiques
La guerre en Ukraine nous rappelle combien la question des dépendances énergétiques peut devenir cruciale.
L’embargo sur le pétrole et le gaz russes, l’arrêt du projet de gazoduc « North Stream II », montrent que dépendre de régimes autoritaires peut poser de très sérieux problèmes géopolitiques, voire des mises en péril de nos économies mondialisées et de la paix…
Que nous parlions du gaz russe, du brut d’Arabie Saoudite, des métaux et terres rares de Chine, ou encore de l’uranium du Niger (et la liste est longue : cuivre, cobalt, lithium, etc.), nous voyons de plus en plus clairement que les fondements de notre modèle de croissance libérale dépendent de régimes majoritairement non démocratiques, voire de plus en plus autoritaires, et/ou reposent sur des destructions environnementales ahurissantes (gaz de schiste, mines dantesques à ciel ouvert, etc.). Comme le rappelle l’expert Jean-Marc Jancovici, les marchés n’intègrent toujours pas le prix de la paix. Nous pourrions ajouter également : le prix de la prévention. Car il suffit de voir le coût colossal de la pandémie Covid (au-delà des millions de morts), liée à une atteinte des espaces de biodiversité, qu’il nous faudra rembourser un jour…
Solution : Pas d’autre choix que devenir sobres, sans écouter les bonimenteurs !
Cette courte revue des périls liées aux ressources, au réchauffement climatique et aux risques de déflagration guerrière, nous montre que l’urgence commande de réduire sans tarder nos besoins et dépendances, par la mise en place d’une politique de sobriété généralisée. Ceux qui tentent de nous faire croire aux sirènes de la technologie salvatrice sont de dangereux utopistes ou de coupables bonimenteurs. Non que la technologie est ou sera inutile, mais elle ne sera pas au rendez-vous, en temps et en heure et n’aura pas l’échelle requise dans les toutes prochaines années. L’exemple de l’hydrogène vert est patent à cet égard : les promoteurs de l’aviation commerciale et du tourisme international misent sur cette promesse pour ne pas avoir à réduire leurs trafics lucratifs. Mais même les efforts des motoristes aéronautiques ne suffiront pas à compenser l’effet rebond dû à l’explosion du trafic aérien mondial. Et l’hydrogène vert liquide, ou même les biocarburants et autres huiles de friture usagées, ne sont pas près de remplacer le kérosène. En tout cas pas avant plusieurs décennies (aujourd’hui, plus de 95% de l’hydrogène mondial est produit à partir d’énergies fossiles).
A ceux qui crient aux Amish ou au Moyen-Âge, la sobriété n’est pas un retour à la Préhistoire. Elle n’est pas une lubie de décroissancistes dogmatiques. Les dogmatiques irresponsables sont ceux qui continuent de miser sur une croissance perpétuelle, devenue totalement illusoire et impossible. Certains se réfugient derrière la « croissance verte » : un modèle vantant une croissance découplée des émissions carbonées. Même si des gains en efficacité énergétique doivent continuer à être recherchés, ce dogme de la « croissance verte » n’est globalement qu’un joli conte pour enfants…
Ne nous racontons plus d’histoires. La sobriété, qui n’a rien à voir avec la pauvreté, est la SEULE voie de raison, qui permettra de nous éviter les pires scenarii : effondrements chaotiques, pénuries, climat invivable, sécheresses et canicules, disparitions massives d’espèces vivantes, pandémies, migrations massives et conflits.
Le « toujours plus » n’a plus d’avenir : il est bientôt mort. Paix à son âme.
Sens et sobriété heureuse contre le chaos : le choix est vite fait !
« La sobriété est le socle non-technologique de la transition. » (Cédric Jeanneret, expert en économie d’énergie au SIG). Sa seule condition : elle demande à chacun-e d’entre nous de ré-évaluer nos réels besoins, de nous contenter de l’essentiel, de miser davantage sur les liens que sur les biens, de préférer le local au lointain, l’aliment végétal à l’animal, le naturel à l’artificiel, la qualité à la quantité (« less is more » !). Le seul effort demandé est celui d’accepter et d’accueillir le changement. Le reste coule de source. Dans tous les domaines de nos vies : mobilité, loisirs, numérique, alimentation, équipements, etc.
Finalement, ces crises existentielles et planétaires nous invitent à nous débarrasser du superflu qui pollue nos quotidiens et compromet gravement l’avenir de nos enfants, à retrouver la simplicité et à redonner du sens et du plaisir à nos existences : celui de vivre, de nous recentrer et de partager.
Post-scriptum : cette réflexion a été nourrie de nombreuses lectures, parmi lesquelles « Le plan de transformation de l’économie française » du Shift Project. Et tout le monde aura reconnu le concept de « sobriété heureuse » de Pierre Rabhi.